En confiant le suivi des discussions autour de la frontière maritime avec Israël à l’ancien député Nawwaf Moussawi, le Hezbollah n’a pas cherché à heurter le président de la République, qui a pris en charge la gestion de ce dossier, mais à rassurer son public qui s’étonne de la neutralité du parti de Dieu à l’égard de cette question. Un grand nombre de partisans du Hezbollah va encore plus loin que ce dernier en refusant même que la ligne 29 soit considérée comme une base pour les négociations. Ils poussent en direction d’une interdiction totale à Israël de prospecter dans la zone, puisqu’ils considèrent que ces richesses reviennent de plein droit aux Palestiniens et non aux Israéliens.

En désignant Nawwaf Moussawi pour suivre ce dossier, le Hezbollah a cherché à montrer qu’il suit de près l’évolution de la situation et qu’il est prêt à intervenir le moment venu. Lors de sa récente intervention télévisée, le secrétaire général de la formation pro-iranienne, Hassan Nasrallah, s’est limité au conflit maritime qui oppose le Liban et Israël, une façon pour lui d’absorber "l’étonnement", voire le "ressentiment" manifesté par son public. Il ne fait aucun doute que le parti, tout comme le restant des forces politiques, est prêt à troquer des lignes et des droits dans le cadre de grands règlements internes, régionaux comme internationaux.

D’aucuns s’attendaient à ce que Hassan Nasrallah annonce son adhésion à la ligne 29 pour faire avorter l’entente entre les présidents de la République, Michel Aoun, du Parlement, Nabih Berry, et le chef du gouvernement d’expédition des affaires courantes, Najib Mikati. Ces derniers avaient retenu la ligne 23 comme ligne de départ pour les négociations.

D’autres ont estimé que le fait que Hassan Nasrallah ait maintenu sa position antérieure, où il laisse la décision dans ce domaine aux autorités politiques et avance sur cette base, n’a rien de nouveau, dans la mesure où le parti a décidé de faire primer l’État et de placer ses armes sous ses ordres. Quoi qu’il en soit, cette position bien pensée sert la stratégie du Hezbollah dans le dossier de la délimitation de la frontière. Et pour cause: grâce à elle, le parti manœuvre pour créer un cas comparable à celui des fermes de Chebaa, mais maritime cette fois. Cela lui permet de tirer les ficelles en arrière-plan et de laisser les trois pôles du pouvoir, le général Aoun au premier chef, porter la responsabilité devant l’opinion publique, surtout que les députés du changement, parmi bien d’autres, considèrent qu’en renonçant à la ligne 29, le Liban renonce à sa souveraineté.

Le directeur de l’Institut des affaires stratégiques du Moyen-Orient, Sami Nader, considère que "l’adoption par le Hezbollah de la ligne 29 reviendrait à reconnaître une violation de la souveraineté libanaise par le navire de forage grec, ce qui l’obligerait à y réagir, vis-à-vis de son public et de l’opinion publique. En revanche, maintenir le statu quo signifie que la zone comprise entre les lignes  23 et 29 est une zone grise contestée et restera liée au règlement global. En d’autres termes, cette zone deviendra un autre Chebaa, mais sur mer, et, de ce fait, une carte de négociations aux mains du Hezbollah". Dans son entretien à Ici Beyrouth, M. Nader considère que "le parti ne cherche pas une confrontation militaire avec Israël. Cependant, il refuse de résoudre la question de l’appartenance de la zone contestée, comme le flou sert l’intérêt iranien avant toute chose", ajoutant que "Téhéran est bien conscient que le dossier de la frontière maritime constitue le dossier plus important pour les États-Unis lorsqu’il s’agit du Liban. Partant, Téhéran souhaiterait l’utiliser à la table des négociations à Vienne. Ensuite, comme l’Iran reste l’acteur le plus influent au Liban, l’intérêt de l’Iran l’emporte sur l’intérêt libanais tant que les équilibres des forces demeurent inchangés."

De nombreux experts s’accordent unanimement à dire que tous les responsables libanais utilisent le dossier de la démarcation des frontières à des fins personnelles. À commencer par le président de la République et son gendre, le chef du CPL, le député Gebran Bassil, qui cherchent à lever les sanctions américaines contre ce dernier. Preuve en est l’abandon par le président de la République, sans crier gare, de la ligne 29 au profit de la ligne 23. Sans compter Najib Mikati, qui aspire à bénéficier d’une couverture américaine pour le gouvernement qu’il entend former s’il est nommé. Et enfin, le Hezbollah, qui met en œuvre l’agenda iranien au Liban et dans la région.

À cet égard, Riad Kahwaji, responsable d’Inegma (Institut d’analyse militaire du Proche-Orient et du Golfe) estime que "le Hezbollah conserve, par sa position sur le dossier de la démarcation, une marge de manœuvre dans la négociation avec la partie américaine, dans le but de préserver ses acquis et de rester le parti dominant sur la scène libanaise. Il se l’octroie afin de voir ce qu’il peut tirer de l’abandon de la ligne 29". Et de souligner que "le Hezbollah s’abrite derrière l’État représenté par son allié, le président de la République, Michel Aoun, laissant croire qu’il est en parfaite harmonie avec la position de l’État et qu’il ne lui impose rien". "Aujourd’hui, la responsabilité juridique de l’avenir des frontières maritimes incombe au président Michel Aoun qui répondra à lui seul de la tournure que prendra cette question", ajoute-t-il à Ici Beyrouth. M. Kahwaji exclut que les Américains ou les Israéliens soient aujourd’hui en passe de "distribuer des récompenses et de faire des concessions ". " Leur offre est claire: accepter la ligne 23 comme base pour les négociations en échange de la facilitation de l’accès des entreprises internationales au Liban pour commencer l’exploration du gaz", commente-t-il. "Je ne pense pas qu’il y aura des garanties pour le parti concernant l’avenir de ses armes, ni un soutien pour l’accession d’une personne en particulier à la présidence de la République ou une levée des sanctions sur quiconque", déclare M. Kahwaji.

Parallèlement, selon des sources proches des milieux du Hezbollah, le mécontentement quant à la manière dont les forces politiques libanaises abordent le dossier de la délimitation des frontières est palpable, notamment après l’annonce de l’adoption de la ligne 29 comme ligne de négociation. "Procéder ainsi et déclarer adhérer au décret 6433 en l’état revient à dire à Israël que les négociations auront lieu à partir de la ligne 23. Autant dire que nous n’obtiendrons même pas cette ligne, surtout dans le cadre de négociations parrainées par Washington, l’allié stratégique d’Israël et le premier garant de ses intérêts", rappellent les sources précités. Et d’ajouter à Ici Beyrouth: "La situation est malsaine. Certes, le scénario de guerre et d’affrontement militaire pour préserver nos droits ne prime pas sur la solution pacifique et les négociations, mais force est de constater qu’il revient sur la table après avoir été écarté."