Les propos tenus récemment par le secrétaire général adjoint du Hezbollah Naïm Kassem ne sont pas anodins. Dire qu’il n’est plus possible de débattre du sujet de la résistance comme on le ferait pour tout autre problème ordinaire dans le pays et inviter ceux qui n’adhèrent pas au " Liban de la résistance " à trouver d’autres solutions constituent une escalade sans précédent de la part du parti. Cela représente aussi une déclaration on ne peut plus claire concernant le contrôle qu’il exerce sur le pays ou du moins reflète son intention de le faire. Sinon, comment expliquer l’affirmation de Kassem portant sur la nouvelle orientation du Liban et son nouveau visage, ainsi que son refus d’en débattre, et comment interpréter " l’alternative " qu’il propose autrement que par le fait de coexister avec un fait accompli imposé par le pouvoir de ses armes, ou quitter le pays ?!

L’escalade de Kassem qui a déclenché des réactions en série de la part des opposants au parti, n’a pas suscité la moindre réaction au niveau du gouvernement et de son chef et encore moins de la présidence de la République, les deux derniers excellant dans l’art de la " distanciation " dès qu’il est question du Hezbollah, sous prétexte d’éviter une confrontation qui entraînerait le pays vers la guerre civile…Des arguments qui ont placé le pays, ou qui sont sur le point de le faire, sous le contrôle absolu du Hezbollah, et par son truchement sous le contrôle de Téhéran. Ces arguments nous ont transformés ainsi que la majorité des Libanais qui ne croient pas dans " la wilayet el-faqih " en citoyens de seconde zone, voire de troisième zone, vivant dans un pays qui ne leur ressemble plus. Cela a conduit à la fuite de l’élite, des cerveaux et a transformé le pays en une fraction du cordon de misère qui lie le Yémen, l’Irak et la Syrie dans la région.

On ne saurait ignorer que les propos de Kassem coïncident avec l’intérêt régional et international grandissant pour trouver une solution à la crise libanaise. Les positions des pays du Golfe en sont l’illustration puisqu’ils mettent l’accent sur la nécessité d’annuler le diptyque État-Hezbollah au profit de la seule autorité de l’État, en plus de la déclaration franco-saoudienne sur Liban qui a insisté sur la mise en œuvre des résolutions internationales sur le Liban, notamment celles qui appellent l’État à avoir le monopole des armes.

Selon des sources qui suivent de près les derniers développements sur la scène locale et extérieure en lien avec les négociations de Vienne et la surenchère du Golfe face au Liban, " le Hezbollah, par ses menaces publiques au juge Tarek Bitar et à l’ensemble du système judiciaire, en passant par le blocage du gouvernement, jusqu’au fait d’inviter ceux qui n’adhèrent pas à ses choix à trouver une autre " solution ", en d’autres termes un autre pays, profite de sa supériorité et arbore sa force. Mais en réalité, le Hezbollah est un éléphant dans un magasin de porcelaine et cette situation ne saurait perdurer étant donné qu’il se retrouvera tôt ou tard placé au centre des négociations internationales. C’est la raison pour laquelle il manœuvre et hausse le ton en se présentant comme le maître absolu du pays afin de mieux se positionner et d’imposer ses conditions lors de la conception du nouveau Liban ".

L’éminent opposant chiite Ali al-Amine rejoint ce point de vue, et voit en la position de Kassem " une position de faiblesse qui montre l’étroitesse des options dont dispose le Hezbollah par rapport au maintien du statu quo ". Il estime " qu’il s’agit d’un prolongement de la position de l’Iran qui déclare à travers le Hezbollah qu’il n’est pas envisageable de renoncer aux armes au Liban, et qu’il affrontera toute tentative de limiter le rôle de ces armes ou d’en annuler leur impact régional ". Ali al-Amine souligne à Ici Beyrouth que " cette surenchère indique que la détention des armes par le Hezbollah au détriment de l’État n’est plus acceptable ni sur la scène libanaise, ni par la communauté internationale, et cette position excessive de Kassem dénote que les tractations au sujet des armes ont bel et bien débuté à l’extérieur ". " Cependant, ajoute-t-il, la priorité libanaise exige que la solution soit en faveur du projet d’État démocratique, ce qui requiert davantage de vitalité nationale dans un climat apaisé pour mettre fin à la schizophrénie entre l’État et le mini-état et restaurer les relations du Liban avec l’extérieur et le monde arabe en particulier ".

Malgré le fait que des sources proches du Hezbollah démentent que la direction du parti ait été informée par des acteurs locaux ou extérieurs de l’intention d’appeler à la tenue d’une conférence internationale sur le Liban, ces sources considèrent qu’exprimer une position à ce sujet reste prématuré tant qu’il n y’a de sérieux à ce sujet. Cependant, plus d’un responsable libanais assure que des pourparlers arabes et occidentaux ont lieu en coulisses, et loin des projecteurs, poussant à mettre le dossier libanais avec toute sa complexité sur la table d’un dialogue international, avec le Hezbollah, ses armes et son rôle en tête de l’agenda, d’autant que les démarches du patriarche Béchara Raï pour la tenue d’une conférence de ce type ne sont ni un secret et encore moins un mystère.

Les sources proches du parti confient à Ici Beyrouth que " la confrontation menée contre lui atteint son paroxysme et il se doit d’être à la hauteur, sans pour autant exclure que ses opposants à l’étranger s’emploient à porter atteinte à la sécurité du Liban afin de faire plier le parti et l’affaiblir lors des négociations et des grands règlements à venir ".

La présidence de la République ne semble pas disposée à faire un pas en direction de Mgr Raï et de son initiative en faveur de la tenue d’une conférence internationale sur le Liban car elle reste convaincue que les développements régionaux et internationaux imposeront le tempo et le calendrier pour une conférence similaire. Selon les informations d’Ici Beyrouth, le président Aoun ne se montre guère enthousiaste à l’idée de la tenue d’un conférence nationale car la dernière tentative qu’il avait effectuée dans ce sens s’était soldée par un échec vu le nombre de forces qui avaient boycotté la conférence à laquelle il avait appelé sous l’intitulé " réunion nationale financière " en mai 2020 à Baabda.

Le président Aoun est également conscient du fait que la pression pour réactiver le dialogue autour de la stratégie de défense se heurtera à l’opposition directe du Hezbollah. C’est la raison pour laquelle il s’est abstenu de s’engager sur cette voie tout au long de son mandat en dépit de la promesse faite en début de son mandat, et il ne fera rien à quelques mois de la fin de son mandat.
En résumé, toutes les données indiquent que les Libanais vont devoir serrer leurs ceintures car la surenchère sera la règle à tous les niveaux, notamment à l’approche des élections législatives que certaines forces intérieures considèrent comme fatidiques, alors que se mijote sur le plan extérieur un règlement pour la région qui touchera forcément le Liban…tout en sachant que l’avion " Liban " vacille depuis 2019, en chute libre et sans réacteurs.