Le Père Tony Rizk: \
Dans une vidéo devenue virale hier, alors que le stress des élections législatives battait son plein, partageant les Libanaises et Libanais entre espoir et craintes, nous voyons un prêtre en soutane, s’élancer avec courage contre ses agresseurs! Contre les membres du Hezbollah qui l’assaillaient de pierres, il va riposter de la même manière, poursuivre son chemin et inciter les électeurs à ne point lâcher prise, à défendre leur ville et leur opinion en clamant haut et fort: "Sans dignité à quoi bon vivre?"



À Zahlé, les prêtres les plus dévoués à leurs paroisses, n’en ont pas moins la peau dure. Habitués au combat pour protéger leur ville des assaillants, ce sont des résistants nés. Le Père Tony Rizk, connu pour sa modestie et sa bienveillance ne déroge pas à la règle. Bien au contraire, son combat acharné pour la dignité l’a rendu célèbre à son insu. Entre les vidéos que les Libanais se partageaient fébrilement hier sur les réseaux sociaux, pour se renseigner sur leur sort et sur celui de leur pays, que les résultats des législatives peuvent améliorer ou empirer, figure en bonne place celle d’un prêtre courageux qui nous livre une leçon de dignité! Contre les membres du Hezbollah qui l’assaillaient de pierres, il va riposter de la même manière, poursuivre son chemin et inciter les électeurs à ne point lâcher prise, à défendre leur ville et leur opinion en clamant haut et fort: "Sans dignité à quoi bon vivre?" Le Père Tony Rizk avec sa gentillesse habituelle a répondu aux questions d’Ici Beyrouth. Entretien.

Comment l’agression par les membres du Hezbollah a-t-elle eu lieu hier?

Nous étions en route pour accomplir notre devoir citoyen: voter. Je vois des membres du Hezbollah habillés en jaune, exhibant leurs signes distinctifs, jeter des pierres et des bouteilles en verre sur nous et sur les passants dans la rue parallèle. Il y avait 4 ou 5 soldats de l’armée libanaise qui essayaient d’intervenir pour les dissuader, mais les assaillants étaient beaucoup plus nombreux et rien ne les arrêtait. Ils continuaient d’avancer vers nous jusqu’à arriver près de l’église Saint Georges des orthodoxes, dans le quartier Hoch el-Omara ou «Bourg des princes», un lieu considéré communément comme une ligne rouge à ne pas dépasser. Au même moment, une bouteille en verre m’effleure la jambe et manque de me blesser. C’en était trop! Notre riposte devenait indispensable. Il fallait voir l’incroyable quantité de pierres et de bouteilles en verre qui pleuvaient sur nous. Comme s’ils avaient passé la nuit à rassembler les pierres et le verre, une agression bel et bien préméditée! Beaucoup de voitures ont été endommagées, beaucoup de vitres cassées. Un acte d’une barbarie inadmissible.

Quels étaient les slogans qu’ils récitaient à l’appui de leur geste?

«Chïa Chïa» ! Et ils n’ont pas tari d’insultes sur les symboles chrétiens. Mais je tiens à dire que nous avons beaucoup d’amis chiites et refusons de les mettre dans le même sac. Ils sont aussi offusqués que nous par les réactions du Hezbollah, les chiites ne pouvant être assimilés tous au parti. Après la circulation de la vidéo dans laquelle j’agis au nom de la dignité et en état de légitime défense, certains représentants dans les bureaux de vote m’ont appelé pour me dire que leurs partisans nous collaient le nom de Daech. De même, ils ont essayé d’interdire aux chrétiens de la région de se rendre dans les bureaux aux alentours de Zahlé, dans Zahlé el-Moallaka et même en plein cœur de la ville.

Alors que dans les différentes régions où eux-mêmes se sont rendus pour voter, personne n’a essayé de les intimider ou de les attaquer. Personne ne leur a adressé le moindre mot désobligeant ni irrespectueux.

Était-ce leurs réactions menaçant la sécurité des Libanais ou les insultes dirigées contre les symboles chrétiens qui vous ont le plus provoqué ou agressé?

Les deux se valent et sont complémentaires, car je ne peux séparer mon appartenance religieuse de mon appartenance libanaise. Le Liban est un enjeu existentiel pour nous. Aucun compromis, aucune concession n’est permise à ce niveau. Il ne faut pas oublier que j’étais aussi en position de légitime défense, puisque j’ai été moi-même attaqué et que j’ai échappé par miracle aux bris de verre. Mais je refuse de me limiter à cette dimension. Le plus important pour moi est la dignité humaine. Il n’est pas permis de normaliser l’humiliation.


Les prêtres et les religieux ne cessent de parler «de tendre la joue gauche quand on a été déjà giflé sur la joue droite».

Dans l’Évangile, Jésus s’est rebellé. Quand Jésus assistait à son procès, quelqu’un l’a frappé. Alors, le Christ ne lui a pas tendu sa joue gauche. «Si j’ai mal parlé, montre-moi le mal que j’ai dit. Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu?», s’est-il révolté (Évangile de Saint-Jean, Chap. 18, verset 23). Notre réaction se situe dans cette perspective. Défendre sa maison, sa ville, son pays, nous ont été inculqués très tôt, dès l’enfance, durant la guerre libanaise, d’autant plus que ma maison était située dans une zone de combat.

Tout le monde sait que je suis pacifique, privilégiant l’ouverture à l’autre. Je suis également un résistant qui ne craint pas l’agresseur quand le devoir l’appelle. Si nous sommes respectueux et tolérants en général, en revanche, il n’est permis à personne de nous manquer de respect et de nous déposséder de nos droits.

La religion chrétienne est une religion d’amour mais «charité bien ordonnée commence par soi-même», n’est-ce pas?

Jésus s’est incarné pour défendre la dignité humaine, la dignité de tout être humain. De plus, l’Église n’a jamais encouragé les positions molles et le défaitisme.

Si vos détracteurs vous accusent de radicalisme, quelle serait votre réponse ?

J’ai autant d’amis musulmans que chrétiens, que ce soit au niveau des dignitaires religieux ou des laïcs, dans les différentes confessions mahométanes. D’ailleurs, vous êtes bien placée pour savoir que je me rends régulièrement dans les villages de la Békaa à majorité musulmane pour servir les offices, et que les musulmans ont appuyé mon attitude sur les réseaux sociaux.

Nous savons que durant la guerre, les religieux de Kaslik, dont les pères Naaman, Kassis, Karam, Mouannès, Khoury, Azzi et d’autres ont fondé avec Bachir Gemayel le Front libanais pour défendre le Liban. Aujourd’hui votre réaction est-elle située dans cette continuité ou l’église melkite catholique a critiqué votre attitude?

Pas du tout. L’Église n’accepte pas l’humiliation  infligée à ses enfants, à son peuple. Le pouvoir ecclésiastique doit être paternel et empathique. L’agressivité, la cruauté ne doivent être ni justifiées ni admises. Nous respectons les valeurs des autres, les autres doivent respecter les nôtres, notre appartenance et nos symboles sacrés. Si c’était à refaire pour défendre notre présence, je le referai jusqu’au martyre.
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