Le tweet m’avait interpellé: "Si la libération du Liban-Sud a été accomplie, pourquoi faut-il garder les armes illégales? Et, si elle n’a pas été accomplie, que célèbre-t-on alors?". C’était à l’occasion de la fête dite de libération, qui marque le retrait israélien du Liban-Sud en 2000.

La formulation, toute simple, résume à elle seule le problème du Liban avec les armes illégales du Hezbollah, qui exploite "la libération du Liban-Sud" pour hypothéquer tout le pays. La réponse à ces interrogations est tout aussi simple: les armes ne servent pas à libérer mais à protéger. Protéger contre qui? Telle est la question qu’il faut justement se poser, notamment lorsque le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah affirme ce qui suit: "La résistance n’a pas le monopole des opérations militaires, ni celui des victoires et des réalisations. La seule résistance au monde à avoir remporté une victoire sans prendre le pouvoir par la suite est la résistance au Liban, en particulier le Hezbollah. Nous n’avons pas revendiqué le pouvoir parce que nous n’avons pas combattu pour l’obtenir, mais pour libérer le territoire et la population, et recouvrer la dignité nationale".

Si la question est toujours posée, c’est parce que les actions de Hassan Nasrallah contredisent ses paroles, dans le sens où son parti œuvre de manière précise et systématique afin d’accaparer le pouvoir, même s’il le fait de manière insidieuse. C’est bien lui qui décide de la guerre et de la paix. C’est aussi lui qui cherche à façonner l’État à la mesure de l’axe iranien auquel il appartient et qui isole le Liban de son entourage arabe, pour servir les intérêts de son axe. Depuis 2005, il neutralise ses opposants en les éliminant physiquement ou politiquement. Sans compter qu’il hypothèque la représentation de la communauté chiite par la force, l’idéologie, voire la fraude puisque les suffrages exprimés en sa faveur dans certaines urnes dépassent le nombre d’électeurs.

Paradoxalement, Nasrallah qui nie hypothéquer la souveraineté du Liban pour servir l’axe iranien, oublie au passage que la résistance n’est pas une révolution, et de ce fait ne devrait pas être récompensée ad vitam æternam pour la libération du sud du pays. D’autant plus que sa présence en tant que milice armée n’est plus nécessaire, surtout après avoir réclamé à cor et à cri, lors de la guerre israélienne de juillet 2006, le vote de la résolution 1701 du Conseil de sécurité qui devait lui sauver la face en mettant un terme à une guerre qui a détruit l’infrastructure libanaise, avant de revendiquer ensuite sa victoire contre Israël, une fois cette guerre terminée. Le coût économique et financier de cette guerre provoquée par le Hezbollah avec le rapt de deux soldats israéliens, avait été très lourd pour le Liban. Concrètement, depuis août 2006, le parti ne peut plus être présent au sud du Litani. L’armée libanaise s’est vue confier la tâche de protéger les frontières sud, et la FINUL celle de surveiller les frontières terrestres, maritimes et aériennes.

Deux ans plus tard, c’est vers l’intérieur que le parti devait tourner ses armes, le 7 mai 2008 et paralyser la vie politique, que ce soit en bloquant le Parlement au gré de ses envies, en perturbant continuellement la formation des gouvernements, ou en assiégeant le pays tout entier afin de propulser son allié Michel Aoun à la présidence de la République. Le camp présidentiel lui assure ainsi la couverture chrétienne et officielle dont il a besoin pour continuer d’hypothéquer la souveraineté nationale. Il pousse la manipulation jusqu’à déclarer à l’adresse de ceux qui militent pour le désarmement de sa formation: "Qu’il y ait d’abord un État avant de nous demander de remettre nos armes à cet État". À l’entendre, on croirait que c’est une formation autre que la sienne et un État autre l’Iran qui protègent la corruption et menacent l’existence de l’État.

Hassan Nasrallah semble ignorer que quiconque fait de la résistance contre un ennemi atteint son objectif en expulsant ce dernier de son territoire si celui-ci est occupé et non en prenant ou en contrôlant le pouvoir, un acte qui est normalement l’apanage d’une révolution, qui au Liban n’est pas encore arrivée à maturité.

Cependant, le Hezbollah n’œuvre pas à changer le régime, du moins à court terme. Tout ce qu’il cherche à présent est de continuer à contrôler ce régime, puisque c’est à travers ses alliés chargés de la gestion des institutions publiques, qu’il obtient ce qu’il veut, alors que la révolution, qui s’est exprimée par le soulèvement du 17 octobre 2019 et que le Hezbollah a essayé de réprimer dans la violence, n’a d’autre but que de se débarrasser de la classe politique contrôlée notamment par l’axe iranien. Celui-ci exploite la résistance et ordonne à chacun de travailler selon une feuille de route qu’il impose sur les plans politique et économique, non pas pour sauver le Liban et les Libanais, mais pour noyer ceux qui tentent de venir en aide au pays dans une succession de crises montées de toutes pièces.

Dans ce contexte, on peut rire des recommandations avancées par le Hezbollah au niveau économique. La formation pro-iranienne appelle à l’ouverture du Liban à l’Est et à l’Ouest, mais "sans céder aux pressions américaines", tout en soulignant que la solution à la crise libanaise réside dans "le dossier pétrolier et gazier, et que donc une décision claire et audacieuse doit être prise dans ce domaine".

Mais en plaidant pour la prospection gazière et pétrolière offshore, censée sortir le Liban de sa crise, Hassan Nasrallah a oublié un détail important: la présence de pétrole et de gaz dans les pays contrôlés par l’axe de la moumanaa dirigé par l’Iran n’a pas empêché l’appauvrissement de leurs peuples, comme c’est le cas pour Irak, la Syrie, le Yémen et même pour l’Iran, ainsi que pour son allié le Venezuela.

Entre le discours de Hassan Nasrallah et les actions ou la politique de son parti, il y a tout un monde. D’où l’importance de faire la distinction entre la révolution et la prétendue résistance, surtout si cette résistance se limite à protéger une formation armée surpuissante qui sert à mettre en œuvre les projets hégémoniques iraniens dans la région.