Quand André Gide se demanda quel était le plus grand poète français, sa réaction fut lapidaire et pour le moins inattendue: "Hugo, hélas…", s’écria-t-il. En effet, l’œuvre de ce dernier, sa portée internationale et sa figure paternelle imposaient ce choix. En somme, Gide s’était ainsi prononcé parce qu’il y était acculé.

Mais revenons à plus prosaïque, c’est-à-dire à la question des élections législatives. A un ami qui me demandait pour qui voter, je répondis:

– Dans vote échelle de priorité, qu’est-ce qui vient en premier lieu? Quel est votre souci majeur?

– Le désarmement du Hezbollah est un préalable à la lutte contre la corruption etc.

– Alors votez en conséquence.

– Mais il y a plusieurs candidats.

– Qui est le plus sérieux? Quel parti se dresse, mieux que tout autre, comme un rempart contre le parti pro-iranien? Lequel fait barrage à la mainmise "ayatollesque" sur le Liban?

– Vous êtes en train de désigner les Forces Libanaises.

– Eh, oui.

Je m’étais empressé d’ajouter "Hélas", et même trois fois "Hélas"! Et j’avais toutes les raisons de recourir à l’interjection!

Par la force des choses

Seulement voilà:  après la double explosion du 4 août et le rezzou de Tayouné, il n’y a plus de choix possible. Qui irait faire la fine bouche? Dans les quartiers-Est, nous sommes assiégés, ne serait-ce que par la rhétorique révoltante du cheikh Naïm Kassem!

Nous vivons la même situation que celle qui a prévalu dans nos régions, à la veille de la guerre des "deux ans".  Suite à l’échauffourée de Aïn Remmaneh, un certain 13 avril 1975, le parti Kataëb fut boycotté par Kamal Joumblatt et son Mouvement national. Cette mesure d’ostracisme se révéla être une manne céleste pour les Kataëb: ils surent en tirer profit, et leur stigmatisation allait déclencher un immense élan de solidarité en leur faveur.

Nous sommes donc condamnés à revivre une polarisation entre belligérants. Et à ce stade seul l’équilibre des forces peut assurer la dissuasion, mettre un frein à l’hégémonie du "parti de l’étranger" et peut-être désamorcer les tensions qui entraînent les conflits civils.

Certes, appuyer le parti de Samir Geagea peut se révéler périlleux, et chat échaudé craint l’eau froide. Pour certains, ce serait introduire le loup dans la bergerie, alors que pour d’autres, plus indulgents, les FL de ce jour ont largement payé leurs erreurs; ils se sont réformés et démocratisés.

On peut toujours invoquer le passé pour condamner un groupe. Mais nous vivons au présent et devant l’imminence du danger, on doit se prémunir. Les protagonistes de l’assaut du 7 mai 2008 sur Beyrouth peuvent récidiver, et notre capitale en ferait les frais.

Péril en la demeure !

Quand sonne le tocsin, il y a urgence et c’est tout dire.

L’union sacrée? Oui, et Aragon disait sous l’occupation allemande:

"Fou qui fait le délicat

"Fou qui songe à ses querelles

"Au cœur du commun combat".

Cependant dédiaboliser Samir Geagea et sa camarilla ne veut pas dire leur donner carte blanche. Plus question d’accorder aveuglément un blanc-seing à un leader. Les foules en délire, qui bivouaquaient à Baabda en 1989-90, ont assuré un soutien aveugle à un général qui voulait la restauration de l’honneur national et de l’État de droit. Elles avaient été induites en erreur. Mais quel enthousiasme l’institution militaire et son franc-parler avaient soulevé, quand elle nous promettait la dissolution des milices et la libération du territoire national! Je songe au regretté père Jean Dalmais et à son engagement, et à tant d’autres disparus.

Tant de sacrifices, pour qui et pourquoi ?

Nous avions été roulés dans la farine. Alors s’il vous plaît, plus de carte blanche! Un lider maximo, quel qu’il soit, est censé rendre compte.  Il n’y a pas de sauveur, ni de rédempteur, ni d’homme providentiel. Il n’y a pas d’agneau mystique devant lequel se prosterner. Il y a juste l’homme d’un moment.

Alors aux FL et pour les législatives, je dirais: Oui, mais…

Youssef Mouawad, Collectif LibreLiban