Très peu d’observateurs et d’experts s’en souviennent sans doute: au faîte du conflit du Proche Orient, il avait été convenu au sein de la Ligue arabe que le Liban serait un pays de soutien, par opposition aux pays de la confrontation qu’étaient – ou, plutôt, qu’étaient censés être – l’Égypte, la Jordanie et la Syrie, limitrophes d’Israël. Sauf que, comme le soulignait fort à propos un dirigeant israélien, les mots dans cette partie du monde n’ont pas le même poids, la même valeur, qu’en Occident. De fait, dans la pratique, depuis la dernière guerre israélo-arabe de 1973, le Liban est devenu sans discontinuer le seul pays de confrontation face à Israël, tandis que les trois pays dits de confrontation concluaient la paix avec l’État hébreu soit de facto (dans le cas de la Syrie), soit officiellement (en mars 1979 pour l’Égypte et en octobre 1994 pour la Jordanie).
À l’ombre de cette cynique supercherie propre à notre région, le Liban n’a cessé, au fil des ans, d’être pris en otage, successivement, par les organisations palestiniennes armées de l’OLP, de la fin des années 1960 jusqu’à leur retrait – forcé – en 1982, puis jusqu’en 2005 par le régime Assad, sous prétexte de consolider le prétendu “ventre mou” de la Syrie, et enfin par les pasdarans iraniens, de 2005 jusqu’à aujourd’hui.
Une amère constatation s’impose à cet égard: ces aventures guerrières consécutives, cachant mal des ambitions hégémoniques et accompagnées de discours belliqueux sans lendemain, de même que toute l’histoire du conflit proche-oriental, depuis la création d’Israël en 1948, se sont avérées totalement stériles, sans réels horizons politico-militaires s’inscrivant dans le contexte de la cause palestinienne ou de la libération des territoires arabes occupés. Depuis le plan de partage de la Palestine, en 1947, les pays arabes n’ont cessé d’aller de défaite en défaite, accumulant manquements, collusion et occasions ratées (souvent volontairement…). Il suffit de consulter les cartes géographiques du découpage des territoires israéliens et palestiniens de 1947 à nos jours pour constater à quel point la partie arabe a, lentement, mais sûrement, perdu davantage de terrain à chaque gesticulation guerrière.
Cela fait plus d’un demi-siècle que les Libanais sont sacrifiés sur l’autel des ambitions hégémoniques et des expansionnismes palestinien, syrien et, présentement, iranien (sans compter l’épisode des appétits panarabes du président égyptien Gamal Abdel Nasser à la fin des années 50 et au début des années 60). Comment passer sous silence sur ce plan les derniers en date des propos à caractère “anschlussien”, ceux du chef de la diplomatie iranienne, Abbas Araghchi, qui a affirmé effrontément lors de son récent passage à Beyrouth que le cas du Liban ne devait pas être dissocié du dossier de Gaza. Et tant pis pour le peuple libanais!
Le président du Parlement iranien, Mohammad Ghalibaf, a fait mieux en la matière… Et doublement: dans une interview à notre confrère Le Figaro, il a indiqué que son pays est disposé à entamer des discussions sur l’application de la résolution 1701 avec… la France! Et, durant le week-end écoulé, il est monté de plusieurs crans dans l’effronterie en déclarant que “Ali Khamenei, les responsables et le peuple iraniens représentent des piliers essentiels pour le peuple libanais”. Une façon très peu diplomatique de dire, en extrapolant: “Mourez, vous, en luttant contre Israël, et nous, nous vous soutenons à partir de Téhéran”.
Plus d’un demi-siècle que les Libanais payent gros le prix des velléités hégémoniques des uns et des autres. Ils sont pleinement en droit de réclamer désormais la fin de cette vaste supercherie dont ils sont les seuls, avec les Palestiniens, à faire les frais. À d’autres, aujourd’hui, de prendre la relève s’ils sont réellement convaincus de la justesse de la “cause”. Dans une interview à la MTV, le candidat républicain à la présidence américaine, Donald Trump, s’est engagé à rétablir, s’il est élu le 5 novembre, la paix et la prospérité au Moyen-Orient, promettant plus particulièrement au peuple libanais de pouvoir bientôt bénéficier, enfin, d’un bien-être bien mérité qui s’est fait un peu trop attendre. Reste à espérer que, le cas échéant, cet engagement ferme pris par Donald Trump dépassera le stade des simples promesses électorales.
Nabil:
D’importants rappels dans votre analyse pour mettre les pendules à l’heure, mais un peu d’autocritique fera beaucoup de bien. Les ingérences extérieures, ça d’accord, mais sans le consentement des Libanais, ou d’une partie d’entre eux, ou du "Liban officiel" à défaut d’État au sens plein du terme ? Pour rappel, les Accords du Caire en 1969, et plus proche de nous le désarmement de toutes les milices fin des années 90, sauf une. Pour rappel également, ce sont les Libanais qui se sont entretués, au nom de l’une ou de l’autre raison, pour en fin de compte changer la face du Liban.
Nabil:
Si l’on remonte aux origines du conflit, exploiter les failles du "système libanais" sans assez de résistance est le comble de l’impuissance.