Les plus anciens mausolées sont de forme compacte et introvertie. Progressivement, nous voyons se développer une galerie sur la façade principale. Ce processus d’allègement a aussitôt rattrapé l’intégralité de cette architecture qui persévère dans sa recherche de l’ouverture et de la totale transparence jusqu’à se transmuer en baldaquin. Débarrassé de ses murs, le mausolée à péristyle ajouré met en scène la pyramide dans son rapport unique à la coupole. Celle-ci définit désormais l’espace sacré et l’érige en verticalité.

Les pentes du Liban sont parsemées de ces édicules de pierre agrémentés d’une coupole, majestueusement perchés sur une falaise ou tristement perdus dans l’urbanisation sauvage de la montagne. Ces mausolées, comme les cyprès, les pins, les clochers, les terrassements, les monastères et les maisons à triple baies, sont caractéristiques du paysage libanais.

Relativement semblables en matériaux, en volumétrie et en dimensions, leurs styles se déclinent en une multitude de valeurs, entre masse et légèreté, mystère et transparence. Comme toute architecture, ces témoins racontent une culture, une spiritualité, un rapport à la vie, et, surtout, ce qui est après la vie. Les premiers modèles consistent tous, qu’ils soient druzes ou chrétiens, en cubes de pierre de taille, dotés d’une porte et de petites fenêtres et coiffés d’une coupole. Rien ne distingue, dans cette typologie, l’appartenance confessionnelle, si ce n’est une croix qui surmonte le tout. Au centre, sous la coupole, se place une pyramide de pierre à gradins.

Le mausolée druze

L’exemple druze coiffe la pyramide d’une double stèle parfois calligraphiée, conforme à la tradition musulmane. Chez les chrétiens en revanche, la pyramide est le plus souvent surmontée d’une croix. Il arrive toutefois de rencontrer, dans des cas plus rares, comme à Gosta, des modèles identiques aux stèles druzes. Ces exemples se retrouvent en plein air ou à l’intérieur de mausolées au caractère particulièrement levantin. Dans le sud du pays, entre Marjayoun et Jezzine, ces monuments à coupoles, ou du moins leurs sites, remonteraient à la tradition vétérotestamentaire.

Le mausolée chrétien de Gosta, avec une pyramide surmontée d’une double stèle conformément aux exemples de la tradition druze. ©Amine Jules Iskandar

 

C’est l’ésotérisme, le mysticisme et l’humilité qui sont à l’origine des formes et du concept architectural des mausolées druzes. En les visitant, la pensée semble attirée par un mouvement giratoire qui la place en orbite autour de la pyramide, évoquant un univers spirituel. La qualité architecturale est ici renforcée par une émotivité élevée, canalisée par la pureté et la simplicité de l’espace.

Le plan carré, supposé statique, devient dynamique par l’introduction de l’élément central. Le mouvement giratoire s’intensifie par une poussée verticale due à la complémentarité de l’objet debout (la stèle) et de l’espace supérieur engendré par la coupole. Tout cela, avec la symbolique de la pyramide qui porte la stèle, devient une architecture de rapport à l’au-delà, telle que conceptualisée par la religion unitaire (Din al-Tawhid), également perçue comme "école de la sagesse", pour reprendre Kamal Joumblatt.

La pyramide

C’est le cimetière druzo-chrétien de Baadaran qui exprime au mieux l’intensité des échanges culturels qui se sont produits entre les deux communautés du Mont-Liban. Ici, les pyramides abritent indistinctement les défunts druzes et chrétiens sous les gradins de pierre grise. Rien ne les différencie, si ce n’est le sommet de chacune, surmonté d’une croix lorsqu’elles sont chrétiennes, et de stèles géminées quand elles sont druzes.

Dans les cas où la pyramide chrétienne est, elle aussi, complétée par une double stèle, plus rien ne la distingue de la sépulture druze sinon les motifs qui y sont gravés. Elles s’ornent alors de croix et de calices, tandis que les stèles druzes s’illustrent d’entrelacs et de calligraphies arabes. Pour les deux communautés, la symbolique est la même: une pyramide pour l’ascension de l’âme et une coupole pour l’Orbis Romanus (l’univers infini et éternel) hérité des Byzantins.

De l’introverti à l’extraverti

Le mausolée druze, dans sa dialectique ésotérique baignant dans le mysticisme oriental, s’accommode d’une architecture close et mystérieuse, si délicatement manifestée par les Abillama à Mtein et à Broumana.

Deux mausolées surmontant la grotte de Saint-Georges à Kaslik. À droite, le modèle introverti à la manière druze, surmonté d’une croix. À gauche, la première étape de l’ouverture du mausolée chrétien sur une seule façade. ©Amine Jules Iskandar

 

Le modèle chrétien est, lui aussi, parti d’une forme close et introvertie similaire au prototype druze. C’est ce qui apparaît dans l’exemple qui surplombe la grotte de Saint-Georges à Kaslik. Son identité chrétienne n’est révélée que par la croix qui domine sa coupole. Progressivement, sur le mausolée voisin suspendu à la falaise, nous voyons se développer une galerie ajourée dans la façade principale, côté aval. Celle-ci s’ouvre alors en arcades, cependant que les autres façades demeurent semblables à l’exemple druze.

Mais ce processus d’allègement n’a pas tardé à rattraper l’intégralité du monument. L’architecture chrétienne a persévéré dans sa recherche de l’ouverture et de la totale transparence jusqu’à se transmuer en colonnade. Débarrassé de ses murs, le mausolée chrétien à péristyle ajouré acquiert une allure de baldaquin. Comme à Saint-Daniel de Hadat sur la Qadicha, il met en scène la pyramide dans son rapport unique à la coupole. Celle-ci définit désormais l’espace sacré et érige la verticalité par son dialogue avec la pyramide.

Le mausolée en baldaquin extraverti, près de l’église Saint-Daniel de Hadat-Gebbé. ©Amine Jules Iskandar

 

Une architecture de synthèse

L’intention architecturale est porteuse de sens; elle n’est jamais gratuite. Seule sa destruction l’est. Le mausolée-chapelle des Abillama à l’entrée de Bikfaya, aujourd’hui démoli, constituait un manifeste de l’identité architecturale libanaise. À la suite de leur conversion au christianisme, les princes Abillama ont cherché à exprimer leurs nouvelles affinités dans leur architecture. Leur sérail de Bikfaya a reçu une chapelle, des fenêtres tripartites d’influence palladienne et un sarcophage romain encastré dans l’escalier de l’entrée.

Le mausolée des princes Abillama à Bikfaya, aujourd’hui démoli. Il incarnait dans son vocabulaire architectural, le passage de la tradition ésotérique druze à la transparence chrétienne. ©Qadiman

 

Ils ont aussi décidé d’ouvrir leur mausolée par sa façade principale en reprenant le modèle gréco-romain prostyle (à colonnade sur l’avant). Contrairement à l’exemple de Kaslik dont la galerie avant est voûtée, engendrant des arcades, le monument de Bikfaya s’est adonné au classicisme. L’architecte a repris la forme et les détails de Notre-Dame-des-Colonnes, aménagée à Bziza dans un ancien temple prostyle, tétrastyle (à quatre colonnes) et appartenant à l’ordre ionique. Selon ce concept, la galerie avant de Bikfaya devenait un véritable pronaos, nous introduisant dans le naos-cella de la partie fermée en chapelle.

Par l’emploi des colonnes ioniques surmontées d’un entablement et d’un fronton, les Abillama ont non seulement reproduit l’imagerie de l’Église maronite latinisée, mais ils ont aussi rendu hommage à l’héritage hellénistique du pays et à sa culture intrinsèquement ouverte sur l’Occident. La complémentarité est frappante avec l’esprit archaïque qui émane de la partie arrière, cubique et austère. Alors que l’avant déclare son identité méditerranéenne, l’arrière, dominé par la coupole traditionnelle et sa croix de pierre, fait résonner la spiritualité maronite et son chant syriaque millénaire.