Qui pourra jamais déterminer le sort de 622 soldats libanais censément retenus dans les geôles du Baas? Qui pourra déterminer le sort de 100.000 disparus lors des douze années de guerre civile syrienne? Qui, sinon un organisme indépendant parrainé par les Nations unies? Or le Liban officiel vient de s’abstenir de voter la création d’un tel organisme humanitaire!
Que voulez-vous que notre ministre des Affaires étrangères fît contre la Syrie, le tandem chiite et le général Aoun? Qu’il mourût?!
«Vous plaisantez», aurait rétorqué Léa Salameh! Qui a dit que Abdallah Bou Habib avait vocation au martyre? Selon toute vraisemblance, il n’est pas de la race de ceux qui se sacrifient, ni de ceux qui osent.
L’abstention et le tollé
À la fin du mois dernier, l’Assemblée générale des Nations unies se démenait pour «clarifier» la question du sort de 100 000 disparus lors des douze années de guerre en Syrie. Alors notre ministre sortant annonça que le Liban s’abstiendrait de voter le projet de résolution visant à «créer un organisme indépendant parrainé par la communauté pour enquêter sur le sort des victimes des dites disparitions forcées».
«C’est une honte», avait aussitôt clamé un ancien pensionnaire des geôles syriennes. Et l’Association des détenus et des victimes des disparitions forcées en Syrie, qui était sortie de ses gonds, n’avait pas manqué de déclarer qu’elle tenait le Premier ministre sortant, le ministre concerné ainsi que l’ensemble du gouvernement intérimaire pour responsables de cette infamie (1).
Le général savait
Certes, les ténors de l’opposition et les médias souverainistes se sont offusqués de la décision prise et n’ont pas manqué de vociférer leur indignation. Mais comment pouvaient-ils croire que M. Bou Habib, inféodé au CPL, allait se soucier des disparus syriens, quand Michel Aoun, alors commandant-en-chef de l’armée, son suzerain, ne s’était pas soucié des disparus libanais, ceux-là mêmes qui, sous l’uniforme ou comme francs-tireurs, s’étaient battus pour lui un certain 13 octobre 1990?
«Laissez les morts enterrer leurs morts», était bien la devise du général autrefois rebelle à l’hégémonie de Damas. Mais il n’empêche que, tout à son ambition, il s’était rendu à plus d’une reprise en Syrie, comme pour disculper les tortionnaires patentés de ses compatriotes. En aurait-il profité pour s’informer quant au sort desdits disparus? Pensez-vous? Et pourquoi l’aurait-il fait? En homme réaliste et bien informé, il savait qu’il n’y avait pas de survivants et que la liquidation physique de ceux qui avaient cru en lui avait mis un point final à l’aventure insensée qu’il avait déclenchée. Nul n’avait réchappé aux exécutions sommaires diligentées par des officiers syriens au mépris des lois de la guerre et de l’honneur militaire, que ce soit à Dahr al-Wahch, à Deir al-Qalaa ou ailleurs. Le général le savait, il l’avait appris à l’époque où il se prélassait en région parisienne!
Voici ce qu’il aurait dû faire contre les «trois»
Pauvre pays et désolante classe politique! Et cependant, notre ministre, cet homme-lige de Gebran Bassil, aurait pu se rattraper aux yeux de l’histoire. Il aurait pu se démarquer du CPL et adopter l’attitude qui sied à un patriote en donnant à notre mission diplomatique à l’ONU les instructions qui s’imposaient à tout homme de cœur, à savoir voter en faveur de la création de l’organisme humanitaire en question. Ç’aurait peut-être été considéré comme «une ingérence flagrante dans les affaires intérieures syriennes et une approche hostile de certains pays occidentaux contre la Syrie» (2). Et alors?
Ce faisant, il aurait fait cependant d’une pierre deux coups. Il aurait damé le pion au régime de Damas, régime en quête de respectabilité arabe et internationale. Il aurait également démarré un processus de désobéissance civile au sein même de l’administration publique tombée sous l’emprise du Hezbollah. En effet, pourquoi tenir encore à cet édifice gangrené qui, de jour en jour, nous échappe et se laisse instrumentaliser par les suppôts de l’Iran?
Mais je n’oublie pas pour autant M. Bou Habib, qui se serait révélé si héroïque. Ayant marqué le coup, il se serait dirigé vers Awkar pour demander l’asile politique à l’ambassade des États-Unis, pays où il avait servi comme chef de mission. Le précédent établi par le Premier ministre syrien dissident Riyad Hijab aurait pu l’inspirer (3). Ou alors, et plus simplement, il aurait pu suivre l’exemple du général Aoun qui s’était réfugié en une ambassade, laissant à ses troupes le loisir de se faire massacrer.
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1- «Disparus en Syrie, le Liban veut rester neutre», Ici Beyrouth, 30 juin 2023.
2- Déclaration de l’ambassadeur de la Syrie à l’ONU, M. Bassam Sabbagh.
3- En août 2012, le Premier ministre syrien en exercice, Riyad Hijab, avait fait défection et s’était réfugié avec sa famille en Jordanie.
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