Le Conseil des ministres de mercredi pourrait préluder à une réunion entre le Hezbollah, qui y a donné son feu vert, et le Courant patriotique libre, qui continue de le boycotter, croit savoir un proche du parti pro-iranien. 

Le Conseil des ministres, chargé d’expédier les affaires courantes depuis les législatives de mai 2022, se réunit mercredi pour la deuxième fois depuis le début de la vacance présidentielle.

Cette réunion, à laquelle a formellement convoqué lundi le Premier ministre sortant Najib Mikati, s’accompagne d’une nouvelle épreuve de force entre lui et le Courant patriotique libre (CPL), et des tensions qui pourraient une nouvelle fois s’exacerber (ou au contraire être contenues cette fois-ci) entre le CPL et le Hezbollah.

Le CPL boycotte les réunions du cabinet démissionnaire dont il conteste la légalité en l’absence d’un président de la République, alors que le Grand sérail, soutenu par le président de la Chambre, Nabih Berry, se base sur le caractère urgent et nécessaire des points de l’ordre du jour qu’il établit –en veillant à inclure certains points parfois à l’initiative ou en concertation avec des ministres concernés (comme il l’a fait avec le ministre sortant de l’Economie, qui relève du camp aouniste, mais prévoit jusqu’à nouvel ordre de participer à la réunion du cabinet et de déroger ainsi à la consigne du CPL).

Pour rappel, les huit points de l’ordre du jour de la réunion de mercredi portent principalement, mais pas uniquement, sur des avances du Trésor visant à financer l’approvisionnement de centrales électriques en fuel importé d’Irak.

Le " cas par cas " du Hezbollah

Le Hezbollah a tenté de ménager son allié chrétien, le CPL, d’abord en prenant le temps de trancher sa décision de participer ou non à la réunion du cabinet, ensuite en annonçant, par la voix du ministre sortant des Travaux publics, jeudi dernier, qu’il prendra part à la réunion, à condition que celle-ci se limite à l’examen des points relatifs à l’électricité. " Si d’autres points sont examinés, les ministres du Hezbollah se retireront immédiatement de la réunion ", avait-il affirmé à la chaine MTV. Mais il n’était pas sûr mardi si le parti armé pro-iranien irait jusqu’au bout de sa démarche. Contacté par Ici Beyrouth, l’analyste politique proche du parti chiite Kassem Kasser a précisé ne pas avoir d’informations sur ce que feront les ministres du Hezbollah si des points distincts du dossier de l’électricité sont examinés ". L’essentiel serait " la règle que le Hezbollah s’est engagé à respecter : débattre des affaires qui touchent directement aux doléances citoyennes tout en étant urgentes, et ces critères sont vérifiés au cas par cas ", explique-t-il.

Nouvel argument de Bassil et ses limites         

Bien que directement concerné par le portefeuille de l’électricité, le CPL multiplie depuis lundi les arguments justifiant sa décision de boycotter une nouvelle fois la réunion du cabinet.

D’abord par la voix du ministre sortant de l’Energie, Walid Fayad, qui a proposé lundi une solution " globale " alternative à la tenue du Conseil des ministres, et envoyé aux 24 ministres les décrets y relatifs en vue de leur signature sans besoin, selon lui, d’une réunion du cabinet. C’était ensuite mardi au tour du chef du CPL, le député Gebran Bassil de développer sa thèse de la non-conformité du Conseil des ministres au pacte national. Dans une vidéo d’une minute diffusée en ligne, il a plaidé une nouvelle fois pour " des solutions constitutionnelles qui ne requièrent pas la tenue d’un Conseil des ministres ", en s’inspirant cette fois de " la signature des décrets par chaque ministre, comme nous l’avons fait des centaines de fois, pendant la période de vacance présidentielle entre 2014 et 2016 ". Il faisait ainsi référence à la période où le gouvernement, présidé par le Premier ministre Tammam Salam, non démissionnaire, exerçait les prérogatives du président de la République en son absence, mais en considérant que chaque ministre individuellement détenait " une fraction " de ces prérogatives et devait donc apposer sa signature sur chaque décret pris en Conseil des ministres, qu’il relève ou non de sa compétence. Cette solution, dont le fondement est contesté par plusieurs constitutionnalistes, semble avoir été retenu par Gebran Bassil, comme ultime argument, pour être " le précédent " le plus récent. Or, la comparaison avec le gouvernement Salam a ses limites : outre son caractère discutable en droit, la pratique retenue alors pour remédier à la vacance présidentielle n’a pas empêché le gouvernement de se réunir. Qui plus est, même en présence d’un président, le gouvernement prend ses décisions soit à la majorité absolue, soit, pour les affaires qualifiées de fondamentales et strictement énumérées par la Constitution, à la majorité des deux tiers. Et s’il arrive que le président s’oppose à une décision prise en sa présence, et que cette décision est en conséquence réexaminée, la même majorité reste exigée pour l’entériner, jamais l’unanimité, fait valoir un avocat contacté par Ici Beyrouth. Exiger donc la signature de chaque ministre aux décrets pris à l’ombre d’une vacance présidentielle n’a pas de fondement constitutionnel. Cela sans oublier que le principe même de la réunion d’un Conseil des ministres, même démissionnaire, en l’absence d’un président, n’a jamais provoqué de débat constitutionnel, aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre, s’entendent à le rappeler la plupart des experts en la matière. Parce que la légalité des décisions prises le cas échéant peut toujours être contestée devant le juge administratif, garant de la bonne marche institutionnelle. Or, en dénonçant " une nouvelle tentative du pouvoir en place de miner le pacte et la Constitution en trouvant, dans le dossier de l’électricité, un nouveau prétexte à la tenue du Conseil des ministres ", Gebran Bassil crée un problème constitutionnel qui n’en est pas un, et s’autoproclame juge. Ce qu’il tenterait de faire en réalité, analyse l’avocat précité, c’est profiter de sa place comme principale composante chrétienne du gouvernement actuel pour tenter de s’imposer comme acteur incontournable de toute démarche de l’Exécutif et condition de la conformité de tout acte au pacte national.

Rencontre prochaine Hezbollah-CPL ?

L’échéance sous-tendant cette polémique reste d’évidence la présidentielle : le chef du CPL, s’il a compris qu’il ne serait pas le prochain candidat du Hezbollah, tente de s’arroger un rôle de " faiseur de président ", comme il l’avait annoncé d’ailleurs il y a quelques mois. Et cela ne peut se faire si son alliance avec le Hezbollah est rompue.

C’est pourquoi il ne s’aventure jamais à atteindre le point de non-retour, d’où par exemple la présence de deux ministres du CPL, sous couvert de relayer le mécontentement de leur parti, à la première réunion du cabinet démissionnaire en décembre dernier, et la présence prévue cette fois d’au moins un ministre de ce parti, en dépit du boycottage formel de la réunion du Grand sérail.

Pour sa part, le Hezbollah veille à ne pas alimenter l’escalade verbale avec le CPL, quand bien même la tenue en soi du Conseil des ministres, avec une couverture du Hezb, est un moyen de le circonscrire politiquement. Kassem Kassir confirme les efforts déployés par le parti pro-iranien, préalablement à la convocation officielle au Conseil des ministres, de " rapprocher les points de vue entre le Premier ministre Mikati et le CPL, que ce soit dans le choix des points de l’ordre du jour ou le suivi du dossier de l’électricité ". " Le Hezbollah se soucie du maintien de la relation avec le CPL, mais il existe des points de litige, dont la présidentielle ", ajoute-t-il. Il évoque, dans ce contexte, " la possibilité d’une rencontre, à l’échelle des leaderships, entre le CPL et le Hezbollah, pour examiner ces détails ". Cette rencontre, dit-il, est " tributaire de ce qui se passera mercredi lors du Conseil des ministres ".