Au terme du dernier sommet spirituel de Bkerké, l’invitation adressée par le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, aux 64 députés chrétiens à tenir des assises pour décider de la stratégie à adopter concernant l’élection présidentielle a suscité différentes réactions au sein même de la communauté chrétienne, avant toutes les autres. Le Courant patriotique libre et les forces de l’axe dit de la "Résistance" se prononcent en faveur de cette initiative, estimant qu’il s’agit d’un pas nécessaire vers le règlement du dossier de la présidentielle.

Des sources proches des Forces libanaises ont fait savoir que "la position du parti vis-à-vis d’une réunion entre chrétiens est claire: les Forces libanaises s’opposent à l’idée de tenir des réunions à caractère confessionnel, surtout quand il est question d’une échéance nationale, comme celle de l’élection d’un président de la République." "La Constitution libanaise, seule, régit le processus d’élection du président, pour éviter de paralyser les institutions et garantir leur continuité, conformément à la loi, soulignent les sources proches des FL. Par conséquent, il est inadmissible de modifier la procédure et d’aller à l’encontre de la Constitution et des lois. L’échéance présidentielle est une échéance nationale, pas une échéance chrétienne". En tout état de cause, les Forces libanaises communiquent au quotidien avec Bkerké et leur leader, Samir Geagea, est bien conscient du fait que le tandem chiite, notamment le Hezbollah, manœuvre pour décrédibiliser les chrétiens.

Le tandem chiite, le Hezbollah plus particulièrement, ne souhaite pas élire de président à ce stade. Le Hezb, aujourd’hui accusé de blocage, cherche à détourner l’attention de l’opinion publique et pointe du doigt la rue chrétienne – en la tenant pour responsable de l’échec, les chrétiens étant divisés – et Bkerké, qui ne parvient pas à unifier sa communauté. Le Hezbollah cherche donc à se dédouaner, alors qu’il est l’acteur décisionnel. Il aura aussi le pouvoir d’imposer un président, comme il l’a fait en 2016, en faisant élire son candidat Michel Aoun, après deux ans et demi de blocage.

À en croire certaines sources proches du Hezb, "le parti de Dieu accusera les chrétiens de blocage". Dans cette logique, il n’est donc pas surprenant que le président du Parlement, Nabih Berry, ait déclaré que "ce sont les chrétiens qui ont la responsabilité d’élire un président de la République" et que "nous soutiendrons le candidat que le CPL et les FL approuveront" . Selon certaines sources chrétiennes, M. Berry sait pertinemment qu’une réunion entre les quatre pôles chrétiens est impossible, et une rencontre entre Samir Geagea et Gebran Bassil encore moins, malgré les multiples tentatives entreprises à cette fin, avant même que le mandat du président Michel Aoun ne touche à sa fin.

Si M. Berry sait parfaitement que l’élection présidentielle est prévue explicitement par la Constitution, pourquoi alors souhaite-t-il faire fi des lois? Pourquoi "l’axe de la Résistance" veut-il entraîner Bkerké dans les méandres de la politique et faire échouer ses initiatives? Serait-ce parce que les solutions proposées par l’instance maronite à l’échelle nationale – la neutralité, la tenue d’une conférence internationale pour résoudre la crise, le respect de l’accord de Taëf et de la Constitution et le refus d’amender celle-ci ou de changer les lois – ne conviennent pas au tandem chiite? Des positions qui favorisent une sortie de crise et que le Vatican cherche à faire prévaloir également.

Pourquoi certaines factions s’en prennent à Bkerké ? Est-ce parce que la haute instance maronite critique fortement M. Berry, le Hezbollah et le reste des forces de la "Résistance" et accuse le parti de Dieu de vouloir manipuler l’élection au profit de l’Iran ?

Gebran Bassil a appelé Bkerké à plusieurs reprises – le dernier appel remontant à fin janvier, la veille de la visite de Sleiman Frangié – à réunir les pôles chrétiens et discuter de l’échéance présidentielle. M. Frangié a fait part au patriarche Raï de son refus d’assister à la réunion en question, à moins que toutes les autres personnes conviées ne soient présentes. Le parti Kataëb a, quant à lui, adopté la même position que les Forces libanaises et a informé Bkerké qu’il ne participerait pas à une réunion entre chrétiens.

D’après des sources proches des Forces libanaises, M. Bassil voudrait, par cette initiative qu’il a prise, faire savoir au Hezbollah et à son secrétaire général Hassan Nasrallah qu’il serait capable de rassembler les chrétiens. Ce rapprochement élargirait la marge de manœuvre de M. Bassil dans ses rapports avec Hassan Nasrallah qui, lui, craint un accord chrétien – même s’il est convaincu que pareille entente n’aboutira pas. Le tandem chiite, le Hezbollah notamment, est pris au piège, à l’intérieur comme à l’extérieur. Pourquoi donc les chrétiens le sauveraient-il et lui permettraient-il de se dédouaner du blocage et d’accuser Bkerké?