Dans ces temps où le pays nous échappe chaque jour un peu plus, comme une urgence de retourner vers nos fondamentaux, de retrouver nos nécessaires, de se reconnecter avec nos monuments, vestiges, richesses, fiertés nationales, en deux mots récupérer notre territoire. 

"Anjar fut fille d’Omeyyades, amie des caravanes et songe des nomades." Qui d’autre que Nadia Tuéni pour auréoler de tant de poésie les nombreuses escales d’un pays si abondant? Et où d’autre que Anjar pour se dire, tiens, on n’aura jamais fini de tout visiter, de tout savoir d’un pays si foisonnant? Et quoi d’autre que les pierres pour nous rappeler que chez nous se nichent tant d’épopées et de traversées?

C’est en juin de l’année 1959 que l’émir Maurice Chéhab, alors conservateur général des Antiquités, fait une découverte fabuleuse. Alors qu’il mettait au jour un palais omeyyade, c’est toute une cité qui apparaît à quatre mètres sous ses pieds. Une cité résidentielle, une cité princière avec son palais, ses dépendances, ses bains, ses jardins, le tout entouré d’une enceinte de 375 mètres de côté.

Et Anjar, dont le nom vient de Aïn et Gerrha, source voisine ou source du rocher, source qui existe encore à proximité, s’inscrit donc en lettres d’or dans le livre des destinations incontournables par son histoire et l’élégance de ces vestiges. L’engouement sera grand, les touristes affluent et un festival est même mis en place, présidé par Nina Jidejian et prendra son envol le 7 septembre 1974. La guerre et ses horreurs transformeront Anjar en un centre militaire de sinistre mémoire. Mais revenons à l’histoire…

Anjar dans le temps: Jadis connue sous le nom grec de Chalcius, Anjar prendra son essor au VIIIe siècle sous l’impulsion du calife Walid ben Abdel-Malik. Les Omeyyades, grande dynastie de l’Islam conquérant, ont donc auguré une véritable période de prospérité pour la région. En témoignent les vestiges des magasins, témoins d’une ville marché et relais pour les caravanes qui allaient vers Damas ou en revenaient. Une cité importante pour les Omeyyades qui privilégiaient le contact avec les milieux ruraux aux fastes des villes. Mais son prestige aura été de courte durée puisqu’elle aurait été détruite et abandonnée à la suite de luttes intestines.

Anjar le site: avec la mosquée de Baalbeck, les vestiges de Anjar sont des témoignages précieux de la période omeyyade. La cité découverte lors des fouilles dès 1949 se présente entourée d’une enceinte munie de tours et percée de quatre portes situées aux points cardinaux. À l’entrée de la ville, sur une colline, se trouve le tombeau du guérisseur Zoour, vénéré au temps du califat. À l’intérieur, et dans une symétrie parfaite découlant de deux larges avenues bien dessinées, des quartiers bien agencés, un grand et un petit palais, une mosquée et un hammam, des habitations et des boutiques. Le tout construit avec des matériaux raffinés et solides, capables de résister aux séismes et témoignant d’une connaissance certaine des traditions architecturales antiques avec notamment un système d’évacuation des eaux.

Tout cela donne très envie d’aller prendre le pouls de cette cité classée depuis 1984 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. D’abord, rencontrer la très importante communauté arménienne établie là depuis 1939. Originaires de six villages de Jabal Moussa, du sandjak d’Alexandrette, les Arméniens s’étaient d’abord établis dans des cabanes avec l’aide des Français, avant de bâtir avec le courage qu’on leur connaît, une véritable ville et une vie véritable.

Anjar ne se rate pas et nous raconte des centaines d’histoires. Apprendre en dégustant une sfiha, spécialité de la région, que le fameux philosophe phénicien Jamblique qui avait par la suite rejoint l’École néoplatonicienne de Rome et écrit un livre sur la vie de Pythagore était né à Anjar vers l’an 230. Qu’en août, on célèbre les oiseaux migrateurs dans la localité. Que le crochet est une des spécialités artisanales de la région. Que la fameuse bataille de Anjar où Fakhreddine, revenu d’exil, a vaincu les Ottomans est encore dans les esprits, sur une superbe toile de César Gemayel et un magnifique poème de Saïd Akl. Que la région regorge de plantes rares comme la sauge sclarée et la nepeta (herbe à chat).

Vous saurez également qu’une légende tenace chuchote que Salomon aurait fait construire à Anjar un somptueux palais à la reine de Saba. Que Cléopâtre et Marc-Antoine sont venus passer leur voyage de noce à Anjar, mais oui. Que l’eau est abondante à Anjar et que les moulins jonchaient jadis la plaine. Qu’un peu plus loin Majdel Anjar révèle les ruines d’un temple romain. Il reste certainement beaucoup à découvrir encore si seulement on décidait de s’y consacrer faisant fi des nuages noirs et ne pensant qu’au soleil généreux de cette plaine fertile et aux mots de Fouad Gabriel Naffah: "La Békaa, cette plaine en miracles fécondes, a jadis étonné et la terre et le monde."