
Les tourmentes du Liban ne semblent pas arriver à leur terme. Les dynamiques conflictuelles se nourrissent de conflits régionaux qui avancent de désemparement en désemparement. Nous faisons face à des surdéterminations conflictuelles qui rendent impossible toute démarche qui vise à normaliser le règlement de conflits aux nouages multiples. Les principes de réciprocité morale, d’État de droit et de souveraineté territoriale sont battus en brèche, alternativement, au profit des rapports de force en état de métamorphose continue.
La scène politique libanaise n’est plus désormais tenue par les règles de civilité qui devraient régenter les relations au sein d’une communauté nationale hypothétique. Les coups de boutoir qui se sont succédé depuis 1958 ont scandé les diverses étapes d’une érosion qui a fini par abattre les fondements du projet national libanais et de la possibilité même d’État.
Les mouvements nationalistes arabes relayés par l’alliance putschiste de l’OLP et de la gauche, la politique de satellisation du régime syrien révolu, succédés par la politique de domination chiite pilotée par le régime islamique en Iran, ont remis en question de manière successive la légitimité nationale, la concorde civile, la pertinence de la vie institutionnelle ainsi que la possibilité de mettre en œuvre une dynamique politique endogène, consensuelle et résolument tournée vers un avenir commun.
Les politiques de réconciliation nationale et de réforme ont fait long feu et ont été supplantées par des conciliabules oligarchiques qui ont mis à profit les conflits en cours en vue d’instituer des verrouillages doublés par des politiques alternées de suzeraineté et des supercheries idéologiques pour étayage. Tous les alibis idéologiques étaient convoqués tant qu’ils pouvaient servir les politiques de subversion. Le choix de prédilection de la mystification palestinienne à des fins idéologiques et stratégiques allait dans tous les sens.
Les politiques de subversion se sont alternées tout au long des 66 dernières années, ponctuées par deux éclaircies (2005, 2019) qui ont été éclipsées par le retour en force de la politique de subversion chiite et de ses supplétifs internes et externes. Le caractère ouvertement subversif de cette politique, qui n’a pas lésiné sur les moyens, s’est articulé au croisement d’un axe double, celui de la politique de puissance iranienne et des alliances conclues au sein du sérail politique libanais.
Cette dynamique s’est estompée lorsqu’Israël a enrayé les plateformes opérationnelles de la politique de puissance iranienne. La destruction des leviers du Hezbollah a engendré une politique de contournement qui consiste à récupérer par la politique ce qui a été perdu par le militaire, alors que l’Iran à son tour tente de déjouer la fatalité de sa déroute militaire en instrumentalisant de nouveau ses mandataires avec des fortunes décalées. Les accords imposés en Irak et la visite non sollicitée au Liban d’Ali Larijani tentent de restaurer le statu quo ante et de faire fi des défaites consécutives des mandataires.
Le caractère offensif de la nouvelle politique régionale de l’Iran finira par induire les effets pervers d’une politique volontariste aux assises défaillantes. L’exploitation des fractures politiques tant en Irak qu’au Liban afin de rétablir une suzeraineté défaillante fera long feu et la nouvelle dynamique géostratégique instituée par Israël s’imposera derechef comme le nouveau régulateur des rapports de force dans une région éclatée.
La réhabilitation des scénarios du chaos va relancer les dynamiques guerrières afin de mettre fin aux conflits ouverts et aux politiques d’instrumentalisation dont ils font objet. Les remaniements géopolitiques vont s’effectuer à l’aune des mutations régionales et de leurs inscriptions géostratégiques. L’état de désemparement du régime iranien est de bon augure car il dénote un état de désarroi qui rend compte des gesticulations creuses d’un régime qui a perdu ses ancrages aussi bien géopolitiques qu’idéologiques, entérinés désormais par sa perte de légitimité en Iran.
Le Liban se débat entre des pétitions de principe, des énoncés idéologiques qui ne renvoient à rien et une paix civile controversée. Les équivoques du nouvel exécutif et les compromis passés avec les protagonistes de la politique de domination chiite sont boiteux et contreproductifs, dans la mesure où ils tentent d’escamoter les conflits et d’ignorer la nécessité de renouveler les termes du contrat social dans un pays où les pactes informels et le débat public ont toujours secondé le travail des institutions démocratiques.
L’échange politique au Liban bute sur des apories aussi bien constitutionnelles que politiques. La politique chiite de domination instrumentalise les institutions au profit d’une politique ouverte de subversion qui ne s’embarrasse pas de paralogismes de tous ordres pour justifier la politique de mainmise. Ceci est d’autant plus grave qu’elle évolue en symétrie avec une politique délibérée de criminalité organisée qui a fragilisé les pactes moraux et civiques dans une société où l’ensauvagement a fini par envahir toutes les sphères de la vie politique, économique et sociale.
Il est invraisemblable d’envisager des scénarios de sortie en l’absence d’impératifs de réciprocité morale, de démocratie consensuelle et de souveraineté rétablie. Or, le fait de se positionner à partir d’une extraterritorialité aussi bien politique que militaire, de refuser le principe constitutionnel du monopole de la violence par l’État libanais, et de poser des axes de politique extérieure rend caduc tout dialogue et remet en cause l’hypothétique communauté nationale et ses prédicats.
Le nouvel exécutif arrivera-t-il à réhabiliter ses prérogatives souverainistes en dehors de toute compromission et de concessions idéologiques ou politiques? Rien n’est moins sûr. Les impasses du dialogue intérieur, le retour de l’interventionnisme iranien et les verrouillages identitaires d’une communauté chiite qui n’arrive pas à questionner rétrospectivement des choix idéologiques et stratégiques qui ont conduit au désastre tant sur le plan chiite que libanais, nous laissent perplexes devant un contexte qui fait appel à des réponses concrètes et sans atermoiement.
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