L’establishment au pouvoir n’est pas concerné par le Liban. Le long réquisitoire qu’il est possible de faire à son encontre en constitue une preuve flagrante. La formule libanaise consensuelle et consociative est sujette au quotidien à une entreprise de destruction systématique. La mission de torpillage des concepts fondamentaux de l’unicité du Liban-message a été prise en charge par des Libanaises et des Libanais, chacun à son niveau, pour des raisons contradictoires, mais qui se recoupent.

Dans nos gènes subsistent en effet d’innombrables distorsions de la mémoire, que les pères fondateurs du Liban ont pourtant su éviter depuis 1920, notamment à travers le Pacte national de 1943. Dans certains cercles fermés, les critiques fusent contre le patriarche maronite Élias Howayek, ses choix historiques et son insistance à opter pour le Grand Liban. Au-delà du respect du point de vue de tout un chacun, cette critique montre un manque de compréhension du sens même du Grand Liban et des caractéristiques mélioratives de son essence.

En coulisses, certains misent ainsi sur l’annihilation de la spécificité de la formule libanaise, fondée sur un équilibre délicat entre les droits des individus et des garanties allouées aux groupes spirituels qui caractérisent le pluralisme du tissu socio-culturel libanais. En coulisses, des approches fouillées appellent à la fin du Liban dans sa formule consensuelle de vivre-ensemble et son pacte fondé sur la maxime " ni Orient ni Occident ", c’est-à-dire sa neutralité.

Sans la moindre méfiance et avec audace, d’aucuns s’évertuent à prouver que la crise actuelle est une crise de système, occultant complètement les agissements scandaleux et les écarts de l’oligarchie au pouvoir. Il est à noter que des pôles influents de l’establishment font déjà le deuil du système politique libanais, rejoints par des universitaires, académiques, juristes, militaires à la retraite et hommes d’affaires, dans l’ivresse de la proclamation d’un nouveau Liban, celui des fédéralismes religieux sous des dehors géographiques.

Le fédéralisme est un système sophistiqué et évolué, à condition que ses circonstances objectives soient assurées, notamment l’accord sur la politique étrangère et de défense. Ce n’est pas le cas au Liban, où le conflit porte essentiellement sur ces deux aspects de la politique. Le moment est du reste ambigu pour lancer une proposition similaire, qui constitue rien moins qu’un projet de changement de l’identité du Liban. Les chantres des lendemains fédéralistes qui chantent sont à la recherche d’une place au sein des alliances objectives qui, durant quatre décennies, ont détruit les identités nationales, la civilité des États et les citoyennetés émergentes dans la diversité.

Le Liban est un besoin civilisationnel, celui de présenter un modèle de bonne gestion du pluralisme. L’accord de Taëf, dans sa traduction constitutionnelle, a introduit une nouveauté à travers l’article 95, philosophiquement lié à la transition vers l’État civil. Il a ainsi rendu possible l’échafaudage électoral d’un Parlement délivré de la contrainte de la représentation sectaire, avec la création d’un Sénat formé des composantes spirituelles du pays, sans oublier la mise en place claire et nette d’une décentralisation administrative élargie. Tout cela a été avorté par l’establishment au pouvoir et ses alliés régionaux, à mille lieues de l’identité libanaise et arabe. Par conséquent, toute impulsion visant à incriminer le système politique et sa prétendue stérilité vise en fait à assassiner le caractère unique du Liban, et l’unicité de sa formule et de son pacte. Un assassinat en cours par le biais des armes illégales, de tribunes et plateformes inféodées au clientélisme, à la mafia et à l’importation de projets à la demande. Les idéologies sont fatales lorsqu’elles évitent de comprendre l’Histoire, et cherchent à disséquer la géographie et la démographie sur base d’illusions, ignorant le système des valeurs partagées et des intérêts communs.

À partir de tout ce qui précède, il apparaît qu’il existe une tentative de tuer le lien structurel existant entre la question libanaise et le Saint-Siège à travers le meurtre de deux constantes libanaises : la formule et le pacte libanais. Or il est plus que jamais opportun de consacrer ce lien comme un pilier historique, géographique, religieux et civique, dont l’expression la plus claire a été le document “Une espérance nouvelle pour le Liban " (Jean-Paul II, 1997), qui est resté dans les tiroirs de ceux qui devaient en garantir l’application.

Il n’y a pas lieu, compte tenu de l’urgence actuelle, de revenir sur les articulations vitales de ce document fondateur, qui faisait écho à la Constitution de la Deuxième République. Mais il convient de comprendre la nature de l’attaque faite contre ce document d’une part, ou de se désengager des obligations qu’il implique, d’autre part. Il n’y a pas de place ici pour tout le folklore qui a accompagné l’accueil réservé à ce document. Il faudrait plutôt se concentrer sur la volte-face effectuée à son encontre, passage nécessaire en vue de restituer quelque peu de morale aux affaires publiques nationales, avec comme caractéristique le renouveau dans le discours théologique et géopolitique, l’architecture de l’identité nationale, le sens de la cohésion dans le vivre-ensemble, l’engagement du Liban envers les causes arabes justes et la réforme ecclésiastique. De par sa profondeur spirituelle, l’autorité de référence déontologique qu’il constitue, son engagement étatique, son savoir-faire diplomatique, le Vatican se rend compte avec tristesse que certaines femmes et certains hommes libanais sont directement concernés par la mise en œuvre d’une option satanique visant à détruire le Liban, pour le compte d’agendas qui n’ont absolument rien à voir avec son entité nationale, son modèle de civilisation et sa sécurité.

La profonde conscience du Vatican de la nature du danger existentiel imminent auquel le Liban est confronté, comme l’a exprimé le pape François en septembre 2020, n’est pas facile à exploiter politiquement par certains postes. Il serait sans doute urgent d’appeler ces postes en question à un repentir profond et réel, à travers un retour aux racines solides dont le Liban-message a émergé. Cette formule semble avoir trouvé son allié le plus sincère et le plus fidèle à sa vérité représentée dans la préoccupation du Saint-Siège à faciliter une feuille de route pour le sauver des griffes de l’alliance des minorités, des appels aux protections, des ambitions de fragmentation et de dispersion, sans parler des fantasmes et illusions de puissance et de l’étalage de musculature en s’aidant de la force de l’illégitimité, avec la couverture prodiguée par ceux qui occupent non sans usurpation les institutions constitutionnelles légitimes.

Il est devenu parfaitement clair que certaines impulsions institutionnelles revêtues d’engagements moraux théoriques pour essayer de se mouvoir rapidement entre les mines destructrices, et de revirements paradoxaux entre les prises de position et la pratique, frappent profondément la réalité, l’identité et la personnalité, ainsi que le caractère apostolique du Liban. La confrontation de ces impulsions est devenue inéluctable pour purifier l’avenir du pays du Cèdre, en tant que modèle de civilisation doté d’un patrimoine humain.

Nous voulons une nouvelle espérance pour la question libanaise, et le Vatican est l’allié des apôtres de l’espérance au coeur pur au sein de toutes les composantes communautaires, en faveur d’un vivre-ensemble dans l’esprit du pacte. C’est alors que le déplacement systématique de la population libanaise, citoyennes et citoyens, prendra fin.

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