En ces temps où le pays nous échappe chaque jour un peu plus, il est plus que jamais urgent  de retourner à nos fondamentaux, de retrouver ce qui est nécessaire pour nous, de se reconnecter à nos monuments, vestiges, richesses, fiertés nationales ; en deux mots, récupérer notre territoire.

Dans notre singulier pays qui fait constamment le grand écart entre deux mondes diamétralement opposés, entre deux mentalités aux antipodes l’une de l’autre, les pieds profondément enracinés dans une terre séculaire, mais les yeux clignant vers la mer, les femmes ont toujours occupé une place prépondérante. Au sein d’une société patriarcale, en butte avec des lois religieuses qui n’évoluent pas souvent, la Libanaise a tout de même su faire entendre sa voix.

Dans le domaine de la culture, des initiatives associatives, des institutions étatiques, de l’éducation et de la gastronomie, la gent féminine libanaise n’a jamais lésiné sur les efforts. Mais cela ne s’arrête pas là, heureusement. Si depuis la guerre, la question des droits de la femme piétine au Liban, mis à part quelques percées miraculeuses, c’est très tôt que des voix se sont élevées pour réclamer, revendiquer et exiger.

Revenons au tout début de l’année 1944 lorsque dès les premiers jours, une motion est déposée à la Chambre pour réclamer le droit de vote aux femmes. L’initiative est osée et, bien sûr, elle se heurtera au refus pur et simple des parlementaires de discuter de cette demande présentée par dix députés. Raisons invoquées ? Les mœurs et traditions du pays sont incompatibles avec les droits politiques de la femme, surtout par rapport au port du voile qui compliquerait les opérations de vote. La Chambre argue aussi du fait que seulement 20% des Libanaises ont accès à l’industrie. Et de ce fait, elle oppose une fin de non-recevoir.

Il faudra attendre un an et demi et des résolutions issues du Congrès de la femme arabe, tenu au Caire en juin 1945, pour remettre la question sur le tapis. Mais, là aussi, le gouvernement de l’époque refuse d’en débattre "parce que les femmes ne possèderaient pas les qualifications requises" (sic !).

En novembre 1947, même refus de la Chambre, cette fois malgré les insistances de Sami el-Solh et Kamal Joumblatt. Mais le Liban va vite à l’époque, brûle les étapes et s’émancipe dans beaucoup de domaines. Alors quand c’est à l’Unesco qu’est adoptée en décembre 1948 la Déclaration universelle des droits de l’homme, la femme libanaise monte naturellement au créneau et réclame encore et toujours le droit de vote. Le journal Le Jour, sous la plume de Mansour Challita, signera un pamphlet tournant en dérision les détracteurs et démontant leurs arguments, estimant que le Liban viole les dispositions de la Charte des droits de l’homme qui interdisent toute discrimination entre les citoyens sur base de religion, de race et de sexe.

Un an plus tard, le 6 décembre 1949, un bon nombre de femmes libanaises est autorisé à assister à la séance d’une Chambre divisée sur la question. Si les députés Georges Zouein, Camille Chamoun et Kamal Joumblatt souhaitent "voir la femme réussir là où les hommes politiques ont échoué", Adib Ferzli et Émile Lahoud sont contre, préférant que "la femme reste là où elle est, dans son foyer".

Mais les femmes ne s’avouent pas vaincues, bien au contraire. Elles enchaînent les manifestations et participent à des Congrès nationaux et régionaux, où l’obtention des droits politiques dans le monde arabe figure en bonne place et, en février 1951, les organisations féminines s’organisent, s’allient et avancent en rangs serrés. Le Conseil féminin libanais est né. Il prévoit une Semaine de la femme, lance des campagnes d’éveil dans l’ensemble des régions libanaises, alerte la presse, organise un énorme meeting au cinéma Roxy et les femmes se rendent en délégation chez le président de la République Béchara el-Khoury lui réclamant l’amendement de l’article 21 de la Constitution qui réserve aux seuls hommes le droit de voter et de se faire élire. Le gouvernement refuse, mais lâche du lest en autorisant les femmes à participer aux élections municipales.

Mais c’était mal connaître l’entêtement des femmes et finalement, après une campagne de presse bien ciblée et l’engagement de figures féminines de plus en plus puissantes comme Laure Tabet, Émilie Fares Ibrahim et Ibtihaj Jaddoura, le Conseil des ministres approuvera le 29 juin 1951 un projet de loi octroyant à la femme l’égalité politique complète avec l’homme.

Mais entre tracasseries administratives, réticences religieuses, discussions houleuses, il faudra attendre encore quelque temps avant de déclarer victoire le 18 février 1953, jour béni lorsque la femme (lettrée ou non), obtient enfin le droit de vote. Le décret-loi stipule que "l’admission de la femme dans la vie publique est non seulement une reconnaissance de ses droits naturels, mais aussi un témoignage en faveur de la femme libanaise qui est passée à l’avant-garde dans différents domaines".

Le 26 juillet 1953 est une date à marquer d’une pierre blanche puisque pour la première fois dans l’histoire politique du pays, les femmes vont avoir une voix qui compte et enfin glisser leur choix dans l’urne lors de ces élections. Le Liban sera ainsi un pionnier dans le monde arabe.

En mai 1960, une autre étape va être franchie avec la candidature de trois femmes pour les législatives. Il s’agit de Mounira Solh et Ferdaouss Maamoun à Beyrouth et Renée Hajj à Jezzine. Mais la première femme à entrer officiellement dans l’hémicycle sera Myrna Boustani, en avril 1963. À seulement 26 ans, elle est élue d’office au siège laissé vacant par son père Émile Boustany. Elle sera accueillie par des députés qui l’applaudiront chaleureusement, oubliant leurs préjugés et ouvrant ainsi une vraie nouvelle ère. Mais les femmes resteront rares sur les listes électorales, n’arrivant pas vraiment à briser les tabous ; la guerre et l’après-guerre ont fait des élections de vraies batailles souvent sans merci, ni pitié, ni éthique, et où le courage, la bravoure et les compétences, qualités qu’auraient pu apporter les femmes, n’avaient pas leur place.