Retour aux négociations indirectes entre le Liban et Israël pour délimiter leur frontière maritime, ou premier pas vers une escalade, voire une guerre entre les deux pays?

Telle est la question que se posent de nombreux Libanais, depuis que le navire de la société Energean Power a jeté l’ancre dimanche dans le champ gazier de Karish, au sud de la ligne 29 contestée entre le Liban et Israël en Méditerranée.

Chargée d’une prospection gazière par Israël, cette unité flottante de production, de stockage et de déchargement FPSO, a réactivé le dossier de la délimitation des frontières maritimes, entamé en 2020. Les négociations indirectes sous l’égide de Washington, visant à lever les obstacles à la prospection d’hydrocarbures, avaient été suspendues en mai 2021 à la suite de différends concernant la surface de la zone contestée entre le Liban et Israël.

Aoun et Mikati

Le président Michel Aoun et le chef du gouvernement sortant Nagib Mikati sont convenus lundi d’inviter l’émissaire américain Amos Hochstein à Beyrouth pour des discussions sur une poursuite des négociations indirectes entre le Liban et Israël, en vue de finaliser au plus vite la délimitation des frontières maritimes et d’éviter ainsi toute escalade qui mettrait en danger la stabilité dans la région.

Selon un communiqué conjoint, tous travaux " d’exploration, de forage ou d’extraction effectués par Israël dans les zones contestées constituent une provocation et un acte d’agression ".

Une série de contacts diplomatiques doit également être menée avec les grandes puissances et les Nations unies pour leur exposer la position de Beyrouth et confirmer son attachement à défendre ses droits et ressources maritimes.

Le Liban souhaite ainsi un règlement diplomatique rapide de cette affaire, ce que l’État hébreu semble vouloir également. Le ministre israélien de la Défense Benny Gantz a affirmé lundi que le différend maritime qui oppose son pays au Liban concernant la démarcation de leur frontière maritime sera résolu " dans le cadre de négociations " entre les deux parties, " à travers une médiation des États-Unis ".

Amendement du décret 6433

Pour l’experte en ressources pétrolières Laury Haytayan, cet appel au médiateur américain serait " une perte de temps ". Les autorités libanaises devraient plutôt signer un décret pour l’amendement des frontières maritimes, a-t-elle estimé lundi.

Comme elle, de nombreuses parties politiques ont continué lundi à demander au président Aoun de signer l’amendement du décret 6433, et d’enregistrer officiellement auprès de l’ONU la ligne 29 au lieu de la ligne 23, inscrite en 2011.

Il convient de rappeler que la ligne 23 délimite les 860 km² revendiqués par le Liban dans le cadre des négociations indirectes avec Israël entamées en 2020 sur base du décret 6433, alors que la ligne 29 accorde au Liban 1.430 km² supplémentaires, dont une partie du champ de Karish. Cette ligne a été revendiquée par des experts militaires dans le cadre des négociations sur base d’un rapport de l’entreprise britannique Hydrographic Office daté de 2011 qui en a fait état. Depuis, les appels se multiplient pour que le chef de l’État Michel Aoun signe le décret afin d’officialiser cette revendication auprès des Nations unies. Or à ce jour ce décret n’a pas encore été signé.

Retour à l’accord-cadre

La solution réside dans un retour à "l’accord-cadre", sur la base duquel les négociations avaient démarré en 2020, et aux négociations indirectes entre le Liban et Israël, estiment pour leur part des sources qui suivent ce dossier.

Selon elles, si les efforts allant dans le sens de l’accord-cadre avaient été poursuivis, le Liban aurait atteint le résultat recherché. Elles rappellent que cet accord-cadre, accepté par le Liban et Israël, bénéficiait d’une légalité internationale et avait été approuvé par les Nations unies et par le médiateur américain.

Ce retour est encore faisable, estiment ces sources, qui sont convaincues que tout le problème pourrait être réglé en moins d’un mois, et que la frontière maritime pourrait être tracée sur base des lois maritimes internationales.

Plusieurs sources critiquent indirectement l’approche adoptée par l’équipe de négociation du président Aoun, l’accusant d’avoir occulté la question de la délimitation de la frontière.

Le gaz de Karish en septembre

Un haut responsable israélien a déclaré lundi à l’AFP sous couvert d’anonymat que le champ gazier de Karish se trouve dans " la Zone économique exclusive (ZEE) reconnue par l’ONU ". Il a ajouté que " les mensonges du Liban qui prétend soudainement qu’il s’agit d’une région contestée peuvent être réfutés (…) par la propre position de ce pays dans le passé ".

Également citée par l’AFP, une porte-parole du ministère israélien de l’Énergie a en outre révélé que le forage était terminé depuis plusieurs mois et que " le flux de gaz en provenance de Karish devrait commencer en septembre. "

Le navire qui est arrivé dimanche sera connecté à Karish via des gazoducs, a-t-elle précisé.

Danger d’escalade ?

La présence de la plate-forme gazière pourrait-elle entraîner une escalade entre le Liban et Israël, si le Hezbollah réagit à la décision israélienne d’extraire gaz? Selon une source politique, "tout est possible du fait de la mauvaise gestion libanaise de ce dossier".

"Si les États-Unis n’acceptent pas le retour aux négociations, le gouvernement libanais sera obligé de réagir", estime la source précitée, qui rappelle que le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah avait indiqué que son parti appuiera la position du gouvernement libanais quelle qu’elle soit.

Interrogé par Ici Beyrouth, le journaliste Kassem Kassir, spécialiste des mouvements islamiques et du Hezbollah, considère que "la situation est difficile et délicate et nécessite une action officielle pour établir le droit du Liban".

"Si les Américains ne répondent pas positivement à l’appel du gouvernement libanais d’intervenir, l’escalade sera une option", précise-t-il.

Selon Kassem Kassir, deux possibilités se présentent: "La première, c’est que les États-Unis ou les Nations unies interviennent, les négociations reprennent et les travaux du navire sont suspendus".

La seconde, ajoute-t-il, "c’est que les États-Unis et l’ONU n’interviennent pas, ce qui signifie la poursuite du forage, et ouvre la porte à une possibilité d’escalade".

Kassem Kassir estime que cette escalade "pourrait être limitée et prendre la forme d’un lancement de missiles ou de drones, qui conduirait à l’arrêt des travaux du navire, et ne serait pas suivie par une riposte israélienne".

L’autre option serait une opération de grande envergure, "qui plongerait la région dans une vaste guerre", souligne-t-il.

Le journaliste, pour qui "l’option la plus réaliste est de revenir aux négociations et à la démarcation des frontières", note que "cela dépend en définitive de la position des États-Unis et d’Israël".

"Nous sommes à un moment crucial", conclut-il, soulignant qu’une solution rapide est nécessaire.