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Dans une série de quatre articles, Ici Beyrouth revient sur trois éléments clés du contentieux frontalier libano-israélien, ainsi que sur un quatrième, tombé dans l’oubli. Le premier porte sur le tunnel de Ras Naqoura, propriété de l’État libanais, inscrit au registre foncier sous le numéro 28/Naqoura, mais qu’Israël a transformé dès son occupation en zone touristique. Le deuxième concerne le nord de Ghajar, un village libanais occupé par Israël et dont les habitants sont syriens. Le troisième se rapporte à un dossier tombé dans l’oubli. Il s’agit des sept villages libanais que les puissances mandataires avaient rattachés à la Palestine en 1923.

L’affaire des sept villages libanais annexés, en 1923, par les autorités mandataires britanniques et françaises à la Palestine, refait souvent surface dans les milieux populaires, lorsqu’il s’agit de la question de la délimitation terrestre entre le Liban et Israël. Le Liban peut-il réclamer la restitution de ces localités?

Yuval, Margaliot, Ramot Naftali, Yiftah, Malikah, Yiron, Afikim et Choumra. Appellations hébraïques pour des villages libanais (six chiites et un, Hounine, soit Margaliot, composé de chrétiens et de chiites), auxquels sont rattachées de vastes étendues agricoles. Géographiquement situés sur le territoire du Grand Liban, en vertu d’un accord signé en 1920, entre les autorités mandataires française et britannique qui se sont partagé la région en zones d’influence au lendemain de la Première Guerre mondiale, les sept villages furent annexés à la Palestine en 1923, avant d’être rasés par les Israéliens entre 1923 et 1948.

Lors des massacres qui y eurent lieu durant cette période, les habitants qui n’ont pas perdu la vie ont fui. "Ceux qui ont survécu ont pu franchir la frontière libanaise et ont trouvé refuge dans diverses régions du pays", explique l’ancien chef du secteur Sud Litani de l’armée libanaise, le général Khalil Gemayel.

À l’origine, ces villages, qui s’étendent sur une superficie de 74 km2, portaient les noms de Ibel Kamh (pour Yuval), Hounine (pour Margaliot), Nabi Youshah (pour Ramot Naftali), Qadas (pour Yiftah), Malkiyé (pour Malikah), Salha (pour Yiron et Afikim) et Tayr Bikha (pour Choumra).

"Leurs habitants détenaient des cartes d’identité libanaises, délivrées en 1921 au nom du gouvernement du Grand Liban (cf. images) et payaient leurs impôts aux percepteurs de Beyrouth", souligne l’ancien chef du secteur Sud Litani au sein de l’armée libanaise, le général Khalil Gemayel.

Les raisons derrière l’annexion

Dans la vallée de Houla, qui se situe aujourd’hui dans le nord d’Israël, un accord de "troc" entre les deux autorités mandataires britannique et française provoqua un retournement de situation et un changement aussi bien géographique que démographique. C’est le Liban qui en paiera le prix.

Dans cette vallée, au lendemain de la déclaration Balfour du 2 novembre 1917, en vertu de laquelle les Britanniques avaient prévu d’établir un foyer national juif en Palestine, des organisations juives avancèrent plusieurs propositions pour gagner en terres fertiles, développer leur économie et permettre l’expansion de l’immigration juive.

L’une de ces propositions consistait en un drainage de zones marécageuses, dont celle de la vallée de Houla, abandonnée par les Arabes qui voulaient éviter de contracter la malaria qui y proliférait. Les travaux d’assèchement des marais furent alors confiés à une entreprise française, chargée de transformer la zone en terrain agricole.

Or, lorsqu’il fut question de délimiter les frontières entre le Liban (sous mandat français) et la Palestine (sous mandat britannique), en vertu des accords de Paulet-Newcombe*, en 1923, les juifs exigèrent que les sept villages chiites soient annexés à la Palestine, en échange du renouvellement du contrat de concession de l’entreprise française pour le drainage des marais. L’affaire fut conclue.

Les sept villages furent "arrachés" au Liban et annexés à la zone sous occupation britannique afin que les Français puissent continuer d’œuvrer dans la vallée de Houla. Certains experts évoquent un plus grand nombre de localités (il est souvent question de 24 villages). Or, "tous ces derniers n’étaient pas habités par des Libanais, officiellement détenteurs de la nationalité libanaise, raison pour laquelle on ne s’intéresse qu’aux sept évoqués", insiste le général Gemayel.

Qu’est-il advenu des sept villages?

En mai 1948, le village de Hounine fut la cible d’un raid des forces israéliennes qui fit fuir bon nombre de ses habitants. Quelques personnes y restèrent, mais les femmes furent violées et assassinées par des soldats israéliens. En septembre 1948, le village fut attaqué par l’armée israélienne au moyen d’explosifs. Toutes ses habitations furent détruites.

Le sort du village de Tayr Bikha ne diffère pas de celui de Hounine. Assailli, pillé, puis occupé par des immigrants juifs ramenés de Hongrie et de Roumanie (dans une volonté de judaïsation de la Galilée), Tayr Bikha fut abandonné par ses habitants. On interdit à ces derniers de collecter leurs récoltes. Ce sont les juifs qui furent autorisés à le faire.

La prise d’assaut du village de Salha est un souvenir particulièrement cuisant pour les quelques habitants qui s’en sortirent vivants. Parmi les quelque 105 personnes recensées qui y périrent, 94 furent tuées alors qu’elles se trouvaient à l’intérieur des habitations que les forces israéliennes firent exploser. Massacres et atrocités y furent commis.

Quand bien même le village de Nabi Youshah fut enseveli sous les décombres, certains vestiges subsistent. Ses habitants tentèrent, tant bien que mal, de résister aux forces israéliennes, mais le village finit par être dépeuplé.

À Qadas, dont tous les habitants furent tués par les forces israéliennes, seules quelques ruines rappellent les maisons qui y furent détruites. Des arbres, notamment des eucalyptus, des figuiers et des mûriers, y ont poussé. Les zones plates du village ont servi à planter des pommiers. La source d’eau qui, autrefois, permettait d’irriguer la localité, sert aujourd’hui d’abreuvoir pour le bétail.

Entre le 15 mai et le 6 juin de l’année 1948, l’armée libanaise, tout juste formée, mena trois batailles acharnées contre les forces israéliennes dans le village de Malkiyé. Ayant réussi à le libérer de l’occupation israélienne, l’armée libanaise le remit entre les mains de l’Armée de libération arabe (créée en 1948, à l’initiative de la Syrie, pour défendre la Palestine). En 1949, le kibboutz de Malikah fut installé dans ce village.

À Ibel Kamh, aucun combat direct n’a été signalé, les habitants ayant pris la fuite après avoir été avertis de l’arrivée massive de renforts juifs en Galilée. Le village fut occupé en mai 1948.

Quand bien même ces sept localités sont aujourd’hui "perdues" pour le Liban, elles continuent d’être revendiquées par certaines parties libanaises. En 2000, le Hezbollah, mais aussi le gouvernement libanais, réclamèrent la restitution au Liban des fermes de Chebaa, du village de Ghajar et des sept villages. Or, la requête concernant ces localités ne peut être réalisée, "les frontières autour desquelles les négociations tournent actuellement étant celles de 1949", indique le général Gemayel. On rappelle, dans ce contexte, qu’au lendemain de la création de l’État d’Israël, en 1948, l’armistice est signé, le 23 mars 1949, entre le Liban et l’État hébreu, sous l’égide de l’Organisation des Nations unies. La ligne d’armistice est alors tracée, faisant perdre au Liban 16 km2, à partir de la ligne de Paulet-Newcombe.

*Le 7 mars 1923, soit au lendemain de la Première Guerre mondiale, les gouvernements français et britannique concluent un accord délimitant les frontières entre le Liban et la Syrie, d’une part, et la Palestine, d’autre part, pour se partager ces pays, autrefois sous domination ottomane. L’accord (qui porte les noms des deux lieutenants-colonels français N. Paulet et anglais Stuart Newcombe) compte 71 points: 38 points identifiés entre le Liban et la Palestine et 33 entre la Syrie et la Palestine. Il s’agit de la première délimitation officielle entre les deux pays.

 

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