La réunion mardi des commissions parlementaires mixtes a été levée à la suite des protestations du bloc aouniste contre un projet de décret qui ne portait pas les signatures de tous les ministres. Elle a aussi donné lieu à un échange d’accusations entre le chef du CPL, Gebran Bassil, et le Premier ministre sortant, Najib Mikati.

Les activités des commissions parlementaires, dernières manifestations de la vie institutionnelle libanaise, seraient-elles, à leur tour, suspendues? Leurs réunions, auxquelles participent des représentants de tous les blocs politiques pour étudier des textes de lois et maintenir ainsi un semblant de normalité dans la vie des citoyens, sont-elles appelées, elles aussi, à sombrer dans le blocage? Le chef du courant aouniste, Gebran Bassil, réussira-t-il à transposer Place de l’Étoile son discours sur les "prérogatives du président", qui entrave déjà l’action du gouvernement d’expédition des affaires courantes?

Photos Ali Fawaz

Ces questions se posent avec acuité, après la réunion mardi des commissions parlementaires mixtes, qui a été levée à la suite de protestations du bloc aouniste, parce que l’un des textes à l’ordre du jour était un projet de décret envoyé par le gouvernement, qui ne portait pas les signatures de tous les ministres (sachant que les commissions parlementaires examinent régulièrement des projets de loi transmis par le gouvernement sortant, sans qu’ils ne soient signés par l’ensemble du cabinet, ce qui place clairement la démarche entreprise mardi par le bloc du CPL dans le cadre du bras de fer engagé par son chef avec le Premier ministre sortant, Najib Mikati).

Le texte en question concerne le renouvellement de l’accord de troc avec l’Irak, afin que ce pays continue à fournir du carburant au Liban à de bonnes conditions jusqu’au 30 novembre 2023.

La sortie du bloc du Courant patriotique libre de l’hémicycle a rapidement été suivie par celle du bloc des Forces libanaises, et d’autres députés. Le vice-président du Parlement, Elias Bou Saab, sous l’égide duquel se tiennent les réunions des commissions conjointes, a tenté de convaincre les protestataires de poursuivre l’examen des textes figurant à l’ordre du jour, proposant de retirer le projet de loi en question. Mais en vain. Et au lieu de débattre des textes de loi, les blocs parlementaires se sont succédé à la tribune de la salle de presse, pour justifier leur position.

Premier à prendre la parole, le chef du CPL, Gebran Bassil, a indiqué que le projet de décret relatif au carburant irakien est "entaché de nombreux vices constitutionnels, notamment le fait qu’il ne porte pas les signatures de tous les ministres". "Nous avons refusé d’en discuter avant la correction de ces défauts", a-t-il ajouté.

Entouré de plusieurs députés de son bloc, Gebran Bassil, qui fait partie de ceux qui bloquent la présidentielle, a accusé de nouveau Najib Mikati d’accaparer les prérogatives du chef de l’État, d’avoir apposé plusieurs fois sa propre signature et d’avoir "falsifié" celle du ministre de l’Énergie, Walid Fayad.

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Il s’est attiré en soirée une réponse cinglante de M. Mikati, dont le bureau de presse a indiqué que "les propos du député Grebran Bassil sur la nécessité de la signature des décrets par tous les ministres, ainsi que son objection à la présence de plusieurs signatures du Premier ministre, constituent un point de vue illégal". "Celui-ci est motivé par des considérations politiciennes inacceptables et contredit les dispositions pourtant claires de la Constitution", a souligné le Sérail dans un communiqué qu’il a publié à cette fin.

Le bureau de M. Mikati a également démenti toute falsification de la signature de Walid Fayad, estimant que cette accusation "est le produit de l’imagination politique de M. Bassil", qui, selon lui, "profère à l’encontre du chef du gouvernement des accusations dénuées de tout fondement".

Il a par ailleurs appelé "M. Bassil, son camp politique et ses députés à s’acquitter de leur devoir en élisant un nouveau président pour la République, au lieu d’adopter la méthode du blocage qui est devenue la caractéristique de ce camp, sachant que M. Mikati souligne dans toutes ses déclarations que la solution débute par l’élection d’un nouveau président".

Pas de "normalisation" de la vacance

Pour leur part, les députés des Forces libanaises ont mis en garde contre la "normalisation" de la vacance présidentielle et la poursuite des activités politiques comme si de rien n’était.

Le député Georges Adwan, également entouré de ses collègues, a souligné que "le premier pas vers une solution est l’élection d’un président qui ne fait pas partie de l’axe qui a mené le Liban au point où il se trouve actuellement". "Si l’objectif de la normalisation est de nous avoir à l’usure, cela n’aura pas lieu", a-t-il précisé.

Il a en outre mis l’accent sur le fait que le chef de l’État est le président de tous les Libanais, qui ploient dans leur ensemble sous le poids de la crise.

À leur tour, le chef des Kataëb, Samy Gemayel, et le député Michel Moawad ont pris la parole, pour appeler à un retour au bon fonctionnement des institutions, dont le point de départ est l’élection d’un président de la République, rejetant dans ce cadre "la normalisation" de la vacance présidentielle.

Bou Saab

Le vice-président de la Chambre, Elias Bou Saab, a aussi plaidé pour l’élection d’un chef de l’État, en faisant remarquer que "le différend politique sur la constitutionnalité et la légalité des réunions du Conseil des ministres s’est reflété au Parlement". Appelant à la poursuite des activités des commissions conjointes, il a souligné qu’aucune partie n’est en faveur de l’arrêt du travail de législation.

M. Bou Saab a noté qu’un mécanisme de travail devrait être trouvé, et a invité le président du Parlement Nabih Berry à convier les députés à un dialogue "sans lequel aucune solution ne saurait être trouvée".

Le blocage de la dernière institution

Le député Ali Hassan Khalil, du bloc du mouvement Amal, a mis en garde contre "le blocage de la dernière institution qui fonctionne", soulignant que les projets de décret transmis au Parlement ont été approuvés en Conseil des ministres. Il a par ailleurs démenti les affirmations du CPL selon lesquels tous les décrets approuvés lors de la vacance présidentielle qui a eu lieu de 2014 à 2016, par le gouvernement de l’époque, portaient les signatures de tous les ministres. "Certains avaient été signés par 24 ministres, d’autres par 14 et d’autres par 5", a-t-il ajouté. "Nous sommes attachés à l’unité du Parlement, dans sa diversité, et refusons tout différend à caractère confessionnel", a-t-il poursuivi.

La position du Rassemblement démocratique (Parti socialiste progressiste) a été exprimée par le député Bilal Abdallah, qui a dénoncé le blocage des institutions.

"Lorsqu’on est au bord de la misère, on ne peut pas se lancer dans des discussions constitutionnelles sur les prérogatives du président, au lieu d’examiner des questions socio-économiques qui faciliteront la vie du citoyen", a-t-il ajouté, dénonçant la "surenchère qui résulte du système sectaire".

Il est vrai que les textes de loi approuvés en commission ne seront pas votés de sitôt en séance plénière. Il est tout aussi vrai que le gouvernement a évité récemment d’envoyer des projets de décret au Parlement, en raison de la vacance présidentielle, et a convaincu des députés de soumettre des propositions de loi allant dans le même sens. Cependant, des observateurs déplorent la répartition à caractère confessionnel qui s’est manifestée mardi, entre les protestataires qui sont sortis de l’hémicycle et ceux qui ont choisi d’y rester. En revanche, ils relèvent que tous les blocs qui se sont exprimés ont été unanimes à souligner l’importance de l’élection d’un président de la République. Alors que la vacance présidentielle dure depuis quatre mois, il reste à souhaiter qu’elle ne se prolonge pas longtemps, et que l’attente en vaudra la peine.