La célébration de la Pâques à deux dates différentes par les catholiques et les orthodoxes va contre le désir exprimé par le Christ à la veille de sa Passion que ses disciples "soient un", et contrarie une profonde aspiration des fidèles des deux Églises.

À son origine, un litige vieux de 400 ans qui n’a aucune portée théologique ou dogmatique. Pourtant, il fait scandale en rendant visible un profond désaccord entre les hiérarchies. "Quelle sorte de témoignage apportons-nous au monde avec cette division?" a déclaré, il n’y a pas longtemps, le pape François. "Il n’existe pas de plus grande fête que Pâques, et c’est de façon séparée que nous la célébrons!" Pour certains, la persistance de la célébration de la Pâques à deux dates différentes est purement et simplement "une désobéissance à Dieu".

Il n’en fut pas toujours ainsi. Au début de l’ère chrétienne, après un désaccord originel sur cette date, le Concile œcuménique de Nicée, en 325, régla le problème. Dans l’évangile selon saint Jean, il était précisé que le Christ est mort le jour du repas de la Pâque juive, c’est-à-dire le jour de la première pleine lune après l’équinoxe de printemps. Le Concile de Nicée décida que la Pâques devait être célébrée après la Pâques juive, soit le dimanche suivant la pleine lune en question.

Cette date devait nécessairement être mobile, puisqu’il fallait la fixer dans un calendrier solaire de 12 mois, en fonction d’un calendrier lunaire de 13 lunaisons, en décalage continu par rapport au cycle solaire.

Toutefois, le consensus entre les Églises d’Occident et d’Orient fut rompu lorsque le calendrier julien fut remplacé par le calendrier grégorien à la fin du XVIᵉ siècle.

Les deux calendriers

Le calendrier grégorien – nommé d’après le Pape Grégoire XIII – reprend en grande partie la structure du calendrier julien, en vigueur dans la Rome antique. Ce calendrier solaire, introduit par Jules César en 46 av. J.-C., subdivise l’année en mois et en semaines identiques. À l’époque de Grégoire XII, le décompte se faisait à partir de l’Anno Domini, point de départ de l’ère chrétienne.

L’unique différence entre les deux calendriers fut la détermination des années bissextiles. Une année bissextile est une année comportant 366 jours au lieu des 365 pour une année commune. Le jour surnuméraire ajouté est le 29 février, car ce mois compte habituellement vingt-huit jours. Ce genre d’année existe pour compenser la différence de temps entre l’année calendaire commune (365 jours) et l’année solaire, le temps pris par la Terre pour effectuer une révolution complète autour du Soleil étant de 365,2422 jours, soit un peu plus qu’un quart de jour en plus. Un jour surnuméraire devait donc être ajouté régulièrement pour que la moyenne de la durée des années calendaires soit la plus proche possible de l’année solaire.

Pour parachever ce rajustement, il restait un infime dépassement (l’écart entre 365,2422 et 365,25) dont on n’avait pas tenu compte. Sur près de quinze siècles, il avait fini par s’élever à quelque 10 jours. Le calendrier grégorien fut rajusté en conséquence et l’on sauta, du jour au lendemain, du 4 au 15 octobre. En froid avec Rome, les Églises d’Orient rejetèrent cette réforme et les deux dates de Pâques firent leur entrée dans l’histoire.

Jean-Paul II, champion de la célébration commune

De nos jours, la résolution du scandale des deux dates trouva en Jean-Paul II son champion. Il s’exprima à ce sujet au cours de sa visite à Damas, en 2001, et c’est par un tonnerre d’applaudissements que fut accueillie à la cathédrale des grecs-orthodoxes à Bab Touma, son souhait d’une restauration "sans délai" de la "célébration commune".

Dans son discours, Jean-Paul II avait confié cette mission à l’Église d’Orient, mais peu de progrès ont été décelés sur ce plan.

La célébration commune répondrait aussi à un "appel prophétique" venu en novembre 1982 du quartier de Soufanieh, dans la banlieue proche de Damas, où venaient d’emménager Nicolas Nazzour, un grec-orthodoxe, et sa jeune épouse Myrna (18 ans), une grecque melkite catholique.

Le couple entamait sa vie conjugale quand leur maison de quartier fut bouleversée d’abord par des exsudations d’huile d’une anodine photo de la Vierge de Kazan ramenée de Sofia, en Bulgarie, et peu après par des effusions d’huile sur le visage et les mains de Myrna. Au fil des années, Myrna reçut des paroles de Notre-Dame et, à l’occasion, des stigmates de la Passion, apparurent sur son corps.

Le message dont Myrna se fit le porte-parole est celui de la prière sacerdotale de Jésus dans l’Évangile selon saint Jean: "Que tous soient un." Dans un Orient qui se vide de ses chrétiens, l’appel fut encore plus ample: "Ne quittez pas l’Orient, ne trahissez pas votre histoire!". Et pour donner encore plus de force à ce message – auquel en conscience on peut ne pas croire – les stigmates qu’elle reçut sur son corps, durant la Semaine sainte, n’apparurent généralement que lorsque les deux dates de Pâques coïncidaient.

On est en droit de douter du caractère surnaturel de tels épisodes, mais on risque de nier au Ciel le droit de continuer à parler aux hommes. Quoi qu’il en soit, ces signes endossèrent une cause dont nul n’ignorait la vérité, dans un Liban déchiré et en guerre, une Syrie en latence et presque tout le Moyen-Orient sur le point de s’embraser.

Sur le plan ecclésiastique général, un consensus voudrait que les chrétiens d’Orient célèbrent la fête de Pâques suivant le calendrier de la communauté numériquement dominante. Des exemples en sont donnés en Syrie, en Jordanie, en Éthiopie, en Finlande, etc. Au Liban, Dhour Choueir a décidé de nos jours de donner l’exemple de l’unité. Depuis plusieurs années, les catholiques y célèbrent la Pâques avec l’Église orthodoxe. "Soins palliatifs, en attendant une décision au sommet", estime un peuple chrétien que les "expériences-pilote" laissent sur sa faim et qui semble exaspéré par les lenteurs de l’histoire.