Est-ce que le traité syro-libanais de fraternité, de coopération et de coordination peut être annulé?
©Ici Beyrouth

Le 22 mai 1991, le président de la République, Élias Hraoui, et le président syrien, Hafez el-Assad, ont signé le traité de “fraternité, de coopération et de coordination” entre le Liban et la Syrie, en parallèle de l’application de l’accord de Taëf. Ce traité, qui a façonné la politique et la souveraineté du Liban pendant plus de 15 ans, a donné lieu à plusieurs accords et protocoles, dont la création du Conseil supérieur syro-libanais.

Après l’établissement des relations diplomatiques entre le Liban et la Syrie en 2008, avec l’ouverture d’ambassades à Beyrouth et à Damas, la pertinence du Conseil supérieur syro-libanais, symbole d’une époque sombre marquée par la dilapidation des fonds, a soulevé de nombreux questionnements.

Bien que les relations diplomatiques aient été établies et que l'échange d'ambassadeurs entre Beyrouth et Damas ait eu lieu, le Conseil supérieur syro-libanais a continué de gérer les affaires relevant des deux ambassades. Après la chute du régime de Bachar el-Assad, des appels ont été lancés au Liban pour abroger tout ce que ce régime avait instauré, y compris ce conseil. Cette dynamique a créé une pression croissante pour réexaminer les accords et protocoles signés entre le Liban et la Syrie sous l’ère Assad, en mettant particulièrement l’accent sur la révision du traité de “fraternité, de coopération et de coordination”, voire son abrogation.

En plus des appels à mettre en place des mécanismes pour réexaminer les accords économiques et commerciaux entre le Liban et la Syrie et à envisager l’annulation du Conseil supérieur syro-libanais, plusieurs voix au Liban ont demandé au gouvernement d'agir rapidement pour renommer les centres, routes et places portant les noms de figures du régime d’Assad. Parmi les exemples évoqués, l’autoroute Hafez el-Assad, le carrefour Hafez el-Assad, également connu sous le nom de carrefour de l’ambassade du Koweït au Liban, ainsi que le centre culturel Bassel el-Assad, ont été cités.

Le Conseil supérieur syro-libanais a été créé pour concrétiser les objectifs du traité de fraternité, de coopération et de coordination. Basé à Damas, son secrétariat général est assuré par Nasri Khoury depuis 1993. Il regroupe les présidents des républiques syrienne et libanaise, le président du Conseil du peuple en Syrie, ainsi que les présidents des Conseils des ministres et leurs vice-présidents des deux pays. Au Liban, il inclut également le président de la Chambre des députés.

Parmi les missions du Conseil figurent l’élaboration de la politique générale de coordination et de coopération entre les deux États dans divers domaines, ainsi que la supervision de sa mise en œuvre. Les décisions du Conseil supérieur sont contraignantes et exécutoires dans le cadre des systèmes constitutionnels de chaque pays.

Le Conseil détermine les sujets sur lesquels les comités spécialisés peuvent prendre des décisions immédiatement exécutoires, dans le respect des règles et principes constitutionnels en vigueur dans les deux pays, ou à condition qu’elles ne les contredisent pas. Depuis sa création, le Conseil supérieur syro-libanais est chargé de définir la politique générale de coordination et de coopération entre le Liban et la Syrie dans tous les domaines – économique, social, commercial, politique et bien d’autres.

Les décisions du Conseil sont “contraignantes” et immédiatement exécutoires dès leur adoption, ce qui lui confère des prérogatives exécutives pouvant parfois contredire la Constitution. Il est également frappant de constater que les membres libanais du Conseil supérieur syro-libanais n’exercent aucun pouvoir décisionnel. Par ailleurs, ce Conseil dispose, en règle générale, de la capacité de prendre des décisions obligatoires et exécutoires, le recours au gouvernement et au Parlement n’intervenant qu’à titre exceptionnel.

Il convient de souligner que les décisions du Conseil ne peuvent être contraignantes, ni exécutoires d'office, car ce Conseil ne dispose d’aucune autorité constitutionnelle, en dehors du Parlement libanais. Une autre violation majeure du règlement intérieur du Conseil supérieur syro-libanais réside dans le fait que son assemblée générale a le pouvoir de déterminer les sujets sur lesquels les comités compétents des deux pays peuvent prendre des décisions, lesquelles deviennent exécutoires dès leur adoption, conformément aux règles et principes constitutionnels de chaque pays. Cela constitue également une violation flagrante de la Constitution, car ce Conseil n’a aucune autorité constitutionnelle et ne peut, dès lors, prendre de décisions entraînant des répercussions financières ou contraignantes sur les citoyens libanais.

Violations majeures dans le traité de fraternité, de coopération et de coordination entre le Liban et la Syrie:

-  Le traité fait du Conseil supérieur une instance décisionnelle sur un grand nombre de sujets importants, ce qui viole la Constitution libanaise.

-  Le traité rend les décisions du Conseil supérieur contraignantes et exécutoires, bien que ce Conseil ne dispose d'aucune autorité constitutionnelle.

-  Le traité accorde au secrétaire général du Conseil des pouvoirs qui violent la Constitution.

-  Le contenu du traité viole la Constitution libanaise, alors que les traités internationaux ne peuvent, en principe, enfreindre la Constitution des pays signataires.

-  Le traité accorde aux membres libanais du Conseil supérieur des pouvoirs décisionnels, en violation flagrante de la Constitution libanaise.

La mission d'annuler le traité de fraternité, de coopération et de coordination ne relève pas de la compétence du Parlement, qui ne peut pas abroger un accord international. En revanche, la responsabilité de trouver un mécanisme approprié pour le renégocier incombe au président de la République et au gouvernement libanais.

Du point de vue juridique, l'État libanais peut-il se retirer des accords conclus entre les deux pays et dissoudre le Conseil supérieur syro-libanais?

De nombreuses analyses accompagnent la proposition d'annuler le traité de fraternité, de coopération et de coordination ainsi que le Conseil supérieur syro-libanais. En novembre 2020, le secrétaire général du Conseil, Nasri Khoury, a affirmé qu'il était impossible d'annuler le Conseil de manière unilatérale, car il n'avait pas été créé par une décision libanaise, mais en vertu d'un traité international approuvé, formellement signé et enregistré auprès des Nations unies.

L'annulation d'un traité nécessite généralement la volonté des deux parties. Selon la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, certaines conditions doivent être remplies pour qu'un État puisse se retirer unilatéralement d'un traité bilatéral. Le Liban est membre de cette convention, tandis que la Syrie l'a signée en 1970. Cette convention précise les raisons et les conditions permettant à un pays de se retirer unilatéralement d'un traité.

Les principes internationaux soulignent l'importance de respecter les accords entre les États, selon le principe que "les accords lient leurs parties". Toutefois, des exceptions existent. La Convention de Vienne régit non seulement les accords internationaux, mais elle en encadre aussi la modification. Elle prévoit plusieurs cas permettant leur dénonciation, considérés comme des exceptions: impossibilité d'exécution, force majeure, changement de circonstances, domination d'une partie sur l'autre, ou encore la dénonciation de l'accord par l'une des parties contractantes.

Il existe 42 accords commerciaux et économiques entre le Liban et la Syrie. Après la chute du régime d'Assad, les organismes économiques ont adressé deux lettres au président du Parlement, Nabih Berry, et au Premier ministre sortant, Najib Mikati, les invitant à reconsidérer le traité de fraternité, de coopération et de coordination signé entre les deux pays, ainsi qu’à revoir tous les accords bilatéraux qui en découlent. Cela inclut les protocoles, mémorandums, programmes et contrats signés, dans le but de préserver les intérêts du Liban de manière équilibrée et saine sur tous les fronts, notamment économiques et commerciaux. Il est donc crucial que le gouvernement libanais mette en place les mécanismes nécessaires pour réévaluer ces accords, qui ont davantage servi les intérêts de la Syrie que ceux du Liban.

Sur la base du principe “la gouvernance, c'est la continuité” et de la difficulté d'annuler unilatéralement des accords et traités entre deux pays en cas de changement de régime, il est néanmoins nécessaire, face aux évolutions récentes, de trouver une méthode appropriée pour réexaminer ces accords. Il est bien connu que le traité de fraternité, de coopération et de coordination a été principalement favorable à la Syrie, engendrant une série d'accords qui étaient défavorables au Liban. Ces accords, déséquilibrés, portent atteinte à la souveraineté libanaise dans divers domaines, notamment économiques et sociaux. De plus, ils enfreignent la Constitution, en particulier en ce qui concerne le fonctionnement du Conseil supérieur syro-libanais.

Ici, on revient sur l’analyse menée par l'ancien député Albert Moukheiber, qui avait mis en évidence les principales violations concernant le traité de fraternité, de coopération et de coordination entre le Liban et la Syrie. Il avait souligné la nécessité pour le gouvernement d’agir afin de réviser cet accord, en particulier en annulant les organes permanents créés par ce traité, à commencer par le “Conseil supérieur” et le “Secrétariat général”, en raison de leur non-conformité à la Constitution libanaise et de leur incompatibilité avec le système actuel de représentation diplomatique.

Dans ce contexte, le gouvernement libanais doit assumer ses responsabilités en demandant une renégociation avec la Syrie et en réévaluant certains accords, notamment le traité de "fraternité, de coopération et de coordination". Si des modifications, des annulations partielles ou totales, ou une révision complète sont envisagées, cela devra se faire en coordination avec le côté syrien et le nouveau gouvernement syrien. Il convient de rappeler que la signature de ces accords avait nécessité l’adoption d’une loi par le Parlement et qu’un nouveau texte législatif devra être adopté pour toute modification ou annulation, ce qui relève du rôle du Parlement.

 

 

           

 

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