La dernière escalade à la frontière libano-israélienne (re)pose la sempiternelle question sur la responsabilité, la connivence ou même le rôle instigateur du Hezbollah dans les tirs de roquettes en provenance du Liban. Une question à laquelle un article du New York Times tente d’apporter un éclairage nouveau et… inquiétant.

Bien que les tirs de roquettes depuis le sud du Liban vers Israël, jeudi dernier, ont été salués par le Hamas, le mouvement islamiste palestinien qui dirige la bande de Gaza depuis 2007, n’en a pas revendiqué officiellement la responsabilité.

De son côté, l’armée israélienne a affirmé que les membres du Hamas, peut-être en collaboration avec le Jihad islamique, avaient tiré les roquettes depuis la ville de Tyr, où vivent des milliers palestiniens dans les camps de réfugiés. Israël n’a donc pas assuré si ces tirs ont été orchestrés avec l’aide ou la bénédiction du Hezbollah, un groupe qui partage avec le Hamas la manne et le soutien iraniens.

Le New York Times a tenté de répondre à la question en citant des " analystes et des responsables militaires ". Ses investigations ont, selon le journal américain, révélé une " nouvelle dimension inquiétante du conflit ", à savoir, un partenariat croissant entre le Hezbollah et le Hamas.

Un soldat israélien inspecte le reste d’une roquette artisanale lancée depuis le Liban.

Le journal avance que l’implication présumée du Hamas dans les récents tirs de roquettes depuis le Liban met en évidence un renforcement des liens entre le mouvement palestinien et le Hezbollah. Cette amélioration des relations fait suite à une période de relations plus froides il y a dix ans, lorsque les deux groupes ont soutenu des parties opposées dans la guerre civile syrienne. Alors que le Hamas a soutenu les milices sunnites qui se sont rebellées contre le gouvernement, l’Iran et le Hezbollah, deux mouvements chiites, ont pris le parti du régime alaouite d’al-Assad.

Un contrat " gagnant-gagnant "?

Les auteurs de l’article affirment que le Hamas, en lançant des roquettes depuis le Liban, cherche à maintenir son conflit avec Israël sans infliger davantage de dégâts à Gaza, son bastion. Les guerres répétées à Gaza durant les deux dernières décennies ont entraîné des frappes israéliennes qui ont dévasté de vastes zones du territoire et tué des milliers de Palestiniens.

Les experts, cités par le NYT, affirment ainsi que le Hamas peut détourner l’attention de Gaza en tirant sur Israël depuis le Liban, réduisant ainsi la probabilité de représailles majeures israéliennes sur son territoire. Bien qu’Israël ait répondu aux tirs de roquettes en bombardant brièvement les infrastructures du Hamas à Gaza et dans le sud du Liban, les frappes israéliennes ont été évitées dans les grands centres urbains de la Bande et n’ont causé aucun blessé.

La bande de Gaza sous un déluge de feu israélien après des tirs de roquettes par le Hamas.

Le New York Times cite Hugh Lovatt, expert des affaires palestiniennes au Conseil européen des relations étrangères, un groupe de recherche basé à Berlin. Lovatt explique que " le Hamas veut affronter Israël, mais pas à Gaza. Les récents tirs de roquettes depuis le Liban étaient une autre tentative du Hamas d’ouvrir un autre front contre Israël, tout en laissant Gaza hors de l’équation. "

M. Lovatt ajoute que cet arrangement convient également au Hezbollah, car il lui permet d’augmenter la pression sur Israël sans attirer de représailles majeures sur ses propres forces. Les tirs de roquettes étaient " un rappel utile à Israël de la capacité continue du Hezbollah à faire des ravages ", tout en fournissant un " certain déni plausible ".

Selon le NYT, les analystes et les responsables israéliens affirment que le Hamas s’est rapproché du Hezbollah ces dernières années et est devenu plus actif au Liban. Ce processus s’est accéléré après l’élection de Saleh al-Arouri au poste de vice-président du bureau politique du Hamas en octobre 2017.

M. Arouri a commencé à renforcer les liens avec l’Iran et le Hezbollah en se rendant à Téhéran pour rencontrer le chef du Conseil suprême de la sécurité nationale iranien Ali Shamkhani, puis en rencontrant publiquement le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, quelques jours plus tard.

Le vice-président du bureau politique du Hamas Saleh al-Arouri lors de sa rencontre avec le chef du Conseil suprême de la sécurité nationale iranien Ali Shamkhani à Téhéran, 23 juillet 2019. (Photo: Iran Student News Agency)

M. Arouri a ensuite étendu l’infrastructure paramilitaire du Hamas au Liban, mais pas nécessairement avec la pleine conscience du Hezbollah, selon deux responsables du renseignement s’exprimant de manière anonyme au NYT. En janvier 2018, Israël a tenté en vain d’assassiner l’un des principaux lieutenants de M. Arouri au Liban avec une voiture piégée.

L’apport de la crise israélienne

Le journal affirme que, pour Israël, la coopération entre le Hamas et le Hezbollah aggrave un sentiment croissant de danger le long de la frontière libanaise. Depuis leur guerre à grande échelle en 2006, Israël et le Hezbollah ont évité une autre confrontation majeure le long de la frontière, limitant au minimum les tirs et les infiltrations transfrontalières. Les affrontements les plus directs entre les deux parties ont plutôt eu lieu en Syrie, où Israël frappe régulièrement des cibles liées au Hezbollah.

Clash entre des manifestants anti-Netanyahu et la police israélienne à Tel-Aviv.

Cependant, ces dernières semaines, le Hezbollah semble moins effrayé par une confrontation armée plus large, estiment les auteurs de l’article. En témoigne la récente déclaration de Nasrallah, pour qui Israël était sur le point de s’effondrer. Le chef du Hezb faisant référence à la crise politique déclenchée par le projet de réforme judiciaire du Premier ministre Benyamin Netanyahu, qui a creusé les divisions dans la société israélienne.

En outre, le journal cite l’attaque ayant eu lieu le 15 mars dernier, qu’il qualifie d "audacieuse ", lorsqu’un homme lié au Hezbollah est entré secrètement en Israël depuis le Liban et a posé une bombe en bordure de route qui a gravement blessé un citoyen israélien, ce qui a encore accentué le sentiment de péril le long de la frontière.

L’article du NYT affirme toutefois que le Hamas est conscient qu’il doit utiliser sa stratégie avec prudence. Ils citent Imad Alsoos, un expert du Hamas à l’Institut Max Planck d’anthropologie sociale, pour qui le mouvement islamiste pourrait vouloir éviter de s’impliquer trop régulièrement dans des attaques lancées depuis le Liban. Pour Alsoos, qui a évoqué des conversations avec des responsables du Hamas, ces dirigeants ont appris de l’expérience passée et pensent que les milices palestiniennes ont finalement entravé leur cause en s’impliquant trop dans la dynamique interne pendant la guerre civile libanaise.

Des membres des Gardiens de la révolution islamique paradent aux côtés d’un missile lors de la " Journée Al-Qods ", à Téhéran, en avril 2022.

Les dirigeants du principal rival laïc du Hamas, le Fatah, ont finalement été chassés du Liban et de la Jordanie au cours de cette période, une situation que les dirigeants du Hamas veulent éviter de reproduire, a ajouté M. Alsoos. Les dirigeants du Hamas sont donc très sensibles à l’utilisation des terres d’autres pays pour lancer des attaques et pensent que s’engager dans les conflits internes de ces pays pourrait sonner la fin du Hamas lui-même.

Roger Barake, avec le New York Times