Dans ces temps où le pays nous échappe chaque jour un peu plus, comme une urgence de retourner vers nos fondamentaux, de retrouver nos nécessaires, de se reconnecter avec nos monuments, vestiges, richesses, fiertés nationales, en deux mots, récupérer notre territoire.

" Tous pour la patrie, pour la gloire et le drapeau. " On a tous entonné un jour ou l’autre le puissant refrain de notre hymne national, debout, la tête haute, et très souvent les larmes aux yeux. Un hymne auréolé de tristesse depuis que la phrase " Que Dieu le préserve jusqu’à la fin des temps " a revêtu des accents de désespoir alors que le pays sombre de plus en plus.

C’était pourtant comme une belle histoire débutée en 1926, alors que le Liban sous mandat français commençait à ressembler de plus en plus à une nation.

Bien sûr, avant cela, quantité de marches militaires et d’hymnes avaient rythmé l’ère de la moutassarifiah et même les débuts du mandat. Tous avaient des relents patriotiques surtout ceux composés après la chute de l’Empire ottoman et qui avaient pour dessein de relancer la fibre nationale dans un pays asphyxié par 400 années d’occupation. Ces hymnes ou chansonnettes étaient surtout destinés à motiver les troupes, les écoliers, les gendarmes, les scouts et parlaient de cèdre, de patrie et de Phénicie.

Les poètes de l’époque, choisis par les administrations ou les divers gouverneurs, avaient pour nom, entre autres, Béchara el-Khoury, Mohammad Youssef Hammoud, Georges Ghorayeb et les musiciens n’étaient autres, la plupart du temps, que les frères Mohammad et Ahmad Fleyfel qui étaient à la tête de plusieurs troupes musicales.

On chantait donc au Liban, on chantait la patrie, le cèdre, l’émigration, le retour, mais aussi la bravoure, la terre, le vert des collines, le bleu du ciel et cette fierté d’être Libanais. Mais il manquait l’essentiel : un véritable hymne national, refrain entonné de concert par tous les Libanais, ici ou ailleurs, d’une seule voix, d’un seul amour, d’un seul mouvement.

Une première tentative fut entreprise en 1925 par le gouverneur français du Grand Liban de l’époque Léon Cayla en vue de lancer un concours sous la supervision d’un jury composé, entre autres, de Georges Corm, Henri Pharaon, Wadih Sabra et Ahmad Fleyfel. Mais l’inspiration ne vint pas aux poètes ou du moins aucune mélodie, aucune parole ne réussirent à convaincre les jurés.

L’année suivante, durant le mandat de Charles Debbas, une seconde tentative fut lancée et le jury, présidé par l’éminent linguiste cheikh Abdallah Boustany et composé d’Ibrahim el Mounzer, Abdel-Rahim Kleilat, Wadih Akl et Élias Fayad, reçut l’immense tâche de sélectionner un hymne national pour le pays dont on venait de proclamer la République. Et c’est un texte aux accents poignants, aux paroles vibrantes, qui a conquis les présents.

Rachid Nakhlé est dans la cinquantaine. Il est déjà connu dans les milieux littéraires et journalistiques et ce concours est pour lui plus qu’un défi, comme une évidence. Obsédé par le désir de servir au mieux son pays et de faire taire ceux qui pensent qu’il est impossible d’unir toutes les "tendances" libanaises autour d’un refrain, c’est dans son Barouk natal qu’il va composer d’une seule traite un poème pour son Liban. Mais, pour ne pas user de sa renommée, il signera ce texte d’un pseudonyme, Maabad. Ce qui n’empêchera pas le jury de tomber totalement d’accord sur ses mots.

On raconte que Béchara el-Khoury, alors ministre de l’Intérieur, lui aurait demandé de retirer une strophe parlant de l’unité de la croix et du croissant, que les 1.000 livres remportées ont été versées aux œuvres caritatives et que le directeur du l’École nationale de musique Wadih Sabra, déjà roué à la composition des hymnes et marches et d’une musique aux accents qui portent loin et haut, s’est tout de suite proposé et tout naturellement de composer la musique.

Parfaite combinaison de deux "grands" pour un chant d’union qui cimenterait mieux et fort les assises d’une nation amenée à réaliser de grandes choses. "Par l’épée et la plume, nous marquons les temps". Désormais, un koullouna lil watan qui débutera les cérémonies officielles, les émissions de radio, les séances de cinéma et plus tard les débuts de la télévision.

S’il aura eu au début un peu de mal à s’imposer, notre hymne national sera toujours présent dans les grands événements du pays. Et même à l’étranger. Dans le monde olympique, c’est avec beaucoup d’émotion que durant les Jeux de Helsinki en 1952 a retenti pour la première fois le koullouna grâce à deux athlètes libanais Zakkaria Chehab et Khalil Taha pour respectivement la médaille d’argent et de bronze en lutte gréco-romaine.

Aujourd’hui, et loin des polémiques qui n’ont ni queue, ni tête, ni pertinence, ni grande utilité surtout, polémiques d’ailleurs démontées par les historiens, nous gardons précieusement dans nos cœurs et nos esprits cet hymne magnifique qui nous appartient et qui nous définit. Un peu comme une berceuse, un peu comme une litanie, un peu aussi comme une consolation. "Nos vieux, nos jeunes attendent l’appel de la patrie", et c’est d’autant plus vrai, que toutes les guerres, les misères et les ressentiments, toutes les humiliations, les vexations et les déceptions ne peuvent pas éloigner de nos lèvres ce refrain entonné dans la douleur, mais qui fait aussi se redresser les têtes. "Tous pour la patrie, pour la gloire et le drapeau. Son nom est sa gloire depuis le début des temps. Son cèdre est sa fierté, son symbole éternel."

*Certaines informations sont tirées du livre de Joseph et Adonis Nehmé : Drapeau et hymnes libanais. 

*Merci à Fady Jeanbart pour les infos et les photos.

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