Les Libanais en ont le ras-le-bol des abus du Hezbollah, de ses armes qui échappent à tout contrôle depuis belle lurette et qui se sont répandus comme une maladie incurable et incontrôlable à travers le pays et bien au-delà, bafouant ainsi son slogan détourné de la religion “le Hezbollah sera le vainqueur” et ses théories creuses concernant la résistance, la libération de la Palestine… et “les armes pour protéger les armes”. Partant, la majorité écrasante des Libanais n’a plus d’autre choix que celui de la lutte inlassable et permanente pour sauver ce qui peut encore l’être de l’entité libanaise, prise entre le marteau du Hezbollah et l’enclume de ses armes.

Les Libanais attendent du Hezbollah qu’il prenne une position historique par rapport à cette crise profonde et grave qui menace les fondements et l’existence même de l’État, ainsi que les moyens de continuer à y vivre en tant que citoyens. Dans cette attente morbide fermente une révolution sur tout ce que ce parti symbolise, de l’hégémonie des armes et la suppression de l’identité libanaise, à l’annihilation de la démocratie qui a permis au Hezbollah de se créer et se développer en son sein, avant qu’il ne se retourne contre elle.

Bien sûr, on ne peut faire porter la responsabilité de la crise au seul Hezbollah. Ladite manzoumé, l’establishment qui contrôle le pouvoir avec toutes ses ramifications mafieuses, financières et économiques, exploite cette crise et en profite. Elle n’hésite pas l’ombre d’un instant à affaiblir l’État et ses institutions, tant au niveau du législatif que du judiciaire et de l’administration publique.

Or cet establishment, c’est le Hezbollah qui le dirige, au nom des impératifs du consensus de dupes, c’est-à-dire du consensus qui lui est opportun… Le consensus qui sert ses intérêts, pas celui qui les dessert et contre lequel il doit s’inscrire en faux. Les armes constituent une question exclusive au parti. Aussi les Libanais n’ont-ils pas le droit de participer au débat relatif aux avantages et aux inconvénients de cet arsenal et, partant, à son sort.

Le Hezbollah défend corps et âme cet establishment, même s’il reconnaît la corruption de ce dernier, tout en se dédouanant lui-même de toute corruptibilité ou capacité de corrompre, bien entendu. Il a protégé cet establishment par la force des armes, en jouant sur la corde confessionnelle, faisant ainsi du slogan “chiites, chiites, chiites” le bâton à même d’intimider toute personne envisageant de ou œuvrant à trouver une solution salutaire pour débarrasser le Liban d’un pouvoir qui a ruiné le pays et paupérisé sa population.

Le Hezbollah est désormais le parti de l’establishment et son fer de lance face aux citoyens. La fonction principale des armes qu’il possède est devenue, après la guerre de juillet 2006, la préservation de la stabilité de la frontière sud d’Israël, la protection de l’establishment dont il contrôle les décisions stratégiques au Liban, la transformation du Liban en une base sécuritaire et militaire, et le soutien à l’axe iranien dans plus d’un pays arabe. Naturellement, il se moque de savoir s’il existe un consensus interlibanais sur cette fonction qu’il a lui-même assignée à ses armes en violation de la Constitution libanaise et de la loi, et dans une entreprise de déstabilisation permanente de l’État libanais tant sur le plan politique qu’économique qui porte un préjudice énorme aux intérêts des citoyens en général.

Le consensus libanais, du point de vue du Hezbollah, est un consensus au sein de l’establishment uniquement. Le parti n’accorde aucune importance à ceux qui sont descendus dans la rue depuis le 17 octobre 2019 pour réclamer des changements. Par conséquent, il ne ménage aucun effort aujourd’hui pour préserver la cohésion des composantes de cet establishment, en renforçant ses alliances avec elles, en gérant les différends et en consolidant les alliances de ces composantes lors des élections syndicales, la dernière en date étant l’élection toute récente au sein de la Confédération générale des travailleurs du Liban, qui a débouché sur un conseil exécutif exactement identique à l’establishment, paradoxe à part. Et pour cause: les élections ont été parrainées et supervisées par le Hezbollah, le grand manitou qui a réuni le courant du Futur, le Courant patriotique libre, le mouvement Amal, et ses partisans, bien entendu, sur une même liste, écartant toute concurrence… et confirmant ainsi une fois de plus où il se situe vraiment sur l’échiquier politique.

Plus que quiconque, le Hezbollah est conscient que poursuivre dans le même style sera synonyme de davantage de destruction, dans une sorte d’attentat-suicide qui emportera tout le monde. Il est regrettable qu’il considère de même le changement comme un attentat-suicide dont il sera la seule victime. En d’autres termes, le Hezbollah n’est pas disposé à sortir de son cercle libanais fermé, quand bien même il le consume politiquement, socialement et financièrement. Il se retrouve devant des choix difficiles et constate un rétrécissement continu de sa base partisane chiite qui ne profite pas de la manne de ses dollars, ainsi qu’une aversion grandissante des Libanais pour sa politique. La coopération ou la proximité avec le lui ne sont plus une source de force, de pouvoir ou d’intérêt pour beaucoup parmi ceux qui l’ont acclamé dans les milieux sunnites, druzes ou chrétiens.

Cette situation est susceptible d’avoir plus de répercussions sur le Hezbollah et les Libanais en général également. Cependant, elle porte en elle une réelle opportunité de restaurer le patriotisme libanais et le projet de l’État, une opportunité de changement qui est devenue plus limpide pour les Libanais: un changement dont les conditions sont à la fois souverainistes et réformatrices. La confrontation avec les armes du Hezbollah et son hégémonie sur l’État est devenue inéluctable, de même que les réformes pour mettre fin au chaos qui règne sur les institutions et l’entité libanaise.