2021 a été particulièrement meurtrière pour le Liban, comme pour le monde entier, emportant sur son passage plusieurs personnalités publiques, parmi lesquelles les députés et anciens ministres Michel Murr (31 janvier), Jean Obeid (8 février) et Fayez Ghosn (21 novembre), le député Moustapha Husseini (28 juillet), l’ancien ministre et ancien député Othman Dana (21 décembre), ou le président du Conseil supérieur chiite, le cheikh Abdel Amir Kabalan (4 septembre).

Mais, loin des strapontins, la Camarde a aussi fauché des serviteurs de la chose publique, personnalités appréciées, respectées et aimées dans leurs milieux. Ici Beyrouth a choisi d’en honorer quelques-uns. 

Salim Azar

Le Liban a perdu un grand magistrat le 4 janvier en la personne de Salim Azar, réputé pour sa rectitude et son intégrité. Entré dans la magistrature en 1953, le juge Azar occupera plusieurs postes sur une carrière de près d’un demi-siècle, dont ceux de président de la Cour de cassation et de la Cour d’appel de Beyrouth. Membre du Conseil supérieur de la Magistrature de 1974 à 1990, il sera nommé, à la fin de sa carrière, membre du premier Conseil constitutionnel – de 1994 à 1997. Sur le plan politique, le juge Azar avait été plus récemment l’un des signataires de la pétition nationale 2012 contre le projet de loi électorale dit “orthodoxe”, proposé par le vice-président de la Chambre, Elie Ferzli, prévoyant que chaque électeur élise uniquement les représentants de sa communauté au Parlement.

Salim Azar

Massoud Achkar

Achrafieh a perdu le 11 janvier un serviteur dévoué corps et âme en la personne de Massoud Achkar, ancien combattant et homme politique, de complications liées à la Covid-19. Un homme simple, modeste, proche des gens et de leur soucis, curieux de nature, féru de biographies de personnalités historiques, mais aussi un résistant pour un ensemble de causes justes et nobles. Candidat à plusieurs reprises aux élections législatives au siège maronite de Beyrouth, Achkar s’était notamment illustré au scrutin de l’an 2000, en menant ouvertement campagne, en pleine occupation syrienne, contre cette dernière, en dépit de l’appel au boycott lancé à l’époque par les partis chrétiens de l’opposition.

Massoud Achkar

Ghassan Noujeim

Le général à la retraite Ghassan Noujeim, ancien responsable des Forces de sécurité intérieure au Mont Liban entre 1997 et 2000 et père de notre collaboratrice Sandra Noujeim, a lui aussi été terrassé par la Covid-19 dans la nuit du 21 au 22 janvier. Un serviteur d’État silencieux, défenseur acharné du sanctuaire de l’État – qu’il a cherché à préserver contre vents et marée durant la guerre, notamment lorsqu’il était en charge de la section des FSI de Jdeideh entre 1977 et 1983 – et de l’idée libanaise, et doté d’un esprit stratégique et d’une clairvoyance à toute épreuve. Parmi les nombreux exploits du général Noujeim, qu’il emporte avec lui dans la tombe selon l’exigence de discrétion propre aux plus grands, celui d’avoir personnellement évacué dans sa voiture Raymond Eddé vers Beyrouth-Ouest après la tentative d’assassinat perpétrée contre lui par le parti Kataëb au début de la guerre civile libanaise.

Ghassan Noujeim.

Lokman Slim

Notre collègue Lokman Slim a été enlevé et assassiné dans la nuit du 3 au 4 février dans le village de Niha (caza de Tyr, Liban-Sud). Figure éminente du mouvement révolutionnaire du 17 octobre, Lokman était polyvalent et pluridisciplinaire, un digne descendant de l’héritage des Lumières et de la Nahda. Analyste politique, philologue, écrivain, éditeur et traducteur, l’homme était aussi et surtout militant pour la souveraineté, la démocratie, les droits de l’homme, la paix, la neutralité du Liban et le devoir de mémoire. Son franc-parler pour dénoncer l’hégémonie du Hezbollah sur le Liban et la communauté chiite au service de l’Iran et les excès de la caste politique, lui avaient valu des menaces de mort directes de la part du public de la moumana3a – et son assassinat se produit quelques jours à peine après qu’il ait pointé du doigt les responsabilités de la milice chiite et du régime Assad dans l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020. Depuis, l’enquête locale piétine et le choc de la liquidation manu militari d’une personnalité publique, qui plus est un intellectuel de très haut niveau, semble une fois de plus avoir été “normalisé”, absorbé et occulté. Mais son combat demeure bien vivant, comme en atteste les prix internationaux qu’il continue de recevoir à titre posthume.

Lokman Slim/AFP

Mohammad Hassan el-Amine

Le 11 avril disparaît, du fait de complications liées à la Covid-19, l’uléma Mohammad Hassan el-Amine, père de notre collaborateur Ali el-Amine, un sage du Liban et de la communauté chiite, partisan invétéré du dialogue, de la modération, de la démocratie, du pluralisme, de la sécularisation, des droits de la femme et de la wilayet el-umma contre la wilayet el-faqih. Véritable héritier de la tradition chiite amélite étatiste et opposant à l’hégémonie du Hezbollah, il avait tenté de créer en 2004 un rassemblement démocratique chiite, avec de nombreuses figures démocratiques de la communauté, à l’instar notamment du chercheur Saoud el-Maoula. L’initiative avait été sabordée par l’establishment politique à l’époque, soucieux de caresser le parti chiite dans le sens du poil… Humaniste, cultivé, homme de lettres et de droit d’une sensibilité toute particulière, mélomane, El-Amine laisse derrière lui de nombreux écrits et un legs considérable, qui inspireront sans doute de nombreuses générations une fois les ténèbres actuelles dissipées.

Mohammad Hassan el-Amine

Chaker Aoun

Ancien vice-président du parti Kataëb de 2008 à 2015, Chaker Aoun, un militant de la première heure au sein du parti, décède le 4 juillet. Connu pour sa droiture et son sens inaltérable de l’engagement, Aoun est l’un des fondateurs de la section estudiantine du parti, alors même qu’il se trouvait encore sur les bancs de l’école, au Collège Notre-Dame de Jamhour. Durant les événements de 1958, il est grièvement blessé dans l’attentat contre le tram de Nasra, mais se rend lui-même à pied à l’hôpital pour recevoir les soins nécessaires. Il dirige ensuite le régional du parti à Saïfi durant les années 70 et se rapproche de Bachir Gemayel. A partir de 1988, il fait partie du groupe de l’Opposition kataëb qui intente un procès pour invalider les résultats des élections au sein du parti et remettre en cause, partant, la légitimité de son directoire. Cette bataille, poursuivie avec Élie Karamé, Antoine Moarbès et d’autres, sous l’occupation syrienne, dans un contexte de phagocytose continue du parti par le régime syrien, sera finalement couronnée de succès en 2005 et permettra de contribuer, sur des assises solides, à la réconciliation interkataëb menée par l’ancien président de la République Amine Gemayel.

Chaker Aoun