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Estéphanos Douaihy a opéré une réforme liturgique et culturelle dans un retour aux sources antiochiennes, tout en conservant l’attachement à Rome, au sein d’un syncrétisme syriaque-latin confirmant son identité chalcédonienne et catholique. Il voyait, dans la culture maronite, une forme de synthèse entre l’expression poétique syriaque et la philosophie positiviste occidentale.

Dix siècles après le premier patriarche saint Jean Maron, le patriarche de la réforme, Estéphanos Douaihy, a été proclamé vénérable par l’Église catholique, le 3 juillet 2008. Par cet acte, Benoit XVI autorisait l’initiation de la cause de sa canonisation. Proclamé bienheureux par le pape François, il sera élevé à la gloire des autels le 2 août, jour de sa fête, à Bkerké, et une messe s’ensuivra le lendemain dans son village natal de Ehden. Les deux plus grands chefs de l’Église maronite seront ainsi reconnus comme saints par l’Église universelle.

Estéphanos Douaihy est le père de l’histoire et le conservateur de l’héritage maronite, autant littéraire et artistique, que liturgique et théologique.

L’histoire des temps

Sa seconde œuvre colossale après Le Candélabre des saints mystères est intitulée L’Histoire des temps. Elle couvre une période allant de l’an 622 à 1704 et englobe la Syrie-Mésopotamie, l’Égypte, l’Asie Mineure et l’Europe de l’Est sous occupation ottomane. Elle comprend deux textes. Le premier, dit Histoire des chrétiens, couvre la période de 1095 à 1699, alors que le second, appelé Histoire des musulmans, s’étend de 622 à 1686.

Se référant manifestement à Guillaume de Tyr et à Jacques de Vitry, Estéphanos Douaihy a décrit l’accueil réservé aux Francs par les maronites et l’agilité de ces derniers comme excellents archers, ainsi que la prospérité du Mont-Liban à cette époque. Il a étalé, par la suite, le cataclysme et la désolation qui ont sévi dans leurs montagnes à la chute des États latins du Levant. Il a alors fourni de nombreuses informations sur la cruauté des Mamelouks et sur les fléaux naturels qui les ont accompagnés, alliant tremblements de terre, invasions d’insectes, épidémies, tempêtes de grêles et sécheresses causant de terribles famines et décimant la population du Mont-Liban.

Dans ses descriptions du redéploiement des maronites après le génocide perpétré par les Mamelouks, le patriarche a transmis l’histoire de certaines familles qui se sont ultérieurement inventé des ascendances arabes.

Douaihy nous a fourni les détails sur leurs origines foncièrement locales et sur les circonstances qui les avaient poussés à adopter des noms arabes pour se faire épargner.

Ses connaissances historiques, il les reprendra souvent dans ses correspondances avec la France. Le 25 octobre 1671, dans sa lettre à Bonnecorse, consul de France à Sidon, il est revenu sur les relations franco-maronites qui remontent à Godefroy de Bouillon et à Saint Louis, écrivait-il. Et le 20 mars 1700, dans sa lettre à Louis XIV, il faisait part des souffrances des chrétiens et des persécutions qu’ils enduraient.

Douaihy est reconnu comme le père de l’histoire maronite. Sans lui, écrivait monseigneur Pierre Chébli, "nous aurions été la plus malheureuse communauté, ignorant notre passé, notre origine, notre croyance ancienne et les vicissitudes de notre destinée".

Fresque du couronnement de la Sainte Vierge à Qannoubine.
Photo Bassam Abou Zeid

Littérature

En plus de ses grandes œuvres encyclopédiques (Le Candélabre des saints mystères et L’Histoire des temps), Douaihy a rédigé Le Livre des anaphores syriaques dans lequel il rassemble les 31 anaphores acceptées par l’Église maronite. Il les a classées en catégories et les a accompagnées des biographies de leurs auteurs respectifs.

Dans Le Livre des Rich-qolé (tonus princeps ou strophes types syriaques), il a recueilli les strophes types et leurs modèles poétiques, en couvrant toute la tradition maronite. Il les a classées selon le mètre de saint Jacques (yaacouvoyo), de saint Ephrem (Ephremoyo) et de saint Balaï. Il a lui-même travaillé sur la versification de la musique syriaque maronite et composé des poèmes versifiés, mis en musique et chantés selon la coutume.

Il a également rédigé Le Livre des prières qu’il a appelé Ktovo da slaoto et que certains ont identifié avec la Chhimto. Il est aussi l’auteur de plusieurs œuvres dont: Les Sermons, La Cérémonie du port du froc, La Prière de Sainte-Marina, La Biographie des saints, Le Livre des requiems et Les Sept Sacrements de l’Église.

Estéphanos Douaihy a établi, de même, des registres administratifs et économiques, des traductions des bulles pontificales adressées aux maronites et un dictionnaire arabe-syriaque malheureusement disparu. Il a composé un registre de 770 pages qui porte son nom. Il a établi la liste des patriarches maronites depuis saint Jean Maron, de même que l’histoire des mqaddam (les chefs) de la Gebbé de Bcharré de 1382 à 1690.

Il a copié d’importants ouvrages dont Le Livre des siomé (impositions des mains) c’est-à-dire les ordinations. Il l’a accompagné des trois versions composées par le patriarche Jérémie de Amchit (1199-1230), le prêtre Marcos Limtaos (1495) et le moine Habacuc de Adnit (1581).

Ce patriarche a même été le premier à s’intéresser à l’épigraphie, relevant les inscriptions gravées sur les rochers et les traduisant. À Ghosta, il a pu lire l’épitaphe syriaque de son prédécesseur Georges de Bsébéel (1670) gravée dans le roc et, en 1684, il a traduit l’épigraphe de Marc-Aurèle parmi les stèles de Nahr el-Kalb.

La renaissance

Son travail a opéré une réforme liturgique et culturelle dans un retour aux sources antiochiennes, cherchant à revigorer la culture et la langue syriaque, tout en conservant l’attachement à Rome, au sein d’un syncrétisme syriaque-latin confirmant son identité chalcédonienne et catholique. Il a œuvré à corriger les excès de latinisation imposés par son prédécesseur sur le siège épiscopal maronite de Chypre, Gabriel Barcleius (1447-1516). Estéphanos Douaihy a préféré remonter aux sources syriaques avec notamment les deux grands maîtres qui ont marqué la tradition maronite: saint Ephrem et saint Jacques de Saroug. Il a ainsi réalisé une renaissance locale, dans une complémentarité avec la restauration de l’authenticité.

Pour lui, la discipline occidentale héritée des anciens Grecs, équilibre la tendance orientale à la spontanéité et au mysticisme. Il voyait, dans la culture maronite, une forme de synthèse entre l’expression poétique syriaque et la philosophie positiviste occidentale. Comme le collège de Rome dont il était issu, Estéphanos Douaihy aspirait à une renaissance maronite qui dépasserait le Liban pour étendre leur présence à Chypre, en Syrie, en Galilée et à Malte.

L’identité

Dans sa quête pour élucider l’identité de l’Église maronite, il a constamment souligné son caractère apostolique antiochien, sa culture et sa langue syriaque, sa foi chalcédonienne, son appartenance catholique et sa tradition monastique.

Son chef-d’œuvre sera la fresque du couronnement de la Sainte Vierge dans l’église rupestre de Qannoubine. Il y a composé son manifeste de la patrie sacrée en représentant Marie, reine du Liban, se faisant couronner par le Père et le Fils sur la forêt des cèdres millénaires. À ses pieds, défilent les patriarches maronites en habits d’apparat et chargés de présents. Le Liban a été consacré à la mère de Dieu, dans une totale osmose entre la montagne et le christianisme. Là était la vision d’Estéphanos Douaihy et l’illustration de celle du patriarche fondateur, saint Jean Maron.

Il est mort avant l’accomplissement de la fresque, le 3 mai 1704, à Qannoubine, comme il l’avait désiré pour être inhumé dans la grotte de Sainte-Marina. Son successeur Gabriel de Blaouza a alors écrit: "Le lys s’est desséché, la rose s’est flétrie; les enseignements ont pris fin et la sainteté a atteint sa perfection."