
Fadi G. Comair revient aux sources avec Les Chrétiens d'Orient, le Liban et les maronites: un destin de coexistence. De passage à Beyrouth, il a accordé un entretien à Ici Beyrouth avant de repartir pour Paris signer son dernier opus publié aux éditions L’Harmattan.
Fadi G. Comair est un expert et initiateur du concept d’hydrodiplomatie qui nous a plutôt habitués à des publications spécialisées sur cet enjeu crucial qu’est l’eau, source de tant de convoitises géopolitiques et stratégiques.
On retiendra aussi qu’il a été le premier Franco-Libanais à diriger le Programme hydrologique intergouvernemental (PHI) de l'Unesco (2019-2023) tout en restant d’une humilité, d’une accessibilité et d’une bienveillance rares.
Également reconnu comme l’un des serviteurs contemporains de l’État libanais – même durant ses jours les plus sombres – Fadi Comair a consacré vingt ans de sa vie au Liban et au ministère libanais de l’Énergie et de l’Eau dont il était le directeur général.
Pourtant, en 2021, il rend son tablier de fonctionnaire, ayant de plus en plus de mal à jongler avec des politiques publiques qui n’étaient plus désormais qu’au service des petits intérêts clientélistes de certains.
En effet, cet héritier de père en fils de l’école chéhabiste où la droiture et l’action réformatrice ne sont pas que de vains slogans qu’on brandit pour se faire élire ne pouvait nullement cautionner des agissements qui allaient à l’encontre de ses convictions les plus profondes.
L’expert a alors choisi de poursuivre sa mission dans son pays d’adoption, la France, en tant que professeur des universités et membre de l’Académie des sciences d’outre-mer (Asom) et à Nicosie ou il a pris les rênes du Centre de recherche sur l'énergie, l'environnement et l'eau (EEWRC) de l'Institut de Chypre où il transmet au quotidien son savoir aux jeunes spécialistes de demain.
En 1999, le déclic
Même si Fadi G. Comair dit avoir mis trois ans pour rédiger son livre, en réalité, il a germé dans son esprit durant trente ans.
«Des années de recherche et d’écriture de chapitres de manière saccadée», raconte-t-il, durant lesquelles l’auteur s’est nourri de l’histoire «si enrichissante» des chrétiens d’Orient et de leur migration au fil de l’histoire.
Il se souvient que le déclic s’est produit en 1999. «Alors que j’étais un jeune directeur de l’administration libanaise de 35 ans, je visitais le fleuve transfrontalier de l’Oronte pour la construction d’un barrage lorsque j’ai été bouleversé par la découverte d’un couvent fantastique complètement délabré logé dans un rocher. On m’a alors dit: ‘M. Comair, c’est là, que vos ancêtres habitaient.’» Il s’agissait des disciples de saint Maron, qui y ont habité à partir de 450, il y a 1.600 ans.
«La découverte du monastère de saint Maron et des eaux de l'Oronte m'a ouvert les yeux sur les racines spirituelles et historiques de notre peuple et surtout sur le fait que les Libanais n’ont pas conscience de cette histoire exceptionnelle», poursuit-il, le regard brillant.
Au cours des années qui ont suivi, Fadi G. Comair a alors visité toutes les églises du Liban, étudié l’histoire de la chrétienté de Jérusalem en passant par Bethléem jusqu’à Tyr et Sidon après la résurrection du Christ et comment cette population s’est déplacée d’un côté, vers le Liban et de l’autre, vers l’Égypte.
«C’est comme ça que la chrétienté s’est développée, après avoir pris son essor au Liban vers le monde», rappelle-t-il aussi. Il raconte aussi les massacres perpétrés contre les chrétiens d’Orient pris en étau – au cours de leur histoire – «entre le marteau et l’enclume».
Opus sur la mémoire d’un Liban de résilience, de résistance et de coexistence
«J’ai écrit ce livre pour montrer aux lecteurs, aux amis et surtout à la nouvelle génération que mon histoire avec le Liban et surtout avec les maronites est une histoire de résilience, de résistance et de coexistence.» Trois piliers que Fadi G. Comair appelle «le nexus* mystique du sol, de l’amour pour le Liban et de la défense des chrétiens d’Orient» et sur lesquels il se base.
En effet, en lisant Les Chrétiens d'Orient, le Liban et les maronites: un destin de coexistence, le lecteur traverse notamment l’enfance de Fadi G. Comair au cœur d’un Beyrouth où ces piliers susmentionnés n’étaient pas des mots creux dans les relations entre Libanais.
«Mon enfance à l’École des Frères de Beyrouth, entouré d'élèves de toutes confessions, m'a profondément marqué. Étudier dans une école chrétienne au cœur d'une ville si plurielle m'a appris que la coexistence n'était pas une utopie, mais une réalité possible», défend l’auteur qui dit puiser la source de son inspiration dans ce Beyrouth d’antan empli de tolérance. Un Beyrouth qu’il dit aussi «regretter».
La résistance «contre l’occupant» est aussi au cœur de cette histoire et de comment cette résistance a été organisée pour faire face et garder l’indépendance et la souveraineté du Liban, si souvent mise en danger.
«On a résisté durant 1.500 ans et on continue de le faire pas seulement face aux guerres militaires mais aussi économiques et sociales et pour contrer l’exode des chrétiens du Liban. Sans oublier une résilience face à tous les enjeux, défis et conflits qui ont jalonné notre histoire», rappelle-t-il aussi.
Quant au volet politique de coexistence qu’il évoque longuement, il met en exergue «comment nous (Libanais) avons accepté de tourner la page et de relancer un Liban multiconfessionnel basé sur la culture, l’ouverture et la neutralité. C’est le projet qui a été adopté par le président Fouad Chéhab et qui a scellé le lien entre les communautés libanaises après la première guerre civile en 1958».
Les pères de l’indépendance, des maronites bâtisseurs
Il consacre aussi des chapitres au périple des maronites bâtisseurs et aux maronites destructeurs contemporains ainsi qu’aux chefs d’églises, des patriarches qualifiés «d’exceptionnels» qui ont résisté face aux courants obscurantistes au fil des époques.
«Le président Fouad Chéhab et les patriarches de la lignée de saint Maron (Maroun) sont des exemples vivants de leadership éclairé, dédiés à préserver le Liban et son message», défend Fadi G. Comair.
Il brosse aussi le portrait des hommes de Dieu, les saints libanais, catholiques, «qui étaient vraiment très prestigieux comme saint Maron, Charbel, Rafaa et Hardini».
Plan pour la renaissance et la neutralité du Liban
Toutefois, c’est «Le Liban des crises, de la guerre, des tutelles et des dirigeants sans envergure», qui a pris le pas au fil de l’histoire – qu’il dépeint – et qui a fait du Liban «une démocratie constamment entravée».
Pour toutes ces raisons énumérées, l’auteur défend bec et ongles «la nécessité» pour le Liban d’adopter un projet de neutralité qui lui permettra de renaître sur de bonnes bases.
«De Sykes-Picot à la guerre du Liban, notre histoire regorge de défis qui nous rappellent l'importance de la neutralité et de l'unité», souligne-t-il aussi.
Et parce que cette neutralité peine encore à voir le jour, Fadi G. Comair lui consacre un chapitre entier avec une feuille de route que le patriarche maronite, Béchara Raï – qui a préfacé cet ouvrage – défend également.
«Mon plan en 10 points vise à redonner au Liban son rôle unique au Levant, basé sur la neutralité et l'unité. Cela inclut aussi une charte pour favoriser le retour des chrétiens d'Orient, gardiens d'une culture de dialogue.»
Dans ces pages, Fadi G. Comair a surtout voulu montrer «le beau visage du vrai Liban» dans un opus dédié à la mémoire collective, qui transcende les religions et qu’il souhaite partager avec les jeunes pour leur dire que cette coexistence peut être «reconcrétisée» et que c’est dans la «neutralité positive» que réside le salut du Liban et de son peuple.
*Un nexus est un complexe, une association de plusieurs éléments imbriqués.
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