Une prospérité en trompe-l’oeil, une fuite en avant endettée et des années d’austérité ont convergé il y a vingt ans en l’une des plus grandes crises de l’Argentine, une explosion sociale qui a laissé un traumatisme durable et une méfiance encore palpable à ce jour.

 

Des gens martelant les devantures de banques, des magasins pillés, des manifestants tombant sous les balles (près de 40 morts), la fuite en hélicoptère du président Fernando de la Rua: une multitude de scènes de la " Grande crise " de 2001 est imprimée dans l’esprit, parfois la chair, des Argentins.En 2001, une société entière veut croire à l’illusion du " uno a uno " (un pour un) –la conversion 1 dollar = 1 peso– instaurée sous le mandat du président péroniste de droite Carlos Menem, initialement pour maîtriser l’hyperinflation. Le mythe dura dix ans.C’est l’époque où des pays latino-américains surfent sur une vague néo-libérale d’ouverture des marchés, de privatisations, mais aussi d’endettement. Une classe moyenne se grise d’achats de biens importés, avec un peso surévalué.Mais l’industrie locale s’effondre, le déficit budgétaire se creuse, les plans d’austérité se succèdent. Et les investisseurs n’ont pas confiance.

Devant la fuite des capitaux et une crise de liquidités, l’Etat en décembre 2001 pour éviter l’effondrement des banques, décrète ce que les Argentins de tous âges connaissent comme le " corralito " (petit enclos, parc à bébé): gel des dépôts bancaires, interdiction de retirer plus de 250 pesos par semaine: la rage pour beaucoup, la faim pour d’autres.

 

" Qu’ils s’en aillent tous ! "

Les pillages de magasins se multiplient, les manifestations, auxquelles Fernando De La Rua répond par un état de siège, qui rappelle la dictature: huile sur le feu.

La nuit du 19 au 20 décembre embrase Buenos Aires, des dizaines de milliers de personnes convergent vers la Plaza de Mayo, le Parlement, en un " cacerolazo "  -concert géant de casseroles- une colère que la demission du ministre des Finances ne calme en rien. " Que se vayan todos ! " (Qu’ils s’en aillent tous !) est alors le cri.

C’est " l’estallido " (explosion) que la police aura carte blanche pour disperser. Plaza de Mayo, la police montée bouscule des " Mères " (de disparus) une image sacrilège qui restera gravée. Près de 40 personnes dans le pays seront tuées, des centaines blessées.

Au soir du jeudi 20, le président De La Rua démissionne, et fuit le palais en hélicoptère. Deux autres lui succèderont en deux semaines (cinq si l’on compte les intérims), l’un d’eux, Adolfo Rodriguez Saà, décrétant le plus grand défaut de paiement de l’histoire: 100 milliards de dollars.

Pas un Argentin qui n’ait " son " souvenir de 2001, des pillages au coin de sa rue, de l’angoisse comptable de ses parents, des comptes bancaires ouverts par dizaine pour muliplier les retraits, des économies d’une vie parties en fumée.

L’acteur vedette Ricardo Darin a récemment raconté, les larmes aux yeux, comment sa mère, décédée, " jusqu’à ses derniers jours, (lui) a demandé s’il y aurait une possibilité de récupérer l’argent qu’elle avait perdu à la banque " en 2001. Jusqu’à ce qu’il décide, finalement, de lui mentir et l’assurer que " c’est dans les mains des avocats, et ils disent que ça pourrait se régler. Si vous aviez vu briller ses yeux… "

 

Orphelins, mais solidaires

Une étude cardiologique pionnière démontrera que le nombre d’accidents cardiaques mortels augmenta de 20.000 entre 1999 et 2002 en Argentine. Partie liée au stress, mais surtout à la dégradation du système de santé.

Vingt ans après, que reste-t-il de 2001 ? " Un souvenir de douleur, de sang ", résume pour l’AFP l’historien Felipe Pigna. " La peur d’une convulsion sociale, de perdre ses économies. Un fantôme, qui réapparait en temps de crise, de situation critique. Pas forcément en termes rationnels, mais émotionnels ".

En 2001, les Argentins se sentirent " orphelins, abandonnés par l’Etat, les partis, des banques ". Mais c’est aussi un moment où les gens se sont pris en mains: " coopératives d’entraide, soupes populaires de quartiers, assemblées sur les places pour trouver des solutions aux problèmes quotidiens ". Un début de reconstruction " autonome ", relève-t-il.

La recupération passa par une dévaluation douloureuse, une restructuration spectaculaire de la dette (75%) négociée sous la présidence (2003 à 2007) du péroniste Nestor Kirchner.

Mais sur fond d’endettement à nouveau (44 milliards de dollars contractés en 2018 par le président Mauricio Macri), reste une méfiance profonde, un poil hérissé à la seule mention de " défaut " ou " d’ajustement ", dans un pays où le taux de pauvreté atteint 40%. Même si le président (centre-gauche) Alberto Fernandez assure dans le cadre des négociations actuelles avec le FMI, que " l’Argentine des ajustements appartient à l’histoire ".

" En 2021 le contexte international est différent, l’attitude du FMI aussi ", tempère Pigna. Mais le fantôme rode. En novembre, une fake news circula sur des supposés préparatifs de " corralito "; des centaines de millions de dollars ont été  retirés des banques en quelques jours.

AFP

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