Le jeudi 21 juillet 2022, les grains des silos du port de Beyrouth se sont à nouveau enflammés. Les experts sont confiants en ce qui concerne l’incendie, mais un risque biologique s’annonce.

Pour la seconde fois en l’espace de deux jours, les grains des silos du port de Beyrouth se sont enflammés, le jeudi 21 juillet. Il s’agit d’un phénomène tout à fait normal, selon Najat Saliba, députée et experte en sciences environnementales, qui, dans une interview à Ici Beyrouth, avait expliqué que "le taux élevé d’amidon contenu dans les grains de maïs, combiné à la forte humidité, forme une couche isolante qui rend le milieu sous-jacent hermétiquement fermé". "Cela déclenche une digestion anaérobie, également appelée fermentation, avait-elle souligné. Il s’agit d’une réaction dite exothermique, c’est-à-dire qui dégage de la chaleur. Les températures générées par cette fermentation peuvent atteindre des seuils élevés. La chaleur dégagée est telle que les grains s’enflamment. C’est un phénomène assez commun appelé inflammation spontanée. Des cas similaires ont été recensés à travers le monde, notamment au Japon."

Mais la question qui se pose est de savoir quelles sont les raisons pour lesquelles les grains ne se sont enflammés que deux ans après l’explosion au port et à la veille de la seconde commémoration de cette catastrophe. "Après l’explosion du 4 août, les grains ont eu le temps de sécher", explique Mohammad Abiad, conseiller du ministre de l’Environnement et chercheur à l’Université américaine de Beyrouth, qui écarte la théorie de l’incendie volontaire. "Ce n’est qu’à l’été 2021 que les couches supérieures de blé ont suffisamment fermenté pour prendre feu", ajoute-t-il. "Après l’hiver 2022, l’eau a imbibé les 10 mètres de grains, déclenchant le processus de fermentation dans les couches profondes."

"Un type de feu fréquent"

D’après le guide publié par le magazine d’affaires international pour les céréales, la farine et l’alimentation animale World-grain, "ce type de feu est assez fréquent et il ne faut absolument pas essayer d’éteindre l’incendie avec de l’eau, car ça ne ferait qu’aggraver la situation". Dans ce cadre, plusieurs députés, au nombre desquels Paula Yacoubian, ont affirmé que l’incendie peut être éteint à l’aide de mousses extinctrices. "Ces propos ne sont pas basés sur des faits scientifiques", souligne M. Abiad. "La mousse ne ferait que rendre le milieu encore plus hermétique, et donc propice à la fermentation qui est la cause de l’incendie. Sans compter les énormes dégâts que pourraient causer les composés fluorés (molécules chimiques comprenant du fluor qui sont hautement polluantes et toxiques et que plusieurs pays du monde essaient d’interdire, NDLR) présents dans ces mousses."

Pour M. Abiad, la seule option est de "laisser le feu s’éteindre seul et de disperser les grains sur le sol pour arrêter la fermentation, ce qui est difficile à faire vu que l’incendie s’est déclenché du côté du cratère formé par l’explosion".

Inquiétudes de biologistes

Bien que l’incendie ne dégage pas de gaz toxiques, des risques au niveau de la biosûreté (les mesures à prendre pour prévenir les fuites d’agents pathogènes, NDLR), sont inévitables. D’après André Khoury, ingénieur expert en sécurité alimentaire et enseignant-chercheur à l’Université Saint-Joseph (USJ), "il y aurait un risque de contamination aux micromycètes (champignons microscopiques) vu que les grains sont un milieu extrêmement favorable à la croissance des champignons comme l’aspergillus flavus et le penicillium chrysogenum, dont les spores (sorte de poussière contenant un ovule fécondé qui va germer et donner naissance à un champignon, NDLR) peuvent voyager à des kilomètres à la ronde".

"Ces champignons peuvent causer des maladies respiratoires et dermatologiques qui viennent s’ajouter à la longue liste de problèmes dont souffrent les habitants de la capitale", explique-t-il à Ici Beyrouth. L’expert ajoute que "le risque serait décuplé si les silos venaient à s’écrouler, car le vent transporterait aussi bien les grains infectés que les spores de champignons". "Avec la fermentation, on craint la formation de poches de méthane qui pourraient causer des déflagrations qui fragiliseraient la structure des silos, met en garde M. Khoury. En principe la zone est assez bien aérée et l’on devrait éviter ce genre d’incident. Pour connaître l’ampleur exacte du biorisque que présente le blé, il faudrait identifier les espèces présentes. C’est un sujet qui ne doit pas être pris à la légère."

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