Lorsque le 10 octobre, le négociateur américain Amos Hochstein a transmis au président Michel Aoun la version finale de l’accord tripartite qui sera signé jeudi par le Liban, les États-Unis et Israël, nous pouvions, sans faire preuve d’une imagination excessive, nous douter que cela donnerait lieu à un nouvel épisode d’hypocrisie politique qui in fine sert les intérêts du Hezbollah au détriment de ceux du Liban et des Libanais.

Au-delà de la délimitation de la frontière maritime sud, ce projet d’accord établit un certain nombre de droits et d’obligations entre les parties, comme par exemple le partage du pétrole et de son profit résultant de l’exploitation du bloc 9 ou encore le partage des données relatives à l’exploration des deux blocs limitrophes entre les parties. Le Liban et Israël s’engagent aussi à régler tout différend relatif à cet accord via des discussions menées dans "une atmosphère positive et constructive". Le document prévoit enfin que le gouvernement libanais marque formellement son accord au sujet des différentes conditions par l’envoi d’une lettre officielle du gouvernement à l’attention des États-Unis.

L’une des caractéristiques essentielles de cet accord est finalement qu’il met fin à une situation de conflit et de belligérance dans une zone disputée. Cette "transaction" ne peut dès lors être, au regard du droit international, qu’une convention internationale, autrement dit, un traité international. Et c’est donc naturellement sur l’article 52 de la Constitution que le président de la République s’est appuyé pour entreprendre, en consultation avec le chef du gouvernement, les négociations (1ᵉʳ paragraphe). Cependant, ce même article 52 prévoit explicitement dans son deuxième paragraphe qu’un tel traité ne peut être ratifié qu’après l’accord du Parlement (après avoir obtenu l’aval du gouvernement à la majorité des deux tiers de ses membres, selon l’article 65).

Certains avaient imaginé invoquer la loi 163/2011 pour évincer le Parlement et donner au gouvernement, et, par un étrange transfert, au président, le pouvoir de déterminer et délimiter la frontière maritime du sud pour lancer l’exploration et l’exploitation de notre réserve pétrolière dans les blocs limitrophes à Israël. Ceux-là se trompaient sur les prérogatives prévues par l’article 17 de cette loi. En effet, cet article stipule que "les procès-verbaux d’application des dispositions de la présente loi, notamment en ce qui concerne la délimitation des différents espaces maritimes, sont fixés par arrêtés pris en Conseil des ministres sur proposition des ministres compétents". La loi ne donne donc aucunement au gouvernement le droit de délimiter les frontières maritimes du Liban, mais uniquement de déterminer les différents espaces maritimes créés par cette même loi. De surcroît, si le Conseil des ministres devait délimiter ces frontières maritimes, ce dernier devrait être saisi par les ministres compétents. Or "ces ministres compétents" ont été déchus de leur compétence à l’égard de l’accord Hochstein, aucun d’entre eux n’ayant été informé du processus ayant conduit à sa finalisation.

Par ailleurs, la loi de 2011 ne donne aucunement le droit au gouvernement de négocier les frontières ou bien de négocier un accord international, mais uniquement la possibilité de déterminer les espaces maritimes et d’en informer les Nations unies en conséquence. À l’évidence, les négociations indirectes avec Israël conduites par l’exécutif ces dernières semaines par l’intermédiaire du négociateur américain sortent du cadre des prérogatives de la loi de 2011.

Les négociateurs auraient été mieux inspirés d’inscrire leurs discussions dans le cadre de l’accord d’armistice entre le Liban et Israël de 1949 qui, dans son article 7, donne pouvoir à la commission d’armistice mixte de résoudre tout conflit entre les deux parties sans devoir nécessairement revenir au gouvernement et/ou Parlement. Faute d’avoir fait ce choix, l’exécutif (le président) ne peut s’appuyer que sur l’article 52 de la Constitution avec l’obligation de faire approuver tout accord international par le Parlement.

Le président et son clan ne cessent maintenant de s’agiter pour justifier, par des approches non conformes à la Constitution, la non-saisine du Parlement. Ce faisant, à cause de leurs agissements, l’accord Hochstein, et par extension ses effets, revêtent une valeur juridique réelle bien différente de celle qu’ils souhaitaient. En effet, cet accord, s’il n’est pas approuvé par le Parlement, demeurera un acte administratif simple et sera soumis au contrôle de légalité par rapport aux lois en vigueur, et notamment par rapport à la loi de 1955 relative au boycott d’Israël. La décision de l’exécutif de signer cet accord semble donc, au regard de cette loi, illégale et tout acte en découlant le serait tout autant et pourrait faire l’objet d’un recours en illégalité, voire de poursuites pour trahison pour collaboration avec l’ennemi.

Afin d’éviter une telle situation, qui serait aussi ridicule qu’embarrassante, le président et le gouvernement sont appelés à soumettre cet accord au Parlement afin de le faire approuver et de l’introduire dans le "bloc de conventionnalité", ce qui lui donnerait une valeur supérieure à la loi, éliminant ainsi tout risque de recours en illégalité.

Les raisons d’un tel amateurisme sont malheureusement moins à chercher dans l’incompétence de ses auteurs que dans leurs compromissions politiques. Tout doit être fait pour épargner autant que faire se peut l’ami du président. Si ce dernier insiste tant et déploie tant de supercherie pour faire passer cet accord en catimini, le plus discrètement possible, c’est simplement pour protéger et garantir la "légitimité" et la "crédibilité" de son "wali", le Hezbollah. La situation est simple. Le Hezbollah approuve tacitement cet accord (victoire et acclamation), mais ne veut pas être acculé à voter un texte qui reconnaîtrait expressément (et officiellement) l’État d’Israël.

Choisir entre l’intérêt du Liban et l’intérêt du Hezbollah semble être un dilemme cornélien pour certains. Le président de la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice, Georges Adwan, en avait fourni un parfait exemple quand – suite à ma requête de réclamer que l’accord soit soumis à la discussion des députés au sein de la Chambre – il a repris le discours, par ailleurs dominant dans les médias à ce moment-là, qui distinguait entre l’intérêt stratégique pour le Liban de signer un tel accord pour l’exploitation de ses ressources, et l’intérêt, sous-entendu l’intérêt Hezbollah, de ne pas signer un accord international qui ferait reconnaître officiellement l’existence d’Israël par l’État libanais.

Cette hypocrisie doit cesser. Cette hypocrisie nous a d’ores et déjà coûté quatre décennies de discorde, de guerre et de retard économique, financier et stratégique. Plusieurs générations en ont payé le prix. D’autres le paieront aussi si rien ne change. Plus que jamais, il est temps de remettre le Liban sur la voie du développement, fidèle à son histoire et ses racines, et d’accepter que paix et stabilité soient le seul moyen d’assurer la prospérité économique du pays et de garantir une nouvelle ambition collective pour notre peuple.

Il y a 40 ans, le Parlement votait et approuvait, à une large majorité, l’accord dit du 17 Mai. Il suffisait alors au président de la République de le promulguer. Aujourd’hui, c’est le président (et dans l’arrière-scène le Hezbollah) qui souhaite signer un accord économique, stratégique et financier avec Israël, bien entendu en préservant les apparences (sans vouloir le faire passer au vote parlementaire et/ou gouvernemental).

Enfin, je m’adresse à M. Hochstein, et à travers lui aux diplomaties américaine et française. Pour que vos efforts soient justement récompensés et qu’ils produisent tous leurs effets, faites que cet accord soit véritablement historique, protégez-le de toute attaque contre sa légalité en garantissant sa valeur juridique, faites-le voter par la Chambre des députés.