La guerre ouverte relaie la guerre des ombres. L’interférence entre les deux guerres se poursuit alors que le soi-disant État libanais est l’unique absent sur la scène. Le cabinet fantoche et le Parlement croupion ne sont que des figurants invisibles et muets qui apparaissent de temps à autre dans les séquences d’un tournage qui dure depuis un an. Ils ne sont, en réalité, que les relais médiocres du pouvoir réel, celui de la politique de domination chiite et de ses tuteurs iraniens. Le pays est en état de guerre depuis le 7 octobre 2023 et le faux-semblant d’État se réfugie dans le mutisme le plus total et ne prend la parole, occasionnellement, que pour entériner le diktat politique du Hezbollah. La phase actuelle de la guerre scelle de manière définitive le commencement d'une nouvelle dynamique étroitement liée aux grands enjeux d'un conflit régional aux ramifications politiques et stratégiques.
Le grand scandale est celui d’un Parlement entièrement vassalisé et mis au pas par un autocrate qui règne depuis plus de trente-deux ans, où les élus ne sont que les comparses d’une configuration oligarchique obtempérante. Le Hezbollah décide de la guerre, mène la guerre et engage le pays dans une dynamique conflictuelle sans consultation, et aucun des députés ne trouve à redire. Les présumés élus ne se prononcent même pas sur les évolutions du conflit en cours et renoncent délibérément à leur devoir constitutionnel. Ils se dessaisissent de plein gré de leurs mandats constitutionnels et se cantonnent dans leur rôle de faussaires, d’usurpateurs, de faux témoins et d’agents comme si de rien n’était.
Le cabinet de transition n’est en fait qu’un des instruments dont se servent les fascismes chiites en vue d’assortir leur arbitraire politique d’un vernis de légalité, alors que la réalité nous renvoie à la politique de subversion iranienne et ses mandatés locaux et régionaux, aux guerres par procuration, à la criminalité organisée, au blocage des réformes financières et de politiques publiques urgemment requises après cinq ans de marasme et au terrorisme qui récapitule son bilan politique. L’armée libanaise, de son côté, souffre de dislocations structurelles qui ont entamé sa cohésion institutionnelle et l’ont réduite à un état de prostration qui favorise l’entreprise putschiste du Hezbollah.
Les bipeurs piégés ne sont que les révélateurs occasionnels d’un pays otage et entièrement piégé par une formation politique terroriste qui dessert une politique de domination chiite pilotée par l’Iran au niveau régional. L’état de désorientation du Hezbollah à la suite des coups successifs portés à ses capacités opérationnelles est, en somme, un boutoir à la politique de subversion iranienne et à sa place angulaire dans ce schéma. Cette attaque et tous ses antécédents sont loin d’être des transgressions à la souveraineté libanaise, qui de toute manière n’existe pas. Cette guerre des ombres oppose l’État d’Israël à une organisation terroriste et qui ne représente en aucun cas le consensus entre Libanais. L’éradication est en cours et plus rien ne l’arrêtera.
L'entrée en pleine guerre s'est effectuée de manière graduelle tout au long d'une année sous le prétexte fallacieux de l'appui à Gaza. Les faux calculs stratégiques du fameux "cercle du feu" noué autour d'Israël ont fini par induire des effets pervers et détruire de manière symétrique les deux plateformes opérationnelles (Liban et Gaza), par enrayer leurs supplétifs irakien et yéménite et par lancer la dynamique d'un affrontement direct entre l'Iran et Israël. L'élimination progressive des intermédiaires nous met en face de la dernière étape, celle de la phase éliminatoire. L'Iran s'est trompé de calcul en sous-estimant les capacités militaires d'Israël, en renforçant ses scotomes idéologiques et en usant de ses colonies comme autant d'expédients dont il se servait en vue de promouvoir sa politique expansionniste sur le plan régional. Les États de la région ont été dévalorisés, dépouillés de leur stature et instrumentalisés au bénéfice d'une politique impériale qui était peu regardante du côté de leur souveraineté et de la stabilité régionale.
La contre-offensive israélienne était à même de détruire en un temps record les piliers de cette politique impériale et de remettre en cause ses acquis géopolitiques. La politique de conquête poursuivie patiemment depuis 2005 prend fin avec la destruction du Hezbollah, de ses théâtres opérationnels et de sa capacité de projection régionale. Nous sommes devant une nouvelle donne stratégique et ses incidences sur les équilibres géostratégiques et la stabilité régionale. Cette politique de déstabilisation et de destruction instrumentée en amont et en aval nous renvoie non seulement aux réussites de la politique de conquête iranienne, mais également à ses échecs cumulés et à son entrée dans une phase d'autodestruction évolutive.
La destruction tragique du Liban à la suite de celles de Gaza, de l'Iran et du Yémen dévoile la facticité stratégique de cette politique, son immoralité foncière, au moment même où le régime des mollahs se désolidarise d'avec ses pions, discrédite la stratégie des "champs de bataille unifiés" afin de se replier sur une stratégie de survie. Le régime a non seulement perdu sa légitimité, mais sa capacité à pouvoir se défendre alors qu'il hérite d'un bilan lourd de quarante ans de politiques de répression institutionnalisée, de terreur d'État et de pillage des ressources publiques par l'oligarchie cléricale et militaire en place depuis 1979.
Le Liban est devant des choix implacables qui mettent fin au déni de réalité et aux faux-fuyants qui caractérisent la conduite des politiques officielles dans un pays soumis à des contraintes dérogatoires au principe de souveraineté nationale par le biais d’une triple détraction: la neutralisation, la limitation et l’usage discrétionnaire de ce principe. Somme toute, ce principe n’est qu’un expédient linguistique dont on se sert de manière arbitraire en vue de faire aboutir les objectifs de la politique de domination. Le Liban n’est pas en mesure de gérer des contradictions aussi destructrices et de sceller un statut de dominé-dominant.
La stratégie israélienne de guerre préventive fait appel à deux solutions de rechange: soit la poursuite d’une guerre ouverte peu souhaitable, soit le recours à une diplomatie de fin de conflits. Or, dans les deux cas de figure, on bute sur des rejets de nature idéologique et des intérêts stratégiques de nature belligène du côté iranien, et d’une circonspection foncière du côté israélien qui est de nature à renforcer les irrédentismes idéologiques. Les médiations internationales ont jusque-là fourni des résolutions internationales qui offrent des garanties solides aux deux États (1949, 1701, 1559, 1680), une force internationale d’interposition consistante, et des cadres d’échange et de médiation continus.
Le refus de la démilitarisation et de la neutralisation des espaces frontaliers par le Hezbollah correspond à une déclaration de guerre et voici que nous sommes en pleine guerre. L'état actuel du conflit invalide les accords internationaux atteints de péremption effective et relance la dynamique guerrière sur une trajectoire ascensionnelle qui peut déboucher sur une guerre totale ou conduire à l'implosion de la République islamique d'Iran.
La position de Hassan Nasrallah au lendemain des attaques relève du déni des réalités, de l’arrogance et de la poursuite des politiques désastreuses qui ont mené aux débâcles militaires et humanitaires tant à Gaza qu’au Liban. C’est d’autant plus grave qu’il a rejeté d’un revers de main les résolutions et les médiations internationales en vigueur. Autrement, ce qui est offusquant, c’est la disqualification diplomatique de l’État libanais au bénéfice d’une entité terroriste qui tente de s’imposer comme partenaire incontournable dans les pourparlers en cours. L’absence de l’État libanais comme acteur dans les médias est un indicateur suffisamment parlant pour mettre en relief sa déliquescence accentuée.
Ce mélange d’irréalisme et de nihilisme qui dépeint la politique du Hezbollah est de mauvais augure. Avec la destruction du Hezbollah, l’assassinat de ses cadres politiques et militaires illustrés par la mort de Hassan Nasrallah, de son dauphin Hachem Safieddine et de son directoire, s’achève une équipée aventureuse de quarante ans de politiques de terreur, de criminalité organisée et de déstabilisation politique régionale. C'est la fin d'un mythe, d'un mouvement terroriste et d'une mouvance putschiste transfrontalière qui remet en question des équilibres géopolitiques et la survie du Liban dans ses frontières actuelles et ses mythes politiques fondateurs.
Cette conclusion sombre et désillusionnée pose, une nouvelle fois, la question de l’avenir du Liban, de sa stature étatique, de sa légitimité nationale et de sa viabilité, alors que les enchaînements de conflits domestiques et régionaux ne font que détruire, de manière irréversible, ce qui reste du pays et de l’État. Le fait libanais ne peut plus s’accommoder d’une existence intercalaire, d’une fiction étatique galvaudée et de tous les maux qui en découlent.
Le Liban est soit voué à la décomposition programmée par le Hezbollah, à l’effondrement brutal, ou à la recomposition sur la base d’une nouvelle configuration géopolitique et d’une normativité de démocratie libérale qui ne peut, sous aucun cas, s’accommoder d’une république fictive, mafieuse et intérimaire. Les Libanais sont sommés de trancher entre des choix stratégiques, de légitimité nationale et de normativité politique ou la mort à terme. À la suite de la destruction du Hezbollah, la question se pose de manière lancinante alors que la guerre fait rage et ravage la totalité du territoire national.
Commentaires