Dans quelle mesure la souveraineté du Liban a-t-elle été bafouée par le tracé définitif de la frontière maritime sud? Retour sur les principales étapes diplomatiques y ayant préludé, ainsi que sur l’origine des coordonnées retenues, amendées ou écartées, pour mieux cerner la portée du document final.

La mouture finale de l’accord sur la frontière maritime libano-israélienne est l’aboutissement de dix années de médiation américaine, relancée il y a deux ans sous l’égide des Nations unies. Selon le texte de l’accord divulgué dans un premier temps par les médias israéliens, le tracé retient en partie la ligne 23 (revendication officielle libanaise) plutôt que la ligne 29 (demande maximaliste libanaise défendue par l’armée), et en partie la ligne Hoff (intermédiaire entre la ligne 1, la plus avantageuse pour Israël et la ligne 23). L’accord inclut dans l’espace maritime israélien l’intégralité du champ de Karish – que la ligne 29 aurait inclus dans l’espace libanais. En outre, Israël et le Liban se partagent le champ de Cana géographiquement, ainsi que les profits de l’exploitation des ressources, même si les bénéfices seront versés à l’État hébreu sur la part de gain de la société pétrolière chargée de l’exploitation, en l’occurrence TotalEnergies.

Dans quelle mesure la souveraineté du Liban a-t-elle été bafouée par cet accord? Retour sur les principales étapes diplomatiques relatives au tracé de la frontière maritime sud, ainsi que l’origine des coordonnées retenues, amendées ou écartées, pour mieux cerner la portée du document final.

Historique des négociations indirectes

Frederic Hoff

La médiation américaine commence lorsque surgit devant l’ONU le différend maritime entre le Liban et Israël. Le diplomate américain Frederic Hoff, fort d’une expertise dans les conflits maritimes, est désigné en 2010 par l’administration Obama pour trouver une solution intermédiaire. Ses efforts se poursuivent jusqu’en 2012 et aboutissent à proposer la division en deux de la zone litigieuse, identifiée comme située entre la ligne 1, revendiquée par Israël, et la ligne 23, défendue par le Liban. La ligne médiane est baptisée Hoff.

Le Liban, représenté à l’époque par le président de la Chambre Nabih Berry, et Israël sont tous deux réfractaires à cette solution. Le timing régional, marqué entre autres par le début de la révolution en Syrie, dans laquelle s’impliquera le Hezbollah, ne se prête pas encore à un compromis.

Hochstein et l’approche démocrate

Conseiller à l’époque du vice-président Joe Biden et chargé du dossier des hydrocarbures en Méditerranée orientale sous l’administration Obama, Amos Hochstein tente de mettre en marche en 2015 le processus de négociations indirectes entre le Liban et Israël. Si aucun résultat perceptible ne s’en dégage encore, se confirme "la vision stratégique de l’administration démocrate, précisément l’équipe de Joe Biden, même avant qu’il ne soit élu président, d’utiliser le gaz comme outil de résolution des conflits", explique à Ici Beyrouth Charbel Skaff, expert en énergie et chargé de cours à l’Université Saint-Joseph. Il aurait proposé déjà alors de charger une société pétrolière de l’exploitation des champs et la répartition des bénéfices entre le Liban et Israël, misant ainsi sur les intérêts économiques pour assainir les rapports. Une proposition rejetée par le Liban par crainte qu’elle ne comporte les prémices d’une normalisation, mais qui sera en partie retenue dans l’accord final, quelques années plus tard.

David Satterfield

Le 16 février 2018, une nouvelle mission de médiation est confiée au secrétaire d’État adjoint pour les affaires du Proche-Orient de l’époque, David Satterfield. Le Liban venait de signer une semaine plus tôt, un accord avec le consortium Total-Eni-Novatek (Novatek a fini par s’en retirer) pour entamer la prospection au niveau des blocs 4 et 9, ce dernier tombant dans la zone disputée. David Satterfield relance la proposition de Hoff, dont le Liban réitère le refus.

En mars 2019, Mike Pompeo, alors secrétaire d’État américain effectue une visite officielle au Liban où il évoque, entre autres, le tracé de la frontière maritime avec Israël avec le président de la République Michel Aoun, le Premier ministre de l’époque Saad Hariri et le président de la Chambre Berry.

Il s’ensuit deux visites consécutives de M. Satterfield à Beyrouth en mai 2019, où il notifie Saad Hariri, Nabih Berry et Gebran Bassil, alors ministre des Affaires étrangères, de la possibilité d’entamer les négociations indirectes avec Israël, sachant qu’il aurait plaidé dans un premier temps pour des négociations directes. Il aurait en outre, sans succès, proposé d’assortir les négociations d’un délai de six mois. Le médiateur américain continuera de faire la navette entre Tel Aviv et Beyrouth jusqu’à ce qu’il soit nommé ambassadeur de son pays en Turquie.

Schenker

David Schenker

En septembre 2019, David Schenker, alors secrétaire d’État adjoint pour le Moyen-Orient, prend la relève de David Satterfield.

Le 3 septembre 2020, il se rend au Liban après la double explosion au port de Beyrouth sans s’entretenir avec aucun des trois pôles du pouvoir. Jusqu’alors, Nabih Berry est officiellement chargé du dossier du côté libanais. Quelques jours plus tard, le 8 septembre 2020, sont annoncées des sanctions contre les deux anciens ministres libanais Youssef Fenianos et Ali Hassan Khalil. Celles-ci auraient, de l’avis d’observateurs, catalysé la mise sur pied des négociations indirectes à Naqoura.

Les négociations indirectes de Naqoura et l’accord-cadre

Les négociations indirectes entre le Liban et Israël sont relancées en octobre 2020, sur base d’un accord-cadre parrainé par le président de la Chambre Nabih Berry, et dont ce dernier fait l’annonce le 1er octobre 2020. Cet accord-cadre, qui aurait été parachevé au fil des médiations américaines, ne mentionne pas de coordonnées précises comme points de départ des négociations. Il dissocie en outre le tracé de la frontière maritime du tracé de la frontière terrestre, ce dernier étant prévu par la résolution 1701 de 2006, et consacre la médiation américaine dans la gestion du conflit maritime. Le recours à l’arbitrage international est ainsi écarté, et toute référence au droit maritime international omise, selon une lecture critique de l’accord.

La première phase des négociations indirectes se déroule sur cinq rounds à Naqoura, sous l’égide de la Finul. La délégation libanaise est présidée par un militaire, qui mène les négociations, indépendamment de la présence aussi d’un expert civil et d’un membre du comité de gestion du secteur du pétrole. Cette présence civile souhaitée par le président Michel Aoun avait suscité les réserves du Hezbollah et de Amal, préférant restreindre les négociations au niveau militaire. Une première réunion se tient le 14 octobre 2020, suivie par d’autres en date du 28 et 29 octobre et du 11 novembre 2020, et une dernière en mai 2021, sous l’égide des Nations unies et sous médiation américaine.

C’est à partir de mai qu’elles seront suspendues, et définitivement arrêtées avec le départ à la retraite, le 7 octobre 2021, du chef de la délégation libanaise, le général Bassam Yassine, sans qu’il ne soit procédé au renouvellement de son mandat, ni à la désignation d’un successeur.

Bien que qualifiées ponctuellement de fructueuses par Washington, les négociations feront long feu. L’armée libanaise s’engage en effet à défendre d’une manière inédite la ligne 29, demande maximaliste plus avantageuse pour le Liban, comme point de départ des négociations. La demande est d’entrée rejetée par les Israéliens. L’émissaire américain à cette période John Desrocher invite la délégation libanaise à limiter les négociations aux deux lignes soumises respectivement par le Liban et Israël auprès de l’ONU, respectivement la 1 et la 23. Cette démarche est critiquée par la partie libanaise comme étant contraire au principe de négociations sans condition préalable. Elle ne tient pas compte, du reste, des arguments scientifiques et juridiques avancés par l’armée libanaise en faveur de la ligne 29. Mais le Liban officiel finira lui-même par se dissocier implicitement de la position de l’armée avec le non-renouvellement du mandat du général Yassine.

David Hale

L’ancien ambassadeur américain au Liban David Hale se rend à Beyrouth à trois reprises en décembre 2019, puis en août 2020 et en avril 2021, alors qu’il est sous-secrétaire d’État pour les affaires politiques. Ses deux premières visites préludent au début des négociations indirectes à Naqoura, et la troisième est suivie par une ultime réunion après une période de suspension de ces négociations.

Le sprint final de Hochstein

Le conseiller américain à la Sécurité énergétique mondiale et ancien chargé du dossier des hydrocarbures en Méditerranée orientale sous l’administration Obama, Amos Hochstein, est désigné le 10 août 2021 par l’administration Biden pour accompagner et mener à terme les négociations indirectes interrompues quelques mois auparavant. Il effectue une série de visites au Liban dès octobre 2021. Sa médiation se caractérise notamment par un pragmatisme qui consiste à répartir les richesses dans la zone litigieuse entre les deux parties au conflit.

Son passage en février 2022 s’accompagne de signes d’un tassement du débat autour de la ligne 29, revendication maximaliste non officialisée. L’armée renonce formellement à son forcing en faveur de la ligne 29, par la voix de son commandant en chef, le général Joseph Aoun. "L’institution soutient toute décision du pouvoir politique dans cette affaire", dira le commandement dans un communiqué après un entretien avec Amos Hochstein à Yarzé, sur fond d’attaques inédites du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, contre l’armée et son chef.

C’est en mars 2022, après un autre passage de l’émissaire à Beyrouth, que fuite pour la première fois l’option de la ligne 23 déviée, qui part du point 23 à l’est et relie la ligne Hoff à l’ouest. La ligne 23 détournée devrait conduire à inclure la totalité du champ de Cana dans le domaine maritime du Liban, en contrepartie de compensations financières et/ou territoriales (parmi les options évoquées, une partie du bloc 8) pour Israël. Ces compensations seront examinées lors de deux visites successives de l’émissaire américain fin juin et début août 2022.

Entretemps, l’arrivée de la plateforme de forage Energean Power dans le champ de Karish, revendiqué par Israël, en juin 2022 n’est pas sans accélérer, au final, les négociations.

Le 6 juillet 2022, Michel Aoun rompt le silence officiel et annonce que le tracé sera "bientôt achevé". Le 14 juillet 2022, il affirme qu’une réponse libanaise à l’offre de M. Hochstein a été soumise un mois auparavant à l’émissaire américain. Il défend les droits du Liban sur l’intégralité du champ de Cana et confirme, à l’agence Anadolu, la possibilité de retenir un tracé dévié de la ligne 23 proposé par M. Hochstein. Michel Aoun dissocie enfin la revendication libanaise de l’intégralité du champ de Cana de toute revendication liée au champ de Karish "dont la grande partie se trouve du côté de la Palestine occupée et seulement une petite partie se situe dans la zone disputée si l’on retient la ligne 29".

La visite de M. Hochstein en août est marquée par un optimisme affiché de pair par l’émissaire et les trois pôles du pouvoir. Ces derniers tiendront avec lui une réunion conjointe inédite au palais de Baabda. L’option d’un partage des revenus de Cana est écartée par les sources officielles libanaises, mais sera retenue dans l’accord final.

Ces avancées s’accompagnent toutefois d’une escalade ponctuelle du Hezbollah, sur laquelle s’abstient de s’aligner le Liban officiel.

Entre les deux visites de M. Hochstein, trois drones du Hezbollah survolent le champ de Karish, comme l’annonce le parti armé pro-iranien le 2 juillet 2022, et sont interceptés par Israël. Quelques jours plus tard, à la veille de la visite de M. Hochstein en août, le Hezbollah diffuse une vidéo menaçant d’une offensive contre les plateformes de Karish. Le 13 juillet 2022, Hassan Nasrallah menace de frapper "Karish et au-delà" si Israël entame l’exploitation avant la fin des négociations. Le 19 juillet, Israël rétorque. Sur cette fond d’escalade, le président des États-Unis Joe Biden effectue une visite en Israël. Mais le ton menaçant du parti pro-iranien est surtout perçu alors, notamment par des experts, comme la preuve que le dossier avance. Ce qui sera confirmé par la suite.

La ligne des bouées

Lors de sa visite à Beyrouth le 9 septembre, préludant à la finalisation de l’accord, Amos Hochstein fait parvenir à la partie libanaise une demande israélienne nouvelle relative à la ligne dite des bouées. L’État hébreu pose comme condition, pour inclure l’intégralité du champ de Cana dans le domaine maritime libanais, de dévier la ligne 23 de sorte à préserver la zone maritime sure israélienne, d’une superficie de 2,4 km2, située entre la ligne dite des bouées au nord, s’étendant sur 3 à 5 kilomètres à partir de Ras Naqoura, et la ligne partant du point B1 (commencement de la 23 à 28 mètres du littoral) au sud. La ligne des bouées avait été mise en place par Israël après son retrait du Liban-Sud en 2000. En réponse à Amos Hochstein, Le Liban pose la condition que la ligne des bouées n’affecte pas le tracé de la frontière terrestre.

L’accord maintiendra la zone sûre sans toutefois en retenir le tracé comme une solution définitive. "L’accord ne retient ni le point B1 ni Ras Naqoura et remet le problème à plus tard", constate Charbel Skaff, qui estime que l’accord a dissocié le tracé de la frontière maritime de celui de la frontière terrestre. D’autres experts plus critiques de l’accord, s’attardent sur le fait que l’accord fait référence à la zone sure par le terme "statu quo" plutôt que "fait accompli", préludant à sa reconnaissance définitive en faveur d’Israël.

Le tracé de la ligne 23 est également critiqué pour n’avoir pas retenu comme point de départ le point terrestre de Ras Naqoura, pourtant reconnu dans l’Accord Paulet-Newcombe, du 7 mars 1923, sur lequel se base expressément l’Accord d’armistice libano- israélien du 23 mars 1949. Selon l’accord, le tracé de la 23 commence par un point maritime à 28 mètres de Ras Naqoura. Pour Charbel Skaff, cela ne change rien à l’exploitation des ressources, autorisée seulement au-delà de 3 milles marins du littoral en vertu du droit maritime.

Le point 1

La ligne 1 est mentionnée pour la première fois dans un accord non ratifié, négocié entre le Liban et Chypre en 2007, relatif à la délimitation de la Zone économique exclusive (ZEE) entre les deux pays.

"Cette ligne 1 renvoie au dernier point, situé à la frontière libano-israélienne, de la ligne médiane maritime libano-chypriote convenue alors par les deux parties", comme l’explique Fouad Siniora, alors Premier ministre, dans un ouvrage-bilan. Chaque point de la ligne médiane "est équidistant du point le plus proche des lignes de référence de chaque partie", selon l’article 1 du projet de l’accord. La ligne convenue reliera six points qui vont du point 1 au sud jusqu’au point 6 au nord.

Pour pouvoir entamer la prospection des gisements d’hydrocarbures découverts dans le bassin méditerranéen, Chypre avait souhaité délimiter la ZEE avec le Liban quitte à ce que les points géographiques litigieux, entre le Liban et Israël (au Sud du Liban) d’une part, et le Liban et la Syrie (au Nord du Liban) d’autre part, soient fixés unilatéralement.

Les coordonnées géographiques des points 1 et 6 "peuvent (donc) être revues ou changées (…) selon le besoin à la lumière de la délimitation ultérieure des ZEE avec les autres États voisins concernés (…)", prévoit le projet de l’accord. Selon le texte, "si l’une des parties entre en négociation pour délimiter sa zone économique exclusive avec un autre État, il faut qu’elle en notifie l’autre partie et qu’elle se concerte avec elle avant d’aboutir à un accord final avec l’autre État, si cela concerne la détermination des coordonnées des points 1 ou 6".

Non-ratification et erreur de calcul

Signé le 17 janvier 2007, ce projet d’accord n’a pas été ratifié par le Parlement libanais.

Le gouvernement, explique Fouad Siniora, n’a pas envoyé le texte à la Chambre "au vu d’abord du besoin de parachever la détermination de la ZEE au sud et au nord, et de la nécessité ensuite de procéder à plus d’études". D’autres informations font état d’une pression de la part de la Turquie sur le Liban, la première ayant des réserves sur un accord avec Chypre qui n’inclut pas l’État chypriote turc, seul reconnu par Ankara. D’autres disent encore que le Parlement s’est opposé à la ratification du traité, qui lui a été soumis, pour "l’erreur" de calcul des coordonnées, notamment le point 1. Charbel Skaff confirme les deux lectures en précisant que "le gouvernement libanais s’est alors rendu compte qu’il pouvait revendiquer plus d’espace maritime vers le sud".

Il s’est donc employé à poursuivre unilatéralement le tracé de sa frontière maritime sud avec Israël et nord avec la Syrie, des négociations n’étant pas encore à ce stade envisagées. Une commission a été créée à cette fin, entamant ses travaux le 30 décembre 2008, et aboutissant à fixer le point 23 (qui accord 860 km2 de plus pour le Liban) comme point de départ des négociations sur la frontière maritime sud avec Israël (voir plus bas), et le point 7 pour la Syrie.

Sauf que l’État chypriote a entretemps conclu avec Israël, le 17 décembre 2010, un accord bilatéral de délimitation de la ZEE, retenant le point 1 comme point de délimitation de la frontière maritime entre le Liban et Israël, soit 5 mois après que le Liban eut déposé les points 23 et 7 à l’ONU.

Manœuvre israélienne

Cet accord s’est fait "sans notification ni consultation préalable avec l’État libanais", selon Fouad Siniora. L’explication qui lui en aurait été donnée par un responsable chypriote rencontré en marge d’une conférence à Chypre est que "les responsables chypriotes n’ont pas pu entrer en contact avec les responsables libanais à l’époque".

L’ancien Premier ministre dénonce une volonté israélienne "de semer la confusion chez la partie libanaise et la distraire". Ce que confirment des experts en précisant toutefois que le projet d’accord a fourni un prétexte en or à l’État hébreu pour revendiquer la ligne 1 et ne jamais s’en départir jusqu’à la finalisation du tracé. Cette erreur de calcul libanaise aura donc d’entrée affaibli sa posture aux négociations.

Le Hezbollah a profité de cette erreur à la manière d’Israël pour désavouer le cabinet Siniora et faire de la surenchère interne sur ce dossier.

Démarches préventives libanaises insuffisantes

Le Liban ne manque pas de s’opposer immédiatement à l’accord entre Israël et Chypre, dans une lettre adressée le 20 juin 2011 au secrétaire général de l’ONU, par le ministre libanais des Affaires étrangères, membre du gouvernement présidé par Najib Mikati à l’époque.

Le 12 juillet 2011, Israël dépose à l’ONU les limites de sa ZEE en retenant unilatéralement la frontière maritime sud avec le Liban qui va de Naqoura au point 1, un an après que le Liban eut déposé son tracé de la frontière allant de Naqoura au point 23 le 14 juillet 2010. Israël reconnaît dans sa lettre adressée à cette fin à l’ONU que les coordonnées géographiques retenues, en l’occurrence le point 1, sont sujettes à des amendements après la finalisation d’un accord entre les parties concernées. Le Liban adresse une nouvelle lettre de contestation à l’ONU par l’intermédiaire du ministre libanais des Affaires étrangères en date du 3 septembre 2011.

Dans la lettre, Beyrouth demande à l’ONU de charger la partie compétente de tracer la frontière maritime avec Israël, en partant du point préconisé par le Liban. Mais dans la lettre, il n’y a pas référence à la résolution 1701 qui prévoit l’assistance de l’ONU à ce niveau si le Liban en formule la demande. Dans sa réponse écrite, en date du 18 octobre 2011, à la missive libanaise, le secrétaire général de l’ONU à l’époque, Ban Ki-moon, précise en substance qu’une telle démarche requiert au préalable l’accord des parties concernées et/ou un mandat spécial par le Conseil de sécurité.

Le point 23

Le point 23, qui accorde 860 km2 supplémentaire pour le Liban que le point 1, a été adopté sous le gouvernement de Fouad Siniora en 2009, et officialisé par un décret sous le gouvernement Mikati en 2011 et enregistré à la même date aux Nations unies comme point officiellement défendu par le Liban.

Il conclut les travaux d’un comité spécial créé par le gouvernement Siniora fin 2008 en vertu de la décision 107/2008 pour définir unilatéralement la frontière maritime libanaise sud avec Israël et nord avec la Syrie.

Le comité était formé de sept membres, représentants respectifs des ministères des Travaux publics, de l’Énergie, de la Défense et des Affaires étrangères, ainsi que de l’armée, du Conseil national pour les recherches scientifiques et de la présidence du Conseil des ministres.

Le comité a décidé de retenir le point 23 comme point de départ des négociations sur la frontière maritime sud avec Israël, et le point 7 pour la Syrie, ces deux points étant respectivement jugés plus avantageux que les points 1 et 6 décrits plus haut.

Le comité a pu consulter lors de ses travaux une étude élaborée par l’Institut hydrographique du Royaume-Uni (United Kingdom Hydrographic Office, UKHO), relevant du ministère de la Défense britannique datant de 2006 (à distinguer de l’étude de 2011, plus claire sur le point 29) et ayant retenu "un point situé entre le point 1 et le point 23", explique Fouad Siniora sans plus de détails.

Le comité libanais juge plus avantageux pour le Liban de retenir la ligne 23, que Siniora décrit comme étant la ligne la plus agressive ("Most Aggressive Line") et accordant un plus large territoire au Liban du côté sud ainsi qu’un avantage au niveau des négociations.

Dans le rapport du comité ministériel signé par ses membres en date du 29 avril 2009, le comité décide, après avoir comparé ses conclusions avec celles de l’Institut britannique, que le point 23 "sert plus l’intérêt du Liban, surtout qu’il a été fixé en vertu du droit maritime et sur base des cartes existantes (signées et annexées au rapport)".

Le rapport en question a été entériné par la décision numéro 51 du Conseil des ministres en date du 13 mai 2009. C’est sur cette base que le Liban a déposé à l’ONU le 14 juillet 2010 les coordonnées de sa ZEE, avec les points Sud et Nord fixés unilatéralement.

Le décret 6433/2011

L’adoption du point 23 a ensuite été confirmée par le gouvernement de Najib Mikati, en vertu du décret numéro 6433 adopté le 1er octobre 2011. Ce décret fait suite à la loi numéro 163 du 18 août 2011 portant sur la délimitation et la proclamation des zones maritimes libanaises et habilitant le gouvernement à définir ses frontières maritimes. Le cabinet Mikati avait déjà, avant le vote de la loi en question, commandé une nouvelle étude à l’UKHO qui lui a remis ses conclusions le 17 août 2011. L’option de la ligne 29, pourtant clairement mentionnée dans le rapport, est sciemment écartée. Certains experts soupçonnent un forcing de Washington dans ce sens pour accélérer un compromis.

Le choix officiel de retenir la ligne 23 sera une nouvelle fois confirmé par un nouveau comité formé en vertu d’une décision du cabinet Mikati numéro 75 en date du 11 mai 2012, pour revoir le tracé de la ZEE libanaise. Dans ses conclusions, le comité défend le point 23 comme devant servir "à la base à accorder au Liban une position avancée en cas de négociations futures sur les frontières définitives".

La Ligne Hoff

Les divergences libano-israéliennes ont conduit les États-Unis à proposer, via l’émissaire américain Hoff, en 2012 de diviser en deux la zone disputée, située entre la 23 et la 1. À cette fin, une ligne médiane équidistante des lignes Naqoura-1 revendiquée par Israël et Naqoura-23 revendiquée par le Liban est proposée. Il s’agit de la ligne Hoff. Sachant que la zone séparant les deux lignes est d’une superficie de 860 km2, la ligne Hoff accorde près de 500 km2 au Liban et 360 km2 à Israël. Le Liban s’y est vite opposé, ce qui a amené Washington à proposer au Liban de retenir la ligne Hoff comme frontière temporaire. Une option également rejetée par le Liban par crainte que le provisoire ne dure.

Le point 29, revendication maximaliste

Le point 29 accorde en faveur du Liban une surface maritime de 1430 km2 de plus que le point 23 et divise le champ de Karish entre les deux pays ainsi que le bloc israélien 72.

Les experts, y compris ceux qui jugent acceptable le tracé final obtenu avec Israël, s’accordent à dire que le point 29 est le plus fidèle au droit maritime et aux critères scientifiques. Ce point complète en effet le tracé d’une ligne médiane qui n’inclut pas le rocher de Takhlit, situé à près de 1.800 mètres au sud-ouest de Ras Naqoura, point de départ de la ligne 29. Ce rocher étant inhabitable, il ne devrait pas être inclus dans la délimitation de la ZEE libanaise selon le droit maritime.

Le point 29 apparaît le plus clairement dans le troisième rapport soumis par l’UKHO en 2011 à la demande du gouvernement Mikati, et qui n’a été rendu public par les autorités libanaises qu’en décembre 2020 pour des raisons non élucidées.

L’étude technique propose trois lignes assimilables à la ligne Naqoura-23, la ligne Naqoura-29 (désigné par A) et une ligne qui coupe Takhlit en deux. Les témoignages d’hommes politiques font mention du rapport sans en évoquer l’incidence, ni positive, ni négative, sur la décision du cabinet Mikati de voter le décret 6433/2011 mentionné plus haut et retenant le point 23, plutôt que le point 29.

L’armée

C’est l’armée libanaise qui plaidera principalement en faveur du point 29. À partir de 2014, la troupe s’attelle à constituer son propre bureau hydrographique et des militaires libanais sont formés à cette fin par des officiers européens. Ce bureau effectue des levées hydrographiques du littoral de Naqoura en juin 2018 et produit sur base des nouvelles données recueillies une nouvelle étude technique des frontières maritimes, rejoignant les conclusions de l’UKHO, qu’il transmet une première fois, mais sans suite, au gouvernement en 2019 (présidé à l’époque par Saad Hariri) par l’intermédiaire du ministère de la Défense, confié à l’époque à Élias Bou Saab.

L’armée baptise le tracé "ligne 29" (l’équivalent de la ligne A de l’UKHO). Elle demande une nouvelle fois au ministère de la Défense de notifier le gouvernement de l’urgence de modifier les coordonnées de la ZEE sud, et donc d’amender le décret 6433, même avant le début des négociations indirectes à Naqoura.

Le faux-sursaut de Michel Aoun

Le 21 juillet 2020, soit plusieurs mois plus tard, le président de la République Michel Aoun entame d’une manière inattendue une démarche dans un objectif déclaré d’amender le décret 6433, quelques mois par ailleurs avant la conclusion de l’accord-cadre.

Se basant sur l’étude britannique, il charge l’expert militaire Najib Massihi d’élaborer un rapport avec la participation du conseiller à la présidence Tony Haddad. Il donne ensuite la directive de ne retenir que le point 29, à la délégation de l’armée représentant le Liban aux négociations de Naqoura entamées le 14 octobre 2020. Le 19 octobre, une délégation de la Finul se rend à Baabda.

L’armée et le président plaideront en parallèle dans les médias en faveur du point 29 jusqu’à presser dans son discours le gouvernement, alors d’expédition des affaires courantes et présidé par Hassane Diab, à un amendement du décret 6433. Le projet d’amendement du décret sera, contre les attentes aounistes, paraphé par le ministre sortant des Travaux publics et la ministre sortante de la Défense, et envoyé par le Premier ministre sortant Hassane Diab au président de la République pour "approbation exceptionnelle". En dépit de ses exhortations à l’adoption du décret, Michel Aoun refuse de le promulguer, et renvoie le texte au gouvernement le 13 avril 2021, posant comme condition à toute signature du décret, un consensus en Conseil des ministres.

En plus de relever la mention "après l’approbation en conseil des ministres" sur le texte en question, Baabda se base sur un avis du département de la législation et des consultations au ministère de la Justice, exigeant l’approbation préalable en Conseil des ministres, requise d’autant plus que la question est d’une portée stratégique pour le pays. Si certains juristes ont estimé que Hassane Diab aurait pu réunir le cabinet, même d’expédition des affaires courantes, au vu de l’importance du dossier, la présidence du Conseil a fait valoir dans un communiqué, que des décrets urgents avaient été promulgués sans réunion du cabinet.

Cette polémique révèle, par-delà les arguments des uns et des autres, une volonté générale de ne plus faire mention de la 29 dans le discours officiel.

Elle soulève, par conséquence, les questions sur les motifs réels du président de la République de plaider pour son adoption, s’il n’entendait pas y donner suite.

Les motifs de Michel Aoun font l’objet de plusieurs hypothèses: détourner l’attention du public d’une situation générale morose, après la répression de la révolution de 2019, la crise économique et la tragédie du 4 août 2020; retirer le dossier des mains de Nabih Berry et en faire une victoire pour le Courant patriotique libre; utiliser ce dossier, en feignant une demande maximaliste, pour monnayer auprès de Washington une concession présumée du Liban du point 29 au point 23, qui profiterait à Gebran Bassil, chef du CPL et gendre du président.

Gebran Bassil et les sanctions américaines

C’est à travers l’ambassadeur du Liban aux États-Unis que Gebran Bassil aurait œuvré à faire passer ce message.

Les États-Unis auraient dans un premier temps été convaincus de retenir le point 29 plutôt que le point 23 comme point de départ des négociations, à condition de l’inscrire au préalable aux Nations unies, selon une lecture médiatique non confirmée. C’est ce qui aurait conforté Michel Aoun dans sa démarche en soutien de la ligne 29.

Sauf que les Américains auraient vite compris le jeu aouniste, leur donnant une ultime motivation à imposer des sanctions à l’encontre de Gebran Bassil.

Malgré la confusion provoquée par ces sanctions, Michel Aoun choisit quand même de continuer de défendre le point 29 et de lancer son appel à un amendement du décret 6433.

Et, cette propension au marchandage, même après la finalisation du tracé, ne semble pas près de se réduire.