Écoutez l’article

Beaucoup de rhétorique dans un discours qui a fait l’objet de toutes les craintes, une semaine durant, auprès des Libanais qui vivent dans la terreur de plonger dans l’horreur d’une guerre dont ils ne veulent pas.

Dans son allocution d’une heure et demie, vendredi, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a multiplié les messages, certes, mais il s’est surtout exprimé avec une effronterie sans nom, au nom d’un Liban officiel et d’une population qui ne l’ont à aucun moment mandaté de le faire.

Se positionnant comme le chef incontesté d’un pays placé bon gré mal gré dans un axe dit de la résistance, dont les ficelles sont tirées par l’Iran et dont le Liban n’a que faire, Hassan Nasrallah a abandonné son leitmotiv habituel "sur la-résistance-garante-de-la-souveraineté-et-des intérêts-du-Liban-face-à-la-menace-israélienne" au profit d’un autre slogan: l’obligation "morale" pour le Liban et les Libanais de se laisser entraîner dans une éventuelle spirale de violence pour soutenir le Hamas dans sa guerre contre Israël.

Le chef du Hezbollah a aussi renoncé aux efforts de forme qu’il déployait normalement pour mettre en valeur "la libanité" de sa formation et son souci de préserver les intérêts du pays, reconnaissant son appartenance à un axe régional qui a décidé de s’impliquer dans la guerre en cours entre Israël et le Hamas. Pas un mot, par exemple, sur la crise économique et les séquelles de cet état de guerre non déclarée dans lequel les Libanais vivent – et qui est appelé selon lui à durer, voire à dégénérer peut-être – sur tous les secteurs. Pas un mot non plus sur la nécessité de voir le Liban doté d’un président et d’un gouvernement ayant les pleins pouvoirs en ces temps graves. Sa rhétorique a surtout montré qu’à ses yeux, le Liban officiel et les Libanais n’existent pas.

"Aucune considération pour la volonté du peuple"

C’est ce que le chef des Kataëb, Samy Gemayel, a d’ailleurs relevé, dans une interview accordée à la chaîne panarabe, Al-Hadath. "Ses positions ne sont guère rassurantes. Elles ont révélé qu’à ses yeux le Liban officiel n’existe pas, qu’il n’a aucune considération pour la volonté du peuple libanais ou l’opinion des institutions constitutionnelles", a-t-il déploré. "Hassan Nasrallah a clairement montré que sa décision est liée à celle de l’axe auquel il a reconnu sans équivoque appartenir. Il a aussi lié le sort du Liban à celui de Gaza, ce que nous rejetons catégoriquement", a-t-il ajouté.

Sur le fond, le discours du chef de la formation pro-iranienne correspondait plus ou moins aux analyses de ceux qui ont suivi l’engagement militaire du Hezbollah à la frontière sud, depuis que le Hamas a lancé son attaque contre Israël, le 7 octobre dernier. "Ses propos étaient très équilibrés et réalistes", a commenté le leader druze Walid Joumblatt. Sans doute parce que Hassan Nasrallah a pratiquement laissé entendre qu’il ne voulait pas, jusqu’à nouvel ordre du moins, sortir du cadre de ces fameuses "règles d’engagement" dans lequel les échanges d’artillerie à la frontière sud restent limités.

Il n’en demeure pas moins que ce dernier s’est positionné dans un front plus large, composé, selon lui, de ses alliés au Yémen et en Irak, en plus de l’Iran. Il n’a pas fait mention de la Syrie qu’il a seulement évoquée lorsqu’il a estimé que "la victoire de Gaza est dans l’intérêt national de l’Égypte, de la Jordanie, de la Syrie et du Liban".

Le chef de la formation pro-iranienne a menacé Israël du pire au cas où le bombardement de civils se poursuivrait au Liban, tout en se présentant comme "une force de dissuasion sur le front sud". Il a ainsi affirmé qu’une escalade, redoutée par les Libanais, est tributaire de deux éléments: "l’évolution de la situation sur le terrain à Gaza et le comportement d’Israël à l’égard du Liban". "Je mets en garde l’ennemi contre un ciblage de civils, parce qu’à ce moment-là, ce sera un civil pour un civil", a-t-il menacé.

"Message iranien à Nasrallah"

"Ce sont des messages auxquels on s’attendait, a confié le député Marwan Hamadé à Ici Beyrouth, puisqu’il a bien dit aux Israéliens que s’il n’était pas attaqué, il n’y aurait pas de guerre. Le front du sud va maintenir sa tiédeur actuelle. Il a en même temps voulu dire aux Palestiniens qu’il ne les lâchera pas."

M. Hamadé, pour qui "la rhétorique du chef du Hezbollah n’apporte rien de nouveau", a relevé que Hassan Nasrallah a "sûrement reçu un message iranien selon lequel il ne devrait pas se mouiller et impliquer Téhéran." Une remarque qui se justifie par le soin pris par le chef du Hezbollah pour expliquer avec insistance que ni sa formation ni l’Iran n’avaient été informés de l’opération militaire d’envergure du 7 octobre. "Ce qui va déterminer les événements futurs, c’est ce qui va se passer ailleurs", a estimé M. Hamadé. Ce qui expliquerait la remarque, très vague, de Hassan Nasrallah, au sujet de "de toutes les options qui restent ouvertes", lorsqu’il a évoqué l’évolution du conflit.

Marwan Hamadé a, lui aussi, relevé que le chef du Hezbollah n’a parlé du Liban que sous l’angle de son implication dans le conflit à Gaza.

Le fait que le chef du Hezbollah se soit déchaîné contre les Etats-Unis, les accusant d’être "responsables des atrocités commises contre les Palestiniens, notamment à Gaza", n’a pas non plus surpris, pas plus que les mises en garde qu’il a adressées à Washington. "Nous sommes prêts (à faire) face à votre flotte, avec laquelle vous nous menacez", a-t-il assuré, avant de proférer également des menaces à peines voilées sur un possible retour aux attentats des années 80 contre des cibles américaines au Liban. Les propos de Hassan Nasrallah peuvent cependant être interprétés comme un appel aux États-Unis à intervenir et à mettre fin au conflit sanglant à Gaza.

Mises en garde de Washington et d’Israël

Washington s’est d’ailleurs empressé de réagir au discours de Hassan Nasrallah, mettant à son tour en garde contre une implication du Liban dans une guerre qui ne le concerne pas. "Nous n’entrerons pas dans une guerre des mots. Les États-Unis ne cherchent ni l’escalade ni l’élargissement du conflit que le Hamas a déclenché contre Israël", a affirmé un porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche.

"Ni le Hezbollah ni aucun autre acteur, étatique ou non, ne doit chercher à profiter du conflit entre Israël et le Hamas", a-t-il averti. "Cela pourrait devenir une guerre plus sanglante que celle de 2006 entre Israël et le Liban. Les États-Unis ne veulent pas que le conflit s’étende au Liban. La dévastation qui s’ensuivrait pour le Liban et sa population serait inimaginable, et peut être évitée", a-t-il encore indiqué.

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a également réagi aux menaces du chef du Hezbollah en lui lançant: "Toute erreur vous fera payer un prix que vous ne pouvez même pas imaginer". En d’autres termes, tant que "les règles d’engagement" sont respectées à la frontière sud, le Liban sera – peut-être – épargné.