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Au niveau de la présidentielle libanaise, la position du groupe des Cinq (France, Arabie saoudite, Qatar, Égypte et États-Unis) a récemment évolué. Selon des analystes à Beyrouth, ces pays sont parvenus à un "accord plus ferme" sur deux points précis: l’urgence de fixer une "date limite" pour cette élection et la nécessité de s’engager dans une "troisième voie".

Onze mois après la fin du mandat de l’ex-président Michel Aoun, et alors que les efforts locaux et internationaux en vue d’élire un nouveau chef de l’État n’ont toujours pas abouti, les yeux des Libanais restent rivés sur chaque rencontre locale ou à l’étranger portant sur ce dossier.

C’est notamment le cas de la réunion qu’a tenue mercredi, à Riyad, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Fayçal ben Farhan, avec le représentant personnel du président français, Emmanuel Macron, pour le Liban, Jean-Yves Le Drian, en présence de l’ambassadeur saoudien à Beyrouth, Walid Boukhari, et du conseiller en charge du dossier libanaisau sein du Cabinet royal saoudien, Nizar Alaoula. Cette réunion avait été précédée de concertations entre MM. Le Drian, Boukhari et Alaoula.

Selon un communiqué de l’Agence saoudienne de presse, " les relations bilatérales et les moyens d’intensifier la coordination commune (franco-saoudienne) dans de nombreux domaines ont été examinées ". " Les deux parties ont également passé en revue les derniers développements liés au dossier libanais, et à l’actualité régionale et internationale, ainsi que les efforts déployés à cet égard ", dans la perspective d’un règlement.
En attendant que les résultats concrets de cette rencontre se précisent, on peut déjà signaler qu’au niveau de la présidentielle, la position du groupe des Cinq (France, Arabie saoudite, Qatar, Égypte et États-Unis) a bel et bien évolué. Selon des analystes à Beyrouth, les membres du quintette sont parvenus à un "accord plus ferme" sur deux points précis: l’urgence de fixer une "date limite" pour cette élection et la nécessité de s’engager dans une "troisième voie".

Impatience

La lassitude de ces pays vis-à-vis de l’impasse présidentielle a clairement été exprimée par Jean-Yves Le Drian, dans son interview mardi à l’AFP. "Les responsables politiques sont dans un déni qui les amène à poursuivre des jeux tactiques aux dépens de l’intérêt du pays", a lancé l’envoyé personnel du président Macron pour le Liban.

"Les Cinq sont totalement unis, profondément irrités et s’interrogent sur la pérennité de leurs financements au Liban, alors que les responsables politiques se complaisent dans l’irresponsabilité", a-t-il martelé.

Cette même impatience avait déjà été exprimée par la secrétaire d’État adjointe américaine, Barbara Leaf, il y a huit jours, lors de la réunion des représentants des Cinq à New York, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU.

Selon un analyste, Washington, à l’instar des autres pays du groupe des Cinq, craint les conséquences de l’accumulation des vacances à la tête des institutions libanaises les plus importantes. Après la présidence de la République et la Banque centrale, une nouvelle échéance pointe à l’horizon: le mandat du général Joseph Aoun comme commandant en chef de l’institution militaire se termine le 10 janvier 2024. Si le chaos continue de régner au niveau des pouvoirs de l’État, les choses pourraient rapidement déraper, appréhendent les pays amis du Liban.

L’émissaire français s’entretenant avec le ministre saoudien des Affaires étrangères (Photo Agence de presse saoudienne)

Troisième voie

En ce qui concerne le "troisième candidat", ou la "troisième voie", les forces de l’opposition libanaise avaient annoncé il y a quelques semaines que les Cinq en général, et la France en particulier, avaient opté pour ce choix. Ces pays avaient réalisé que les anciens ministres Sleiman Frangié (candidat du 8 Mars, et plus précisément du Hezbollah), et Jihad Azour (appuyé par les blocs souverainistes et ayant obtenu lors de la dernière séance électorale, le 14 juin, les votes du Courant patriotique libre et de 9 des 12 députés du changement) ne pouvaient pas être élus.

Durant la troisième mission de M. Le Drian à Beyrouth, il y a moins de deux semaines, les députés de l’opposition avaient divulgué que l’émissaire français avait clairement abandonné l’ancienne initiative française. Celle-ci consistait en l’élection de Sleiman Frangié à la présidence, en échange de la désignation du juge Nawaf Salam comme Premier ministre. M. Le Drian avait déjà proposé l’option d’un 3e candidat, et selon des sources parlementaires, avait sondé les blocs sur la candidature du commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun. Or, malgré cela, les milieux du 8 Mars continuaient de nier qu’un tel changement avait été opéré par Paris, soulignant que l’option Frangié était toujours de mise.

Après l’interview de M. Le Drian à l’AFP, il ne sera plus possible de ne pas admettre que les Cinq ont adhéré, ensemble, à "la troisième voie". En effet, "ni l’un ni l’autre ne peut l’emporter", a-t-il martelé, en se référant aux candidats des deux bords, avant d’ajouter: "Il importe que les acteurs politiques mettent fin à cette crise insupportable pour les Libanais et essaient de trouver une solution de compromis à travers une troisième voie."

Le rôle de l’Iran

Par ailleurs, un analyste politique relève que le Hezbollah, tout en maintenant son attachement à la candidature de Sleiman Frangié, semble avoir ouvert une petite fenêtre dans son mur de blocage, en évoquant "un consensus régional". Selon cet analyste, ce parti aurait lancé la balle dans le camp de l’Iran, alors que certaines informations font état d’une prochaine reprise du dialogue direct entre Téhéran et Washington.

Il convient de noter dans ce cadre que l’Iran et les États-Unis ont récemment procédé à un échange de prisonniers, et que 6 milliards de dollars appartenant à l’Iran ont été transférés d’un compte gelé en Corée du Sud vers un compte au Qatar, ce qui permettra à Téhéran d’utiliser cette somme.

Cet éventuel rapprochement américano-iranien affectera-t-il le dossier de la présidentielle libanaise? En faveur de quel candidat? Quel sera le prix demandé par l’Iran? Il est trop tôt pour se risquer à apporter des réponses tranchées à ces questions.