Il aura fallu plus de trois semaines de tractations, de discussions et de débats entre Washington et Tel-Aviv pour finalement mettre à exécution, dans la nuit de vendredi à samedi, la riposte israélienne à l’attaque aux missiles lancée le 1er octobre dernier par la République islamique iranienne contre Israël. Trois semaines au cours desquelles l’Administration Biden a paru confirmer la perception selon laquelle elle cherche à ménager et à préserver le régime des mollahs – ou tout au moins son aile dite “modérée” –, comme l’avait fait d’ailleurs auparavant l’équipe Obama, notamment aux alentours de l’année 2015, date de la conclusion de l’accord sur le nucléaire.
Que cette perception corresponde ou non à la réalité ne change rien à l’affaire, dans l’immédiat. Washington semble avoir fini par convaincre le cabinet Netanyahou de “doser”, au stade actuel, sa riposte, de manière à ne pas déstabiliser outre mesure le pouvoir en place à Téhéran. Il reste qu’il ressort de cette frappe une série de faits cruciaux qui parlent d’eux-mêmes et dont la portée stratégique n’échappe à personne. L’aviation de l’État hébreu a d’abord fait une nouvelle fois la démonstration qu’elle est totalement maîtresse du ciel non seulement dans l’espace aérien libanais et syrien, mais dans l’ensemble du Moyen-Orient, jusqu’à atteindre sans encombre le Yémen et l’Iran.
Une telle maitrise absolue du ciel a été reflétée plus particulièrement par la flagrante inefficacité de la défense anti-aérienne de l’Iran. Plusieurs dizaines d’avions militaires (une centaine, selon les sources israéliennes) ont parcouru 2.000 kilomètres et ont évolué au-dessus de Téhéran et de plusieurs régions de la République islamique pendant près de cinq heures sans être sérieusement inquiétés. Il en a résulté trois vagues successives de raids qui ont détruit des radars, des batteries de défense encore en place (bien qu’inefficientes) et, surtout, une fabrique de mélangeurs de carburant lourd. Les sérieux dégâts causés à cette dernière cible compromettront pendant plusieurs mois (entre un et deux ans) la construction de missiles balistiques, lesquels représentent (avec les drones) l’une des principales armes offensives iraniennes que Téhéran avait refusé d’inclure dans l’accord sur le nucléaire de juillet 2015, malgré l’insistance du chef de la diplomatie française de l’époque, Laurent Fabius.
L’attaque aérienne massive de la nuit de vendredi n’était donc pas de pure forme et, à en croire les sources israéliennes, elle rendra encore plus facile, le cas échéant, d’éventuelles frappes futures, notamment au niveau de la maîtrise du ciel. Pour autant, ces raids n’ont pas entamé la capacité de nuisance du pouvoir des mollahs, plus spécifiquement son aile dure. Ce paramètre est pourtant crucial pour la région, particulièrement pour le Liban. Les événements de ces dernières années, notamment depuis le 7 octobre 2023, ont apporté, en effet, une nouvelle preuve, s’il en était encore besoin, que les solutions médianes boiteuses, les demi-mesures, ne font qu’occulter et reporter les problèmes de fond, de guerre en guerre, en replongeant le Liban et la région, toutes les quelques années, dans des conflits armés à répétition, sans aucun horizon politique notable.
À quelques jours de l’élection présidentielle américaine, et sans doute pour donner un coup de pouce à la candidate démocrate Kamala Harris, l’Administration Biden s’est lancée ces derniers jours dans une véritable course contre la montre pour arracher un accord sur les otages à Gaza et/ou une trêve au Liban. Mais l’expérience malheureuse de 2006, qui s’est traduite par la non-application par le Hezbollah, à l’évidente instigation des pasdarans iraniens, de la résolution 1701 du Conseil de Sécurité (sans compter les résolutions 1559 et 1680), met en relief le caractère impératif d’une sortie de crise fondée, sans tergiversation, sur la fin du règne de la milice du Hezbollah et des autres proxies iraniens, une telle approche devant passer nécessairement par Téhéran pour régler le problème à sa source.
Dans le sillage de la chute de l’Union soviétique, certains analystes se plaisaient à souligner que le monde était devenu un “grand village”. Le corollaire évident est que le maintien d’une situation de guerre permanente et d’instabilité chronique au Liban et au Moyen-Orient ne peut que provoquer de dangereuses ondes de choc de différentes natures aussi bien dans le Vieux Continent qu’aux États-Unis ou dans d’autres parties névralgiques du monde.
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