Une nouvelle tentative d’imperméabiliser le barrage-passoire de Msaylha, à Batroun, a été entamée lundi. Divers enjeux géologiques, écologiques et sanitaires sont liés à ce site.

Lundi, des tractopelles, des camions ainsi que des bétonneuses opéraient toute la journée au sein du barrage de Msaylha, à Batroun, coulant du béton dans les crevasses. Il s’agit d’une énième tentative de les combler et d’assurer une hypothétique étanchéité du sol, le barrage n’ayant jamais pu retenir les 6 millions de mètres cubes d’eau promis, en dépit des assurances des ministres successifs de l’Énergie, concernant le succès de cet ouvrage terminé en janvier 2020. Cette date était aussi censée inaugurer une phase expérimentale d’un ou de deux ans, durant lesquels l’eau retenue dans le barrage devait servir à l’irrigation. Du moins, c’est ce que l’ancienne ministre de l’Énergie, Nada Boustany, avait annoncé à l’époque.

«Le barrage est bâti sur une partie de la faille de Batroun, sur un site qui compte plusieurs bétoires (sortes de vidanges naturelles) où s’engouffrait la rivière de Nahr el-Joz, explique Samir Zaatiti, chercheur et expert en hydrogéologie. Essayer de les boucher avec du béton, comme c’est le cas aujourd’hui, ne sert à rien.» Ces moyens restent archaïques et coûteux. Ils visent à remplir, à tout prix, le barrage qui présente en permanence un paysage lunaire, sauf quand ses promoteurs, c’est-à-dire le ministère de l’Énergie, que contrôle le CPL depuis plus de dix ans, s’en servent à des fins électorales. Comme cela a été le cas avant les législatives de 2022. Le barrage avait été rempli d’eau et inauguré par le chef du CPL, Gebran Bassil, qui essayait de mettre en avant «les réalisations» fictives de son parti. Une fois les élections terminées, le barrage est revenu à son état naturel, après l’ouverture des vannes.

C’est que le barrage de Msaylha repose sur des structures géologiques très instables: une faille sismique, des bétoires et une couche instable de marne formée de carbonate de calcium et d’argile qui supporte une seconde couche de calcaire poreux et rigide. «La structure marneuse à laquelle s’ajoutent les espaces vides entre les couches créées par la faille sismique de Batroun rendent ce site instable, explique M. Zaatiti. En effet, la marne se liquéfie au contact de l’eau, fragilisant le socle de béton qui va céder sous la masse d’eau au niveau des bétoires et faire échapper tout le liquide. Les eaux en surface ne constituent qu’un tiers des ressources hydrauliques du Liban. La nature stocke déjà 3 milliards de mètres cubes d’eau annuellement. L’être humain ne peut pas défier la nature de la sorte!»

En dépit de toutes les tentatives d’imperméabiliser le site et des essais menés, l’eau continuait de s’infiltrer dans le sol, de suivre sa trajectoire souterraine naturelle et de se déverser dans la mer, comme le montrent des photos aériennes prises régulièrement par les détracteurs du projet.

Plus encore. Ce barrage mettrait en péril la vie des habitants dans la zone en aval de la construction, puisque la pression générée par la masse d’eau et du béton sur la marne imbibée pourrait créer d’énormes éboulements de terrain.

Le barrage de Msaylha, on le répète, n’a jamais retenu l’eau. Les 2 millions de mètres cubes d’eau retenus et dont Nada Boustany s’est félicitée, se sont volatilisés vingt jours plus tard. C’est probablement le même scénario qui est monté aujourd’hui. Le barrage de Msaylha est un maillon essentiel de la chaîne d’ouvrages lancée par Gebran Bassil.


Des enjeux environnementaux

Les travaux dans cet ouvrage n’ont pas été suspendus, bien que le ministère de l’Environnement ait classé la rivière de Nahr el-Joz comme site naturel, déplore Jean Stéphan, enseignant-chercheur en écologie et biodiversité à l’Université libanaise.

Au niveau de la région de Msaylha, la rivière s’assèche normalement en été. Or, elle est un lieu de reproduction pour de nombreuses espèces végétales et animales qui en dépendent, au nombre desquelles des reptiles et des mammifères qui s’y abreuvent. De plus, la rivière se trouve dans une région assez polluée, puisqu’elle est à proximité de la zone industrielle de Batroun. Elle n’est donc pas une source saine et fiable d’eau.

La rivière est importante pour l’écosystème marin au niveau de Chekka. De fait, l’eau de Nahr el-Joz s’engouffre dans les bétoires pour ensuite sortir dans la mer, à Chekka. «Sans l’apport en eau douce que lui procure la rivière de Nahr el-Joz, l’eau de mer dans la région de Chekka connaîtra une différence de températures et de concentrations en sel, ce qui pourrait être nocif pour les populations marines», explique à Rana el-Zein, spécialiste en écologie forestière et agroforesterie.

Elle dénonce «un dérèglement de l’écosystème de la rivière». «Si le niveau d’eau optimal requis au développement de la vie aquatique n’est pas assuré, la température et l’oxygénation de l’eau changeront, poursuit-elle. Ce qui met en péril la vie des poissons et autres crustacés qui vivent dans la rivière. Cela va aussi grandement affecter les espèces végétales du ripisylve (les formations végétales qui se développent sur les bords des cours d’eau, NDLR). Non seulement l’assèchement de la rivière pourrait détruire des habitats naturels, mais la concentration d’humidité au niveau du barrage pourrait affecter les espaces verts de la région. Avec l’évaporation de l’eau du barrage, l’humidité de l’air pourrait augmenter et créer ainsi un environnement favorable au développement des insectes et champignons aussi bien ravageurs que pathogènes.»

Les eaux stagnantes, combinées à une hausse des températures, seraient des facteurs favorables au développement des microorganismes hautement infectieux qui seraient ensuite véhiculés par les insectes.
Commentaires
  • Aucun commentaire