Dans le cadre des destructions massives occasionnées par les frappes israéliennes au Liban, les décombres s’accumulent. La question de savoir que faire de tous ces gravats dans la phase d’après-guerre se pose naturellement. Ici Beyrouth s’est entretenu à cet égard avec Khalil Abboud, chef d’entreprise de construction.
De nombreux villages du Liban-Sud et des quartiers entiers de la banlieue sud beyrouthine ou de localités de la Békaa ont été littéralement rasés depuis le début de l’offensive israélienne de septembre contre le Hezbollah.
Les raids aériens intensifs, menés sans relâche depuis, ont laissé d’énormes amas de décombres dont on n’a pas encore d’estimation chiffrée, surtout que les frappes israéliennes sont loin de connaître un répit.
Le ministre sortant des Travaux publics, Ali Hamiyé, a pris les devants, annonçant, mercredi, qu’il s’était entretenu avec le Premier ministre sortant, Najib Mikati, au sujet de la gestion des décombres et de la reconstruction. Dans une publication sur la plateforme X, il a précisé avoir discuté avec M. Mikati du "cadre juridique et opérationnel" de cette manœuvre d’après-guerre, laquelle représente un passage obligé avant tout projet de reconstruction.
Au pays du Cèdre, la gestion de déchets massifs de construction en phase de post-conflit n’est pas une première. On n’a qu’à rappeler les projets de remblaiement maritime qui ont donné naissance, après la guerre de 1975, au front de mer bétonné dans le secteur de Solidere, dans le cadre de la reconstruction du centre-ville. Une nouvelle surface terrestre constituée de remblais puisés, entre autres, dans les restes des immeubles éventrés ou démolis durant le conflit armé.
Mais le remblaiement de la mer n’est pas la seule option qui se présente pour se débarrasser des ruines que laisse la machine de guerre israélienne sur son passage. Elle est même la plus mauvaise, en raison d’une série d’impacts négatifs écologiques, sociaux et touristiques.
Car, d’autres possibilités, plus intelligentes et pratiques, sont offertes, s’articulant toutes autour d’une réutilisation de ces énormes quantités de décombres qui s’amoncellent de jour en jour alors que la guerre continue de faire des ravages. Autant de possibilités autour desquelles se crée une véritable économie génératrice de revenus et d’opportunités de travail, alors que le Liban s’enfonce dans une crise économique accentuée par une guerre qui lui a été imposée. L’important reste de mettre en place un plan sérieux et efficace de gestion des décombres, autre que le “on jette le tout dans la mer”. Grâce à ce plan, il serait possible de réutiliser ces déchets afin de reconstruire ce qui a été détruit par l’armée israélienne.
Triage, broyage, recyclage
Khalil Abboud, chef d’entreprise de construction, détaille pour Ici Beyrouth, les différentes étapes d’une gestion des ruines. Face à un amas de décombres, la première étape à entreprendre reste le triage, explique-t-il. "Il faut séparer en premier les différents composants à savoir le béton, l’acier et le verre", indique-t-il.
À ce stade, certains déchets comme "le plastique, le caoutchouc ou d’autres objets cassés devront être mis de côté, ajoute-t-il. Le cas échéant, on peut aussi séparer le plastique, mais en général cette entreprise est plus difficile".
"Pour cette manœuvre, il est important d’avoir recours à des marteaux-piqueurs ou des engins qui permettent de briser les grands blocs de béton, en plus de la main-d’œuvre essentielle pour le triage manuel", poursuit M. Abboud.
Le béton propre ainsi obtenu peut alors être broyé par des concasseurs, puis servir comme remblai, qui est un matériau très utilisé en construction. "Dans les pays développés, ce béton peut être traité de manière plus fine afin d’être utilisé comme tout-venant avant la pose de l’asphalte", précise M. Abboud.
Le béton provenant de la démolition peut être utilisé aussi pour “installer des fondations, niveler des terrains ou préparer des sites pour de nouvelles constructions. Il peut également “être incorporé dans la fabrication de nouveaux matériaux de construction”, alors que les larges blocs peuvent être utilisés dans des projets d’aménagement paysagers, comme des murs de soutènement ou des allées.
Toujours selon M. Abboud, “il est possible de produire un béton plus durable et respectueux de l’environnement, en intégrant des matériaux recyclés dans cette matière”.
Quant au verre, il peut être réutilisé pour de multiples usages. On rappelle, à cet effet, l’initiative de Ziad Abichaker, fondateur et CEO de la société Cedar Environmental, spécialisée dans le recyclage des déchets, qui avait utilisé les débris de verre provenant de l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, pour en faire des cruches, des bouteilles, des verres et autres objets…..
En revanche, le matériau le plus intéressant reste l’acier, étant donné sa valeur sur le marché.
"Les sociétés achètent ces débris d’acier à la tonne, à près de la moitié du prix ordinaire, explique M. Abboud. Les usines spécialisées dans le traitement des métaux recyclent l’acier et le revendent pour de nouveaux usages."
Du point de vue environnemental, "l’avantage de ce métal recyclé est qu’il a un faible impact en termes d’empreinte carbone, contrairement aux métaux extraits des mines", indique M. Abboud.
Si ce business lucratif de gestion des décombres fleurit en période de post-conflit, il n’en reste pas moins qu’il est actif depuis toujours dans le domaine de la construction, au niveau local, avance M. Abboud.
"Les chutes d’acier de construction non utilisées dans un chantier sont collectées puis vendues à une société de recyclage des métaux", poursuit le chef d’entreprise pour qui il s’agit d’une démarche habituelle.
L’exemple de la Syrie voisine
Un projet de gestion des décombres a été mis en place en Syrie, ravagée par la guerre, dans une perspective de recyclage et de reconstruction.
Selon l’Institut des matériaux, des minéraux et de l'exploitation minière (IOM3), une équipe de chercheurs de l'université de Sheffield, au Royaume-Uni, a avancé que l’utilisation du béton recyclé issu des décombres de bâtiments détruits en Syrie contribuerait à la reconstruction d'infrastructures. Ce matériau pourrait remplacer jusqu'à 50% des matières premières nécessaires à la fabrication d'un nouveau béton.
Travaillant en collaboration avec l'Université technique du Moyen-Orient (Turquie) et des universitaires syriens en exil, l’équipe a réussi à trier manuellement des gravats collectés sur dix sites de la ville d'Al-Bab, dans le nord de la Syrie, selon un rapport de l’Institut, publié en mai 2023. Puis le béton a été concassé sur place à l'aide d'un concasseur à mâchoires mobile pour obtenir des agrégats de béton recyclé d'une taille d'environ 5 mm à 25 mm. Ces granulats ont été mélangés avec du ciment et du sable, remplaçant ainsi les granulats grossiers dans les mélanges de béton frais.
Quelles perspectives pour le Liban?
D’après M. Abboud, la logistique libanaise est suffisante pour la gestion des décombres. Évoquant la guerre de 2006 entre le Hezbollah et Israël, il affirme qu’"une entreprise locale avait pris en charge le déblaiement de tout le secteur de la banlieue sud de Beyrouth".
Par la même occasion, le business local s’en est trouvé dynamisé, "la moitié des camions du Liban ayant assuré alors le transport des remblais pour la seule banlieue sud", selon M. Abboud.
Du reste, "c’est le Conseil pour le développement et la reconstruction (CDR) qui est habilité à lancer un appel d’offres puis à sélectionner l’entreprise qui serait chargée de tel ou tel projet", conclut-il.
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