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Parce qu’elle avait stigmatisé il y a trois ans les violences infligées à un jeune manifestant de Tripoli, roué de coups à Jounieh par des partisans du Courant patriotique libre (CPL), Dima Sadek vient d’être condamnée à un an de prison par la cour pénale présidée par la juge Rosine Hojeily, proche du CPL.

Il s’agit d’un précédent dangereux pour plusieurs raisons. Conformément à la loi libanaise, un journaliste est traduit, en cas de plainte ou de procès, devant le tribunal des imprimés, ce que ni les responsables politiques ni les autorités judiciaires ne veulent faire, sous prétexte que la loi sur les imprimés ne mentionne pas les nouveaux médias et les réseaux sociaux et ne couvre pas de ce fait les avis exprimés en ligne.

La cour pénale a ensuite condamné à la prison une journaliste horrifiée par un acte censé être sanctionné par la loi. Ce qui n’a pas été le cas.

Mme Sadek a rappelé les faits, qui remontent au début de 2020, dans une vidéo publiée sur son compte Twitter. Le cinq février 2020, un incident avait eu lieu entre les gardes du corps de l’ancien député aouniste de Jezzine, Ziad Assouad, et deux activistes sunnites originaires de Tripoli dans la région de Maameltein dans le Kesrouan. Ces derniers étaient en chemin pour Beyrouth où ils devaient participer à une manifestation contre la classe politique. Ils avaient été roués de coups par les gardes du corps de M. Assouad qui leur ont asséné qu’ils n’avaient rien à faire à Jounieh, que leur place était à Tripoli et qui les avaient obligés à rebrousser chemin. Selon Mme Sadek, les activités auraient déposé une plainte, mais celle-ci serait restée sans suite.

L’altercation, largement diffusée sur les réseaux sociaux, avait pris une dimension confessionnelle qui avait indigné les internautes. Ces derniers n’ont pas hésité à stigmatiser un comportement raciste. Parmi eux, Dima Sadek. La journaliste l’a qualifié de "raciste et nazi", ce qui lui a valu une plainte de la part du chef du CPL, Gebran Bassil, présentée devant la cour pénale.

Dans la vidéo, Mme Sadek a souligné que la décision de son emprisonnement constitue "un précédent dangereux contre la liberté de la presse au Liban", ajoutant que "les gardes de corps de Ziad Assouad n’ont pas été jugés ni arrêtés ni même importunés, alors que moi, qui avais dénoncé leurs actes, j’ai été condamnée à la prison".

Elle a par ailleurs annoncé qu’elle devra s’acquitter d’une somme de 110.000.000 de livres libanaises à titre de dédommagement au CPL.

"La sonnette d’alarme doit être tirée. Nous poursuivrons notre combat, nous continuerons de dire la vérité et nous verrons qui remportera la bataille de la liberté au Liban", a-t-elle ajouté, affirmant qu’elle fera appel de la décision de la juge Rosine Hojeily.

Le verdict de la juge a été dénoncé par plusieurs personnalités politiques qui se sont indignées d’une atteinte flagrante à la liberté d’expression et ont fait part de leur solidarité avec Mme Sadek. "Les tentatives d’intimidation exercées contre les journalistes libres resteront sans effet. Au contraire, elles les inciteront à défendre jusqu’au bout les causes en faveur desquelles elles sont engagées", a écrit sur Twitter le chef des Kataëb, Samy Gemayel, en insistant sur la seule compétence du tribunal des imprimés pour juger les journalistes.

Le député Michel Doueihy a rejeté "dans le fond et dans la forme" le verdict contre Mme Sadek, tout comme les députés Mark Daou, Ziad Hawat, Paula Yaacoubian et Ihab Matar. De même, plusieurs journalistes, dont Jean Nakhoul, Diana Mokalled et Nicole Hajal, ont exprimé leur solidarité avec elle et l’ONG Maharat a considéré le jugement comme "un grave indicateur du déclin de la liberté d’expression au Liban".

En soirée,Réagissant à la décision de justice à l’encontre de Dima Sadek, le ministre sortant de l’Information, Ziad Makari, a affirmé son attachement à l’indépendance de la justice mais aussi à la liberté d’expression.

Le ministre a plaidé dans ce contexte pour l’approbation d’une " loi de l’information contemporaine, la seule garantie aux libertés ". Il a appelé le Parlement à voter le projet de loi qu’il lui avait soumis, d’autant qu’il " respecte les standards internationaux et interdit l’emprisonnement des journalistes ".

Les Forces libanaises (FL) ont aussi dénoncé le jugement, estimant qu’il représente " un précédent dangereux pour emprisonner des journalistes sous prétexte de diffamation ".

Le département d’information du Courant du futur a stigmatisé le jugement de la juge Hojeily, jugeant " honteux que des magistrats prononcent des verdicts sur commande contre des journalistes, pour donner satisfaction à des requêtes d’hommes politiques dont le seul souci est de régler des comptes et de réprimer les libertés ". Il a invité les deux ordres de la presse et des rédacteurs à " faire le nécessaire pour protéger les journalistes et confirmer le fait que seul le tribunal des imprimés est compétent pour traiter les dossiers concernant ces derniers ".

Pour sa part, le département d’information du PSP a insisté sur le fait que " quelles que soient les données, la liberté d’expression qui est consacrée par la Constitution et la Charte des droits de l’homme, reste au-dessus de toute considération ". " Le jugement émis est en totale contradiction avec l’idée même du Liban, basée sur la liberté d’opinion et d’expression ".

Le Club de la presse a mis en garde à son tour contre " les tentatives de limiter la liberté d’opinion et d’expression et de recourir à l’intimidation pour dompter les journalistes "