Dans un précédent article, j’ai présenté une vision de la crise financière locale, tout en suggérant une alternative pour le redressement. Ici, je tiens à clarifier une partie de l’article, et détailler l’une des options suggérées.
Un premier article publié il y a deux semaines sous le titre ‘Le Liban n’est pas en faillite’ a suscité un certain nombre de réactions, certaines positives, d’autres sceptiques et quelques-unes scandalisées. Il nous est paru nécessaire, en détaillant un point de la solution, de montrer que des alternatives existent à la liquidation du Liban telle qu’elle est abordée allégrement par certains de nos dirigeants, conseillers, experts ou amis.
Le présent document n’a pas la prétention d'être exhaustif. Il est certain qu’une solution complète, éthique, respectueuse, efficace et progressiste de la crise libanaise nécessiterait une étude complète avec des simulations appropriées.
Tout d’abord, soyons clairs
Je n’ai jamais dit, dans l’article en question, qu’il conviendrait que les actionnaires des banques récupèrent leur mise. Ces actionnaires sont ce qu’on appellerait des investisseurs avertis. Perdre un investissement ne détruirait pas irrémédiablement leur envie d’investir. En revanche, les déposants dans les banques ont fait confiance, sans avoir une volonté de prendre des risques, à leurs banques et à l’État libanais. Les priver de leurs avoirs sous prétexte qu’ils auraient eu des intérêts élevés, que l’État n’en aurait pas les moyens, ou que cela encouragerait le FMI à soutenir le Liban, relève à la fois de l’immoralité et du manque de bon sens.
N’oublions pas surtout que le dollar du déposant est identique au dollar du FMI. Il a d’ailleurs une valeur de sueur et de larmes bien supérieure, et ces dollars de déposants sont beaucoup plus abondants que tous ceux du FMI. Le Liban espère recevoir trois milliards de dollars du FMI, il en avait reçu plus de 120 milliards de ces malheureux déposants. Si, par simple intérêt, à part le côté moral, nous voulons un Liban prospère, les déposants doivent être totalement indemnisés.
En ce qui concerne le FMI, nous ne disons pas non plus que nous pouvons nous passer de son intervention. Elle est même essentielle sur un tout autre plan. Les prêts du FMI forceront l’État libanais à agir avec plus de rigueur et de transparence. Le FMI est donc nécessaire pour éviter une récidive ‘gabegique’ de notre État.
Pour les banques, aucune économie développée ou en voie de développement n’a pu se passer d’elles. Tout dirigeant soucieux de l’intérêt de son pays cherche à augmenter l’intégration financière. Qui peut croire que réduire le nombre de banques et promettre à celles qui seront retenues des bénéfices consistants, assurera un niveau optimal de service à la clientèle et généralisera l’usage des services financiers aux couches les plus défavorisées?
Alors, peut-on trouver le moyen pour l’État de rembourser les déposants sans grever ses finances futures, et en maintenant un secteur bancaire sain et socialement utile?
Dans notre article précédent, nous avions indiqué un certain nombre de pistes. L’une d’elle était l’émission d’obligations payables à l’atteinte de certains niveaux de PIB.
De quoi s’agit-il ?
En anglais cela s’appelle des GDP Linked Bonds. Elles ont été recommandées par l’économiste américain, prix Nobel 2013, Robert Shiller. Comment le procédé fonctionnerait-il?
On sait qu’on est dans une situation où les banques doivent de l’argent aux déposants, la banque centrale (BDL) doit de l’argent aux banques, et l’État doit de l’argent à la BDL (et à tout détenteur de bons de Trésor et d’enrobons). Or l’État n’a pas de liquidité immédiate pour honorer ses engagements, ce qui bloque tout le monde. Comment sortir de ce labyrinthe ? Supposons que l’État veuille couvrir graduellement la dette de la BDL auprès des banques, étant donné qu’un État est toujours responsable de sa banque centrale. L’idée serait d’émettre des obligations (titres de dette étatiques), disons pour 10 milliards de dollars, à l’ordre de la BDL. Celle-ci donne ces obligations aux banques en échange d’une partie de leurs dépôts.
Mais ces obligations ne seraient payables que lorsque le PIB aura commencé à croître, disons après une augmentation de 10 milliards de dollars. On sait que les recettes fiscales sont équivalentes en moyenne à 20% du PIB. Donc lorsque le PIB aura augmenté de 10 milliards, les recettes fiscales devraient augmenter de 2 milliards. C’est à ce moment-là que l’État commencera à honorer ses obligations, en consacrant la moitié de cet excès de recettes au paiement de ces obligations. Dans ce cas, ce sera 1 milliard la première année après cet accroissement. Au cours des années suivantes, le paiement sera fonction aussi de l’augmentation du PIB, et par suite des recettes fiscales.
En plus, ces obligations seraient cotées à la bourse, augmentant de ce fait la liquidité de l’économie et facilitant le redémarrage. Les banques qui les détiennent peuvent aussi les vendre ou les offrir à leurs clients qui le souhaitent en échange de leurs dépôts.
La crise de confiance
Mais qui donc serait intéressé pas des obligations d’un État qui a perdu toute crédibilité? C’est vrai que, au début, tout le monde va s’en méfier, et leur vraie valeur sur le marché sera beaucoup moindre que leur valeur nominale. Mais petit à petit ces obligations auront de la valeur, puisque l’État commencera à un moment donné à les honorer (après l’augmentation du PIB). Entretemps, les banques pourront augmenter leurs fonds propres et provisionner graduellement la différence entre la valeur nominale de ces obligations et leur valeur réelle.
Disons cinq ans plus tard, la valeur réelle de ces instruments pourra correspondre à leur valeur nominale. Durant cette période, si le rattrapage du PIB s’effectue comme prévu, l’État aura commencé à s’acquitter de sa dette dignement, et les banques pourront reprendre leur activité et supporter l’économie. Il faut évidemment qu’en parallèle, un contrôle formel des capitaux soit instauré pour cinq ans.
Le plus important est que les déposants pourront ainsi commencer à récupérer et à utiliser une partie de leurs avoirs.
On peut arguer que cette initiative, même si elle réussit, aura un impact limité vu la taille du déficit. C’est vrai, mais nous répétons que c’est l'une des initiatives à mettre en place, d’autres devront être mises en œuvre en même temps. D’ailleurs, aucune initiative positive, quelle qu’elle soit, ne sera suffisante à elle seule pour éliminer la dette.
Il va de soi enfin que l’État devra renoncer à capter la quasi-totalité des économies des déposants et s’astreindre à plus de rigueur.
Mais en contrepartie de ces efforts, le Liban n’aura pas sacrifié les parties les plus faibles de la nation au bénéfice d’un État irresponsable. Il n’aura pas compromis l’avenir pour masquer les errements du passé. Il aura surtout démontré que le respect des engagements n’est pas devenu un vain mot au Liban.
(*) Riad Obégi est le PDG de la banque BEMO
Note de l’éditeur: Voir aussi d’autres suggestions originales pour résorber la crise.
Un premier article publié il y a deux semaines sous le titre ‘Le Liban n’est pas en faillite’ a suscité un certain nombre de réactions, certaines positives, d’autres sceptiques et quelques-unes scandalisées. Il nous est paru nécessaire, en détaillant un point de la solution, de montrer que des alternatives existent à la liquidation du Liban telle qu’elle est abordée allégrement par certains de nos dirigeants, conseillers, experts ou amis.
Le présent document n’a pas la prétention d'être exhaustif. Il est certain qu’une solution complète, éthique, respectueuse, efficace et progressiste de la crise libanaise nécessiterait une étude complète avec des simulations appropriées.
Tout d’abord, soyons clairs
Je n’ai jamais dit, dans l’article en question, qu’il conviendrait que les actionnaires des banques récupèrent leur mise. Ces actionnaires sont ce qu’on appellerait des investisseurs avertis. Perdre un investissement ne détruirait pas irrémédiablement leur envie d’investir. En revanche, les déposants dans les banques ont fait confiance, sans avoir une volonté de prendre des risques, à leurs banques et à l’État libanais. Les priver de leurs avoirs sous prétexte qu’ils auraient eu des intérêts élevés, que l’État n’en aurait pas les moyens, ou que cela encouragerait le FMI à soutenir le Liban, relève à la fois de l’immoralité et du manque de bon sens.
N’oublions pas surtout que le dollar du déposant est identique au dollar du FMI. Il a d’ailleurs une valeur de sueur et de larmes bien supérieure, et ces dollars de déposants sont beaucoup plus abondants que tous ceux du FMI. Le Liban espère recevoir trois milliards de dollars du FMI, il en avait reçu plus de 120 milliards de ces malheureux déposants. Si, par simple intérêt, à part le côté moral, nous voulons un Liban prospère, les déposants doivent être totalement indemnisés.
En ce qui concerne le FMI, nous ne disons pas non plus que nous pouvons nous passer de son intervention. Elle est même essentielle sur un tout autre plan. Les prêts du FMI forceront l’État libanais à agir avec plus de rigueur et de transparence. Le FMI est donc nécessaire pour éviter une récidive ‘gabegique’ de notre État.
Pour les banques, aucune économie développée ou en voie de développement n’a pu se passer d’elles. Tout dirigeant soucieux de l’intérêt de son pays cherche à augmenter l’intégration financière. Qui peut croire que réduire le nombre de banques et promettre à celles qui seront retenues des bénéfices consistants, assurera un niveau optimal de service à la clientèle et généralisera l’usage des services financiers aux couches les plus défavorisées?
Alors, peut-on trouver le moyen pour l’État de rembourser les déposants sans grever ses finances futures, et en maintenant un secteur bancaire sain et socialement utile?
Dans notre article précédent, nous avions indiqué un certain nombre de pistes. L’une d’elle était l’émission d’obligations payables à l’atteinte de certains niveaux de PIB.
De quoi s’agit-il ?
En anglais cela s’appelle des GDP Linked Bonds. Elles ont été recommandées par l’économiste américain, prix Nobel 2013, Robert Shiller. Comment le procédé fonctionnerait-il?
On sait qu’on est dans une situation où les banques doivent de l’argent aux déposants, la banque centrale (BDL) doit de l’argent aux banques, et l’État doit de l’argent à la BDL (et à tout détenteur de bons de Trésor et d’enrobons). Or l’État n’a pas de liquidité immédiate pour honorer ses engagements, ce qui bloque tout le monde. Comment sortir de ce labyrinthe ? Supposons que l’État veuille couvrir graduellement la dette de la BDL auprès des banques, étant donné qu’un État est toujours responsable de sa banque centrale. L’idée serait d’émettre des obligations (titres de dette étatiques), disons pour 10 milliards de dollars, à l’ordre de la BDL. Celle-ci donne ces obligations aux banques en échange d’une partie de leurs dépôts.
Mais ces obligations ne seraient payables que lorsque le PIB aura commencé à croître, disons après une augmentation de 10 milliards de dollars. On sait que les recettes fiscales sont équivalentes en moyenne à 20% du PIB. Donc lorsque le PIB aura augmenté de 10 milliards, les recettes fiscales devraient augmenter de 2 milliards. C’est à ce moment-là que l’État commencera à honorer ses obligations, en consacrant la moitié de cet excès de recettes au paiement de ces obligations. Dans ce cas, ce sera 1 milliard la première année après cet accroissement. Au cours des années suivantes, le paiement sera fonction aussi de l’augmentation du PIB, et par suite des recettes fiscales.
En plus, ces obligations seraient cotées à la bourse, augmentant de ce fait la liquidité de l’économie et facilitant le redémarrage. Les banques qui les détiennent peuvent aussi les vendre ou les offrir à leurs clients qui le souhaitent en échange de leurs dépôts.
La crise de confiance
Mais qui donc serait intéressé pas des obligations d’un État qui a perdu toute crédibilité? C’est vrai que, au début, tout le monde va s’en méfier, et leur vraie valeur sur le marché sera beaucoup moindre que leur valeur nominale. Mais petit à petit ces obligations auront de la valeur, puisque l’État commencera à un moment donné à les honorer (après l’augmentation du PIB). Entretemps, les banques pourront augmenter leurs fonds propres et provisionner graduellement la différence entre la valeur nominale de ces obligations et leur valeur réelle.
Disons cinq ans plus tard, la valeur réelle de ces instruments pourra correspondre à leur valeur nominale. Durant cette période, si le rattrapage du PIB s’effectue comme prévu, l’État aura commencé à s’acquitter de sa dette dignement, et les banques pourront reprendre leur activité et supporter l’économie. Il faut évidemment qu’en parallèle, un contrôle formel des capitaux soit instauré pour cinq ans.
Le plus important est que les déposants pourront ainsi commencer à récupérer et à utiliser une partie de leurs avoirs.
On peut arguer que cette initiative, même si elle réussit, aura un impact limité vu la taille du déficit. C’est vrai, mais nous répétons que c’est l'une des initiatives à mettre en place, d’autres devront être mises en œuvre en même temps. D’ailleurs, aucune initiative positive, quelle qu’elle soit, ne sera suffisante à elle seule pour éliminer la dette.
Il va de soi enfin que l’État devra renoncer à capter la quasi-totalité des économies des déposants et s’astreindre à plus de rigueur.
Mais en contrepartie de ces efforts, le Liban n’aura pas sacrifié les parties les plus faibles de la nation au bénéfice d’un État irresponsable. Il n’aura pas compromis l’avenir pour masquer les errements du passé. Il aura surtout démontré que le respect des engagements n’est pas devenu un vain mot au Liban.
(*) Riad Obégi est le PDG de la banque BEMO
Note de l’éditeur: Voir aussi d’autres suggestions originales pour résorber la crise.
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