L’accord tant attendu entre le Liban et Israël sera-t-il conclu? À en croire certaines sources et bon nombre de médias américains et israéliens, les deux parties se seraient enfin entendues sur les termes d’un accord de cessez-le-feu. D’autres, au contraire, écartent complètement cette éventualité. La réalité est telle qu’entre les efforts diplomatiques pour parvenir à un cessez-le-feu au Liban et l’escalade militaire sur le terrain, la course contre-la-montre est désormais enclenchée. Israël et le Hezbollah parviendront-ils à mettre fin, avant la fin de la semaine, aux affrontements qui se font de plus en plus intenses? Un accord serait-il imminent, comme l’évoquent certaines parties prenantes? Quels en seraient les termes et les mécanismes d’application? À quels défis son application serait-elle confrontée?
Lundi, à l’heure où l’on s’y attendait le moins et après des semaines d’affrontements violents entre le Hezbollah et Israël, une percée diplomatique semble avoir eu lieu. Si aucune confirmation officielle n’a été relevée, des responsables américains et israéliens ont confié au média Axios que le cabinet de sécurité de l’État hébreu devrait approuver l'accord mardi. Par ailleurs, et selon des sources diplomatiques, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, aurait immédiatement imposé trois conditions sine qua non pour son entrée en vigueur. De son côté, la Maison-Blanche assure n’être pas encore parvenue à un accord final de cessez-le-feu au Liban.
Les pourparlers tourneraient-ils dans le vide?
Actuellement, le Hezbollah et Israël semblent pris dans une dynamique où chaque attaque appelle une riposte et chaque avancée militaire, une escalade. La logique du conflit est alimentée par des calculs politiques internes et des préoccupations stratégiques. Israël cherche ainsi à empêcher une nouvelle base d'attaque du Hezbollah, tandis que ce dernier, et plus largement l’Iran, veut maintenir son influence et sa légitimité au Liban et dans le monde arabe tout en défiant israélien.
D’après Fadi Assaf, cofondateur de Middle East Strategic Perspectives, spécialisé dans les affaires internationales, “si les progrès diplomatiques dont on parle sont réels par moments et sur certains points, ils sont aussitôt neutralisés par les effets des évolutions sur le terrain militaire”. Il considère que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou “pense pouvoir imposer finalement, une fois ses objectifs militaires atteints, des arrangements que le Hezbollah refuse encore aujourd’hui”.
Quant au Liban officiel, “ou ce qu’il en reste, il est condamné à attraper la boule de feu que le Hezbollah finira par lui lancer si le parti pro-iranien sort de son déni pour reconnaître l’impasse dans laquelle il s’est retrouvé et avec lui le Liban et les Libanais”, précise-t-il. Et d’ajouter que, pour le moment, “Netanyahou maintient la pression et ne montre aucune volonté de compromis. Cela restera le cas jusqu’à ce que l’appareil militaire du Hezbollah soit complètement anéanti (on parle de 4 semaines supplémentaires) et que les autorités officielles libanaises se disent prêtes, avec l’armée, à assumer pleinement leurs responsabilités”. Cela nécessiterait, selon lui, encore quelques semaines et nous rapprocherait de la date d’installation de la nouvelle administration Trump.
Citant une source qui travaille en étroite collaboration sur le dossier, Jean Sébastien Guillaume, expert et consultant en intelligence économique et stratégique et fondateur du cabinet Celtic Intelligence, déclare que “chaque camp veut un cessez-le-feu au Liban et qu'il n’y a pas de désir d'attendre l’investiture de Donald Trump en janvier”. Selon cette source, “M. Netanyahou craint que l’administration Biden impose des sanctions à Israël, un embargo sur les armes ou même cherche une vengeance à son égard avant son départ de la Maison-Blanche”.
Entre temps, la responsabilité incombe à l’émissaire américain, Amos Hochstein. Ce dernier “sait pertinemment que les évolutions en cours sur le terrain militaire et sur le plan politique (à Washington notamment) rendent très instable le cours des négociations et réduisent les chances de trouver un point d’équilibre pour finaliser un éventuel accord”, explique M. Assaf.
D’après lui, M. Hochstein “est pris en tenaille entre le déséquilibre qui ne cesse de s’aggraver sur le terrain au profit d’Israël et le calendrier politique américain qui lui met la pression. Le seul qui semble être pressé de conclure, c’est bien lui. On comprendrait donc parfaitement qu’il cherche à mettre la pression au Premier ministre israélien et à ses interlocuteurs libanais, en mettant éventuellement sa démission dans la balance”.
À l’heure actuelle, et selon M. Guillaume, “l'un des principaux points de l'ordre du jour sera de répondre aux préoccupations israéliennes concernant la liberté d'action et d'assurer une coopération immédiate sur la question, en insistant sur le maintien de l'option de légitime défense”. D’où les dispositions de ce fameux accord sur lequel s’attarderaient encore et toujours les parties au conflit.
Quels sont les termes de l’accord?
Pour reprendre les principaux points soulevés par Axios, le plan en question prévoirait une période de transition de 60 jours pendant laquelle l'armée israélienne se retirerait du Liban-Sud. Entre temps, les forces armées libanaises, soutenues par la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), se déploieraient dans les zones proches de la frontière et le Hezbollah se replierait au nord du fleuve Litani. Toujours selon Axios, l’accord stipulerait la création d’un comité de surveillance dirigé par les États-Unis et chargé de veiller à la mise en œuvre des dispositions du texte et de remédier aux éventuelles violations. C’est dans ce contexte que les Américains auraient accepté d’accorder leur soutien à toute action militaire israélienne contre les menaces imminentes en provenance du territoire libanais (rétablissement de la présence militaire du Hezbollah à la frontière, contrebande d’armes, etc.). En vertu de cet accord, Israël devrait s’engager à consulter les États-Unis avant de mener des actes de représailles après s’être assuré de l’échec de l’armée libanaise à gérer la menace. Mais quid des conditions requises par Israël et contestées par la partie libanaise, à savoir la liberté de mouvement au Liban-Sud et la composition du comité de supervision?
Liberté de mouvement au Liban-Sud
Pour que les négociations puissent aboutir du point de vue israélien, l’État hébreu exige le respect des conditions de sécurité qu’il impose, notamment la possibilité d'agir militairement si le Hezbollah viole l'accord. Aujourd’hui, les États-Unis ont joué un rôle clé en offrant à Israël des garanties pour riposter le cas échéant.
Il est clair que “sur le plan diplomatique, des progrès notables ont été réalisés”, affirme Jean-Sébastien Guillaume. Si “Israël a accepté en principe la proposition américaine de cessez-le-feu, qui prévoit une trêve de 60 jours, il insiste toutefois sur le maintien de sa liberté d'action militaire en cas de violation de l'accord par le Hezbollah, exigeant des garanties américaines à cet égard. Le Liban, de son côté, exprime des réserves, craignant que ces conditions n'empiètent sur sa souveraineté”.
Comité de supervision
Un autre aspect crucial des négociations porte sur la création d’un comité de supervision chargé de s’assurer de la bonne mise en œuvre de l’accord et de surveiller toute violation. Ce comité devrait inclure des membres de la communauté internationale, dont la France, un acteur important dans les affaires libanaises et un partenaire traditionnel de la médiation au Moyen-Orient. Selon des informations récentes, Israël aurait accepté que la France fasse partie de ce comité de supervision.
Il convient de rappeler que la question du comité a constitué, durant les dernières semaines, une source de désaccord entre les parties. “Le Liban propose une composition incluant Israël, le Liban, les États-Unis, la France et la Finul. De son côté, Israël souhaite élargir ce comité en y intégrant également l'Allemagne et le Royaume-Uni”, indique M. Guillaume.
Il souligne à cet égard que l’État hébreu cherche à “limiter l'ingérence de pays tiers comme la France dans ce comité, tandis que le Liban craint une atteinte à sa souveraineté, notamment si le comité dispose de pouvoirs étendus”. À cela, il ajoute que “des discussions sont toujours en cours pour déterminer la composition et le mandat de ce comité”.
Selon M. Guillaume, la composition proposée du comité de supervision est la suivante:
- États-Unis: en tant que médiateurs principaux, les États-Unis jouent un rôle central dans la formation de ce comité. Ils ont proposé de le diriger, offrant à Israël des garanties quant au droit de répondre à toute menace émanant du territoire libanais.
- France: initialement pressentie pour faire partie du comité, la France a vu sa participation contestée par Israël, notamment après l'annonce du ministère français des Affaires étrangères concernant la mise en œuvre des décisions de la Cour pénale internationale (CPI) à l'encontre de l’ancien ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant et de M. Netanyahou. Par ailleurs, Israël reproche à la France d’être partiale vis-à-vis du Liban. De fait, le procureur en chef de la CPI, Karim Khan, a émis des mandats d’arrêt le 21 novembre 2024 contre MM. Netanyahou et Gallant, mais aussi contre Mohammed Deif, le chef militaire du Hamas présumé mort.
- Royaume-Uni et Allemagne: des discussions sont en cours pour inclure le Royaume-Uni et l'Allemagne dans le comité. Leur participation vise à apporter une dimension européenne et à renforcer la crédibilité internationale du comité. Ces pays ont exprimé leur soutien aux efforts de paix et pourraient jouer un rôle clé dans la supervision de l'accord.
À cette “pagaille” diplomatique, viennent s’ajouter l’escalade militaire sur le terrain et, surtout, les incursions terrestres israéliennes sur le sol libanais.
Où en est la situation sur le terrain?
Si la guerre entre Israël et Gaza continue d'absorber l'attention mondiale, la conjoncture au Liban, notamment le long de la frontière israélo-libanaise, est aujourd’hui reléguée au même plan. Les négociations menées pour parvenir à un cessez-le-feu, bien qu'en cours, se heurtent à la réalité du terrain, où chaque avancée militaire semble compromettre les pourparlers.
En effet, et depuis les premières escarmouches entre Israël et le Hezbollah qui ont éclaté en octobre 2023, les combats ont pris une ampleur croissante, en particulier dans le sud du pays. Alors qu’Israël affirme avoir réduit de 70% les capacités du Hezbollah, ce dernier se félicite de l’intensification de ses frappes contre des zones “stratégiques” de l’État hébreu, mais aussi de réussir à repousser les avancées des soldats israéliens sur le sol libanais.
Des “triomphes” que ne confirment pas les experts militaires. Ces derniers notent, au contraire, une progression militaire israélienne dans son effort de repousser les combattants du Hezbollah au-delà du fleuve Litani et de créer une zone tampon s’étendant de 10 à 20 km au nord de la Ligne bleue.
“L’armée israélienne a consolidé son contrôle sur une bande de 10 km de profondeur le long de la frontière, englobant des localités stratégiques telles que Khiam, Naqoura et Deir Mimas”, signale Jean-Sébastien Guillaume. “Cette avancée vise à créer une zone tampon pour prévenir les tirs de roquettes vers Israël et sécuriser des positions clés. Les combats se concentrent également autour de Biyada, où Israël cherche à couper la route côtière entre Tyr et Naqoura, perturbant ainsi les lignes logistiques du Hezbollah”, précise-t-il.
“Il faut dire que l’objectif des opérations actuelles revêt un caractère aussi bien politique que militaire: pour les deux camps, il s’agit d’imposer un rapport de force (par les armes) qui leur soit favorable afin de maximiser leurs gains politiques”, explique M. Assaf. D’après lui, “à mesure que le temps passe, et en l’absence d’un véritable coup d’éclat du Hezbollah face aux troupes israéliennes ou sur le sol israélien, le rapport des forces continuera de pencher à l’avantage d’Israël”.
Cependant, l’État hébreu se trouve aujourd’hui confronté à un dilemme stratégique: comment affaiblir le Hezbollah sans provoquer une escalade qui pourrait entraîner une guerre régionale? Bien que l'État hébreu dispose d'une supériorité aérienne écrasante, le Hezbollah demeure, malgré les coups qui lui ont été infligés, capable de mener des frappes de représailles à grande échelle, sans pour autant vouloir provoquer une guerre totale contre Israël. Son objectif serait ainsi de s'assurer de la survie de ses capacités militaires tout en faisant pression sur Israël.
Au vu de la situation sur le terrain et des va-et-vient diplomatiques, les risques de prolongation du conflit et de déstabilisation régionale pourraient être considérables, à moins que l’émissaire américain ne réussisse à gagner son pari… avant qu’il ne soit trop tard.
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