Une amie voit dans la célébration, sur trois semaines successives, des fêtes des Pâques catholique et orthodoxe et de l’Aïd-el-Fitr, qui marque la fin du jeûne de Ramadan, un "signe" du "message" qu’est le Liban. "Nous avons reçu la grâce d’être différents, il nous manque la volonté, la décision de l’être", dit-elle. Référence est faite ici au "message" de liberté et de tolérance qu’est le Liban; un message auquel Jean-Paul II, nous a convaincus, musulmans et chrétiens, de croire.

L’ennui, c’est que l’on ne peut pas voir "un signe" dans une concordance chronologique prévisible, purement objective. Calculées suivant des calendriers différents, ces fêtes n’ont pas la vocation d’être des "signes", mais plutôt des "occasions". En revanche, bien saisir une occasion laisse entendre qu’on a compris le sens profond du "signe" par lequel nous croyons que Dieu nous parle.

En philosophie politique, le concept de "tolérance" signifie, au mieux, pragmatisme, au pire, démission. Dans le vocabulaire puisé par Jean-Paul II dans le Concile Vatican II, le mot s’est enrichi d’une nouvelle charge de sens: il signifie désormais ouverture, respect, estime de l’autre. C’est cette charge de sens qu’il revêt dans le document conciliaire Nostra Aetate (À notre époque), la déclaration du concile Vatican II sur les relations de l’Église catholique avec les religions non chrétiennes.

Dans ce document fondateur, l’Église déclare en particulier son "estime" pour les musulmans. Rendant compte de l’originalité de cette déclaration, Michel Younès, directeur de centre à la faculté de théologie de l’Institut catholique de Lyon, assure que Nostra Aetate prolonge une attitude qui a marqué l’esprit du Concile tout entier. "Vatican II est l’unique concile dans l’histoire de l’Église qui ne justifie pas les positions orthodoxes en condamnant les tendances hérétiques, dit-il. Bien au contraire, il opère un acte réflexif en faisant retour sur l’identité de l’Église en relation avec autrui."

Il n’existe sans doute pas d’équivalent musulman de Nostra Aetate, mais depuis Vatican II, de sérieux progrès ont été quand même faits en matière de dialogue interreligieux, du côté musulman. La déclaration d’Abou Dhabi sur la fraternité humaine signée en 2019 par le pape François et l’imam d’al-Azhar, Ahmad el-Tayeb, référence respectée du sunnisme mondial, revêt une importance particulière, dans ce domaine, dans la mesure où elle se propose comme un socle de réflexion commun aux chrétiens et aux musulmans dont les croyants des deux religions peuvent se prévaloir dans leurs rapports mutuels.

Dans son analyse, Michel Younès relève l’existence de plusieurs soubassements. Le premier porte sur la recherche de points de convergence et non de différences irréductibles entre les deux religions, le second sur la manière de désigner l’interlocuteur. Sur ce dernier point, souligne-t-il, "il est frappant de voir que le texte n’évoque jamais l’islam comme une entité ou comme une religion, mais qu’il parle des musulmans. Ce constat conduit à formuler une remarque: loin d’être un échange entre systèmes religieux, le dialogue est avant tout la rencontre de personnes qui croient et qui cherchent dans leur vie à honorer ce qu’implique leur foi. La déclaration ne se prononce pas sur la foi musulmane, mais elle se montre comme une invitation à faire sortir le dialogue d’un jeu de miroir où l’autre est perçu comme le représentant d’un système de croyances. Dans ce sens, le texte incite à rechercher les profondeurs de la personne qui vit sa foi et qui, dans sa quête, rencontre d’autres témoins impliqués dans leur tradition religieuse. Le dialogue s’apparente davantage, suivant cette logique, à une rencontre entre témoins de l’unique Dieu plutôt qu’à un débat d’idées."

"Nous n’avons pas besoin de déprécier les religions non chrétiennes pour montrer la grandeur du christianisme, écrit Jean Daniélou dans son Essai sur le mystère de l’histoire. C’est, à ma connaissance, ce que notre bonne vieille éducation nous a habitué à faire. Or l’islamophobie fait rage aujourd’hui, et sur les réseaux sociaux, la rivalité entre l’islam et le christianisme est à son comble, gangrénant les esprits."

Ces courants de pensée installent la méfiance entre nos communautés. Possédant la culture, le climat et une magnifique façade maritime, il nous manque l’art de gouverner et l’intégrité qui doit l’accompagner pour faire barrage à ce déluge. En outre, prisonniers de notre géographie, il nous faut savoir échapper de cette prison par nos leçons d’histoire; par notre art de nous garder à bonne distance de tous, et en bonne entente avec tous, pour autant que ça relève de nous. Car personne ne nous oblige d’être des amis serviles.

Aux grandes puissances régionales qui nous regardent de haut, nous avons d’innombrables leçons de vie à donner, et d’abord celle de choisir dans la modernité ce qu’il faut garder et ce qu’il faut rejeter: les armes et la morale permissive, toute la mécanique sentimentale qui endurcit le cœur, pervertit la conscience, dégrade la raison, force à réconcilier l’inconciliable, fonde l’incohérence du jugement, l’obstination dans l’erreur et l’insensibilité. En six mille ans d’histoires accumulées, nous avons appris à recevoir ce qui nous grandit, et à rejeter ce qui nous abaisse. Nous avons vécu largement et de peu, selon ce que la terre et aujourd’hui l’infrastructure économique – métaphore de la terre nourricière – nous accorde. Nous savons forger des lois et nous savons en faire des lames aussi souples que des tiges vertes. Mais comme dit mon amie: "Il nous manque la volonté et la décision!" pour libérer le Liban de ses captivités.

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