"Pourquoi le Hezbollah a-t-il déposé une plainte contre moi devant la justice ? Pour dire que si jamais je suis victime d’une agression, il peut s’en laver les mains puisqu’il a été devant les tribunaux ?", s’interroge l’ancien député de Jbeil.

Farès Souhaid, ancien député de Jbeil, ancien coordinateur général des forces du 14 Mars et porte-parole actuel du Rassemblement de Saydet el-Jabal, a accusé dimanche le Hezbollah de paver la voie à une "tentative d’assassinat" à son encontre sous le couvert d’une plainte devant la justice et dont le parti chiite pourrait donc se laver les mains en prétextant qu’il a emprunté les voies constitutionnelles.

M. Souhaid doit comparaître lundi matin à Baabda devant le juge d’instruction Ziad Doughaïdy, à la suite d’une plainte déposée par le député Ibrahim Moussaoui. Ce dernier avait réclamé des poursuites il y a plus d’un an contre l’ancien député de Jbeil entre autres pour " atteinte au sentiment national", "excitation des instincts sectaires et racistes", "tentatives de semer la discorde confessionnelle", "informations erronées", diffamation" et "incitation à la guerre civile" à la suite de la publication de deux tweets en date du 6 et du 18 septembre 2020 pointant du doigt la responsabilité du Hezbollah dans l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020.

Dans une conférence de presse à Qartaba en présence de délégations populaire de la région venues lui exprimer leur soutien, M. Souhaid a d’abord invité l’assistance a observer une minute de silence à la mémoire du journaliste et député Gebran Tuéni et du général François el-Hajj, assassinés respectivement le 12 décembre 2005 et le 12 décembre 2007.

Il a ensuite salué la présence dans l’audience de l’éditrice Rasha el-Ameer, sœur de l’éditeur, écrivain et journaliste Lokman Slim, enlevé puis assassiné au Liban-Sud dans la nuit du 3 au 4 février 2021. "Vous n’êtes pas seule, nous sommes tous avec vous", a-t-il lancé en direction de Mme El-Ameer.

En présence notamment de l’ancien député Mansour el-Bone, de l’ancien commissaire du gouvernement près le tribunal militaire Peter Germanos, des représentants locaux des Forces libanaises et du parti Kataëb, de l’avocat Majed Boutros Harb, ainsi que de plusieurs personnalités académiques et de la société civile, l’ancien député a ensuite déconstruit les accusations lancées par le Hezbollah à son encontre.

Un parti qui porte plainte mais "ne croit pas en la justice"

"Ceci n’est pas une rencontre électorale, mais politique par excellence", a-t-il affirmé d’emblée, soulignant sa volonté de comparaître lundi matin devant la justice.

"Les habitants du Kesrouan et de Jbeil, ainsi que tous les hommes libres du Liban refusent le maintien de l’hégémonie et de l’occupation iranienne du Liban. Nous respectons la loi, la justice et la Constitution, a indiqué M. Souhaid. Nous ne nous défilerons pas face à une enquête, quelle qu’elle soit, et nous ne nous rebellerons pas contre la justice. Nous n’avons pas peur, nous ne nous soumettrons pas et nous ne sommes pas intimidés par les menaces et les intimidations."

Et l’ancien coordinateur des forces du 14 Mars de poursuivre : "J’ai appelé à cette rencontre en vertu de mon droit, garanti par la Constitution et les lois en vigueur, dans une affaire qui ne m’appartient plus personnellement, mais qui est devenue et qui doit être une question d’opinion publique."

"L’accusation d’‘incitation à la guerre civile’ portée à mon encontre par un membre du bloc parlementaire du Hezbollah, et au nom de son bloc, provient d’un parti qui ne croit pas en la justice : ni la justice internationale dans l’affaire de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri (NDLR, le 14 février 2005 à Beyrouth), ni la justice libanaise dans le dossier de l’explosion du port de Beyrouth", a-t-il estimé.

Un appel camouflé au meurtre

"Cette accusation est en fait un appel à me tuer, sur base de la méthode utilisée depuis longtemps par le député et son parti. Il s’agit également d’une accusation dirigée contre cette maison (…) connue pour son action en faveur de la préservation de la paix civile et du vivre-ensemble à Jbeil et dans l’ensemble du pays, en toutes circonstances", a souligné l’ancien député de la région.

"Demandez aux fils de la région, Messieurs les députés du bloc de la Fidélité à la Résistance, aux fils des villages de Almate, Lassa, Afqa. Mechane, Hjoula et autres (…), musulmans comme chrétiens : cette maison n’a-t-elle pas préservé le vivre-ensemble tout au long de son parcours national ? Vous saurez ainsi que cette accusation en provenance d’une force de facto contrevient à la réalité et prouve que le Hezbollah ne connaît pas le Liban", a ajouté Farès Souhaid.

Et de poursuivre : "Qui incite à la guerre civile ? Le Rassemblement de Saydet el-Jabal auquel j’appartiens ? Le 14 Mars qui a été décimé et n’a assassiné personne ? Le Rassemblement du Bristol qui a libéré le Liban ? Le Rassemblement de Kornet Chehwane, qui a œuvré sous l’égide du patriarche Sfeir ? Ou bien ceux qui menacent le pays avec 100.000 combattants et un arsenal de missiles ‘intelligents’ ? Qui est celui qui ‘incite à la guerre civile’, cette maison qui a toujours défendu l’Etat, sa souveraineté, son indépendance et la légalité, ou bien celui qui a édifié un mini-Etat au sein de l’Etat et qui impose ses propres lois arbitraires aux gens ?"

"Certaines personnes dupées, certaines forces politiques terrifiées ou ambitieuses et même certaines grandes puissances se sont soumises à cette force de fait. Mais cela n’ôte rien à la réalité de la situation, à savoir que les armes échappant au contrôle de l’Etat et de la loi et aux résolutions arabes et internationales constituent la source du problème, de la souveraineté à la crise économique et sociale asphyxiante", a encore dit le porte-parole du Rassemblement de Saydet el-Jabal.

"Jbeil ne se mettra jamais à genoux devant le Hezbollah"

"Vous n’êtes pas seuls dans ce monde. Nous défendons une cause juste, et si quelqu’un défend le droit et le Liban, il ne peut que rallier le monde à sa cause. Cette vérité a enfin été exprimée par le communiqué conjoint franco-saoudien à l’issue de la rencontre entre le président français et le prince héritier saoudien", a-t-il noté.

"Mon tort est de ne pas avoir peur et de ne pas me soumettre. Je n’ai pas été me faire adouber par le Hezbollah pour devenir député ou obtenir un poste quelconque. Je n’ai pas été dupe. Je me suis exprimé ouvertement et publiquement autant que mon devoir national et historique me l’imposait. Cette région ne se mettra jamais à genoux devant le Hezbollah", a martelé Farès Souhaid.

"J’irai demain me présenter devant la justice, fort de mon droit et de ces vérités éclatantes et je compte sur ce qui reste d’intégrité et de crédibilité à la justice. Ce n’est pas moi qui fait face à un test difficile, c’est la justice et l’opinion publique", a-t-il conclu.

"Nasrallah accepterait-il de comparaître devant la justice ?"

Répondant ensuite aux questions des journalistes, Farès Souhaid a confirmé qu’il se présentera lundi devant le juge d’instruction par "respect pour l’autorité judiciaire". Mais il a posé illico presto le problème de l’égalité de tous devant la loi, demandant "si le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah ou n’importe quel dirigeant du Hezbollah étaient eux soumis à la loi," et s’ils accepteraient, partant, de "répondre à leur tour à une convocation devant la justice".

"J’ai accusé le Hezbollah de l’explosion du port de Beyrouth comme trois millions de Libanais l’ont fait aussi, et je continue de l’accuser. Le port, en tant que frontières maritimes, est tenu par le Hezbollah. Il est de son devoir de nous dire qui a fait détoner le nitrate d’ammonium si ce n’est pas lui", a précisé M. Souhaid en réponse à une question sur son tweet incriminé.

" Si vous n’êtes pas responsables, pourquoi faire obstruction à l’enquête ?"

"Le Hezbollah n’a pas à réclamer à un ministre proche de lui de ne pas répondre à la convocation du juge d’instruction chargé de l’enquête sur le port. S’il n’est pas impliqué dans cette affaire, il devrait faciliter le travail de la justice. Par le simple fait d’obstruer l’enquête, il s’accuse lui-même avant d’être accusé ", a-t-il noté.

"Mon accusation est politique et ne se fonde pas sur des preuves tangibles", a-t-il reconnu. Avant d’ajouter, à l’adresse du Hezbollah : " Mais vous ne pouvez pas obstruer l’enquête et puis venir me reprocher d’avoir pointé un doigt accusateur à votre encontre."

"Pourquoi le Hezbollah a-t-il déposé une plainte contre moi devant la justice ? Pour dire que si jamais je suis victime d’une agression, il peut s’en laver les mains puisqu’il a été devant les tribunaux ?" s’est-il interrogé.

"Le Hezbollah contrôle aujourd’hui l’Etat et sa décision sécuritaire, et lui dicte ce qu’il doit faire. Ce parti ne peut pas me convaincre qu’il peut décider de la guerre, mais qu’il n’a absolument rien à voir avec des explosions et des attentats qui se déroulent au Liban, jusqu’au point de ne pas aider à faire la lumière sur ces dossiers", a estimé M. Souhaid.

Il a enfin appelé à "la formation d’un front d’opposition transcommunautaire à l’occupation iranienne avant de parler des élections législatives".

Déclarations de soutien

Plusieurs personnalités ont par ailleurs exprimé leur soutien dimanche à Farès Souhaid sur les réseaux sociaux, notamment les député Waël Bou Faour et Akram Chéhayeb (Parti socialiste progressiste), ainsi que les députés démissionnaires Nadim Gemayel, Michel Moawad et Neemat Frem.

Ici Beyrouth