Quatre étapes marquent le début de 2022. La première est la décision de la magistrate Ghada Aoun d’interdire au gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé de quitter le territoire. La deuxième, la grève de la Confédération générale des travailleurs du Liban (CGTL), le secteur des transports terrestres en particulier, et le blocage des routes en guise de contestation contre la folle envolée délibérée du taux de change du dollar américain. La troisième se traduit par l’appel/mascarade au dialogue à Baabda. Et la quatrième se manifeste par l’escalade systématique programmée par le Hezbollah contre l’Arabie saoudite, avec pour plateforme sa banlieue sud.

La première étape est pratico-opérationnelle. Il s’agit de la mèche qui attend d’être allumée pour faire détonner l’explosion tant attendue. L’homme n’est pas à dédouaner de l’effondrement financier sans précédent, qui frappe non seulement le Liban, mais le monde entier, comme le soulignent les experts. Il est sans aucun doute complice des crimes financiers qui ont emporté sur leur passage la sécurité économique et sociale de la majorité des Libanais.

Cependant, il n’est certainement pas le seul responsable et encore moins le responsable majeur. Celui qui s’est servi de lui reste le maître d’œuvre qui a pillé et utilisé le pays pour sauver le régime d’Assad grâce à son approvisionnement en dollars et en marchandises subventionnées par l’État libanais, par le biais de la contrebande.

Riad Salamé sait pertinemment comment les deniers publics ont été pillés et connaît l’identité des malfaiteurs qu’il tait, parce qu’il est complice. L’interdiction de quitter le territoire ne le poussera pas à la délation et à faire tomber ses partenaires dans le crime, tout comme il ne contribuera à aucun progrès ou percée pour débloquer la situation.

C’est bien le contraire qui se produira, avec une nouvelle dégradation des conditions de vie et une aggravation des crises au Liban, en raison des accusations lancées de façon discrétionnaire et malveillante pour servir le président de la République Michel Aoun et son gendre Gebran Bassil dans leur lutte pour leur survie dans la vie politique.

La deuxième étape est également pratico-opérationnelle. La grève du secteur des transports terrestres au sein de la Confédération générale des travailleurs du Liban, qui est politiquement affilié au mouvement Amal, aurait pu constituer le détonateur à même d’embraser le pays sur le plan sécuritaire et faire régner le chaos, si nécessaire, faisant écho aux événements du 7 mai 2008, sous des formats et des objectifs différents, le plus important étant l’annulation des élections législatives. Cette couverture pourra donc servir à tout moment, en fonction des intentions du duopole chiite.

À moins qu’il ne s’agisse d’une simple catharsis bénéfique au tandem chiite, à laquelle on attribue une légère baisse du taux de change du dollar, contribuant ainsi à créer une soupape pour absorber la colère des gens.

La troisième étape, quant à elle, se résume à l’appel de Michel Aoun du dialogue, avec des dispositions censées, selon ce dernier, son gendre et ses conseillers, sauver son mandat fort, entaché par ses faiblesses, son échec et sa responsabilité, un mandat qui a commencé avec un dollar dont la valeur était de 1.500 livres libanaises et qui s’achève avec un dollar dont le plafond et le rythme de hausse restent deux inconnues.

En dépit des indications de l’échec de cet appel mort-né, il n’empêche que l’instrumentalisation qui en est faite est claire et cliché à la fois. La déclaration de Gebran Bassil à partir du palais de Baabda suite à la " visite officielle " rendue à son beau-père se limite à une mendicité populiste à travers les critiques adressées au Hezbollah, au mouvement Amal et au Premier ministre Nagib Mikati, dont il réclame la démission au motif que " l’absence d’un gouvernement vaut mieux qu’un cabinet qui ne se réunit pas ". Cette nouvelle équation n’est pas conjoncturelle et sert probablement l’objectif d’annuler les élections, dont M. Bassil cherche désespérément à fuir les résultats.

Reste la quatrième étape. La guerre que le Hezbollah a lancée contre l’Arabie saoudite sert, d’un côté, à mobiliser la communauté chiite contre un ennemi extérieur et lui faire oublier ses difficultés du quotidien, ainsi que l’incapacité du Hezbollah à apporter le moindre soulagement à ce niveau. Par ailleurs, cette guerre est intimement liée aux échéances iraniennes auxquelles le Hezbollah est attaché en vertu de son allégeance à la wilayat el-faqih. Plus l’Iran se trouve au pied du mur dans les négociations avec les Américains concernant son dossier nucléaire, ou en recul en Irak et au Yémen, comme c’est le cas dernièrement, plus le Hezbollah est sommé d’agir et d’avoir recours à l’escalade de façon à alléger quelque peu la situation de crise dans laquelle se trouve Téhéran.

Ce faisant, mis à part leur lien externe conforme à l’agenda iranien, ces quatre étapes sont syntonisées  par le Hezbollah et liées par un fil d’Ariane dans le but de relancer la tactique et la stratégie qui permettront au parti d’atteindre les objectifs requis afin de torpiller le scrutin électoral: soit en provoquant un chaos sécuritaire, dont les causes et les prétextes seraient mis en branle dans la foulée de l’effondrement de la livre libanaise à un rythme catastrophique ; soit en contrôlant l’issue du scrutin de sorte à reconstituer la majorité parlementaire de 2018 à l’identique et de barrer la voie à tout changement, même minime, pouvant signaler la chute du système actuel mené par le Hezbollah en fonction de ce qui convient à son opérateur iranien.

Plus important encore, ces étapes dévoilent la faiblesse de l’autorité du parti qui hypothèque la souveraineté du pays et en contrôle les institutions, présidence de la République, gouvernement et Parlement, en manipulant ou bloquant chacun au gré de ses intérêts. Le Hezbollah a établi sa domination sur ses alliés tout comme ses adversaires asservis, et les pousse à brandir des armes d’un nouveau genre, pensant compenser ainsi sa perte de contrôle sur le terrain, où il fait face à un rejet populaire grandissant sur le plan interne. Il n’hésite pas non plus à plonger le Liban dans des situations quasi inextricables qui lui valent des condamnations arabes et des défis internationaux, car, en dépit des 100.000 combattants et des centaines de milliers de missiles, il ne puise sa force, en fin de compte, que de son rôle d’instrument, parmi tant d’autres, de l’Iran.