La fin des illusions
©Ici Beyrouth

L’observation de la scène politique nous renvoie à des verrouillages qui se répètent indéfiniment et auxquels les politiques et le nouvel exécutif n’osent pas s’attaquer de manière frontale. En réalité, ces verrouillages se ressourcent dans des tabous érigés en principes de gouvernance auxquels personne n’ose toucher. On se pose la question de la nature de la vie politique dans ce pays où des intérêts politiques sordides se muent en règles politiques immuables et non questionnables. La formation d’un gouvernement après deux ans et demi de vacance présidentielle et d’usurpation constitutionnelle flagrante, la mouvance du fascisme chiite érige de nouveaux blocages en vue de préempter tout processus de normalisation et de réimposer son diktat.

Les déclarations intempestives et grotesques de Naïm Qassem sont révélatrices de l’état de déni qui prévaut en milieu chiite et de l’esprit de revanche qui s’empare de la communauté qui demeure dans sa majorité acquise au narratif du Hezbollah et à la dynamique pulvérisée par la dernière guerre. Les délires stratégiques et idéologiques qui se structurent au croisement de la politique de puissance iranienne, du terrorisme, de la criminalité organisée et du récit islamique de légitimation vont rester en place tant que le régime iranien n’est pas défait ou entièrement réformé. L’endoctrinement et ses doubles stratégiques et opérationnels sont difficilement démontables en l’absence d’une mutation de nature révolutionnaire qui mettrait fin à une dictature totalitaire qui n’a plus que la répression interne et la déstabilisation régionale comme gages de survie.

Les paradoxes de la soi-disant transition au Liban tiennent à des ambivalences systémiques où se superposent le schéma constitutionnel nominal et les réalités de la vie politique régie par des rapports de force et des politiques de subversion en état de choc frontal. La vie politique n’est qu’un théâtre des ombres où se profilent des acteurs et des enjeux entièrement désarticulés par rapport aux réalités d’un pays aux configurations peu discernables. Nous ne sommes du tout pas dans un scénario d’alternance démocratique, de programmes de gouvernance ou de quête d’accommodement entre des partis politiques qui se reconnaissent mutuellement dans le cadre d’une matrice nationale et politique qui transcende les clivages politiques. Il s’agit d’une configuration de guerre civile institutionnalisée où les acteurs se positionnent en termes agonistiques.

Tous les schémas de droit constitutionnel invoqués par les acteurs ne sont que des artifices juridiques désémantisés et instrumentalisés par des acteurs politiques qui remettent en question la légitimité du jeu démocratique et de ses règles de conduite. La dévalorisation des stipulations de la trêve et l’arbitraire qui définit le rapport aux institutions internationales n’est que la réplique de la pratique politique domestique où la vie institutionnelle est reléguée au profit du marchandage entre les différentes ailes de l’oligarchie. Les tractations politiques courent le risque d’être une fois de plus récupérées par la trame oligarchique et de faire capoter la nouvelle dynamique.

La politique galvaudée des boucliers humains, de la victimisation et de la terreur motocyclée instrumentée par le Hezbollah a été une fois de plus utilisée en vue de déjouer la dynamique de normalisation et de verrouiller la démarche politique. La nouvelle donne politique devrait permettre au nouveau pouvoir exécutif de se délier des habitus et des contraintes de la culture politique qui a détruit les institutions et conduit à l’état d’ensauvagement généralisé.

La mise en œuvre des nouvelles orientations politiques enclenchées par la nouvelle dynamique militaire et politique devrait servir de matrice et de plateforme aux négociations en cours. Reste à savoir si le Parlement est à la hauteur de cette nouvelle étape. Hélas que non. Le nouvel exécutif a tort de capituler au profit de la classe politique et de reprendre ses règles du jeu. La nouvelle feuille de route est celle de la normalisation projetée par la communauté internationale, qui devrait aider le pays à mettre un terme à la dynamique des conflits ouverts, à s'investir dans un projet de paix régionale, à se réapproprier la démarche réformiste et à mettre fin aux verrouillages. Il s'agit d'un acte de dépassement que nul n'a osé jusqu'ici, alors que les chances d'une grande mutation sont à portée de main.

 

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