Écoutez l’article

"Chassez le naturel il revient au galop." Cet adage illustre bien le cas de la procureure générale près la Cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, qui ne semble pas disposée à changer son comportement, encore moins à saisir la main tendue par le procureur général près de la Cour de cassation, le juge Jamal Hajjar.

Aussi, la magistrate Aoun s’est-elle de nouveau rebellée contre les décisions du juge Hajjar, comme elle l’avait déjà fait avec son prédécesseur, le juge Ghassan Oueïdate, pendant quatre ans, bénéficiant du soutien inconditionnel de Michel Aoun, alors président de la République, et de son équipe politique, qui l’avaient désignée à ce poste sensible. Ghada Aoun est ainsi devenue l’arme redoutable à laquelle l’ancien chef de l’État recourait pour s’acharner contre ses adversaires politiques, ainsi que contre les banques que "la juge du mandat", comme on la surnommait, harcelait, allant même jusqu’à les dénoncer à l’étranger, dans l’espoir de les voir inscrites sur la liste des sanctions internationales.

Pendant quatre mois, le magistrat Hajjar a tenté de trouver un terrain d’entente avec Ghada Aoun. En vain. Il n’a pas réussi, au cours des nombreuses réunions qu’il a tenues avec elle, à la convaincre de se conformer aux critères d’objectivité concernant les enquêtes portant sur les dossiers qu’elle laissait en suspens. Le désaccord a fini par s’envenimer.

Selon des sources rapportées par notre confrère Houna Loubnan, quatre plaintes ont été déposées au cours des semaines dernières devant le parquet général près la Cour de cassation par des parties lésées par les dossiers laissés en suspens par Mme Aoun, au Mont-Liban. Parmi ces plaintes, celles portées par des banques qui ont fait l’objet de poursuites abusives de la part de la juge. Pour s’assurer du bien-fondé des poursuites, Jamal Hajjar a adressé une note à Mme Aoun lui réclamant l’examen des dossiers.

Mais, selon une source proche du dossier, celle-ci a pris de court le juge Hajjar et les autorités judiciaires, en refusant catégoriquement de remettre les dossiers, estimant que le procureur général près la Cour de cassation empiétait sur ses prérogatives. Or la loi est claire. Elle autorise le procureur général près la Cour de cassation, en tant qu’autorité supérieure du pouvoir judiciaire, à examiner tous les dossiers et à donner des directives adéquates concernant les investigations. Ces directives sont contraignantes. "Le procureur général près la Cour de cassation est habilité à retirer n’importe quel dossier des mains d’un juge d’instruction, et non seulement d’un procureur général près la Cour d’appel", explique-t-on dans les mêmes milieux.

Selon cette même source, dans sa réponse, Ghada Aoun s’en est prise au juge Hajjar, au président du Conseil supérieur de la magistrature, le juge Souheil Abboud, ainsi qu’à plusieurs procureurs généraux dans les régions. Elle a même posé comme condition pour être notifiée des recours déposés contre elle, que le juge Souhail Abboud, en tant que président du Conseil supérieur de discipline, suspende l’enquête dont elle fait l’objet, ainsi que son dossier. La démarche de Ghada Aoun a été considérée comme une "insubordination" envers son supérieur hiérarchique, ce qui a poussé le juge Hajjar à prendre des mesures urgentes contre elle, "la déférant devant l’Inspection judiciaire pour qu’elle soit interrogée et pour que des mesures disciplinaires soient prises à son encontre".

De plus, le procureur général près la Cour de cassation a, selon la source susmentionnée, adressé deux notes au ministre sortant de la Justice, Henry Khoury, et au juge Abboud, pour les informer des agissements de Ghada Aoun. "Il s’est réservé le droit de prendre des mesures spécifiques dans le cadre de ses prérogatives à l’encontre de cette juge qui a bafoué la loi imposant le respect de la hiérarchie de l’institution judiciaire et des décisions prises par les supérieurs."