Fédérations de municipalités: leviers stratégiques et enjeux politiques
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Alors que le Liban s’apprête à lancer les élections municipales à partir du 4 mai, un acteur en particulier suscite un intérêt croissant chez les responsables politiques: les fédérations de municipalités. Peu connues du grand public, ces structures intercommunales sont devenues un levier de gouvernance locale incontournable dans un pays où les institutions centrales peinent à assurer leurs fonctions de base.

Créées par la loi de 1977 sur l’organisation municipale, les fédérations de municipalités (FM) jouissent de la personnalité morale et de l’autonomie administrative et financière, au même titre que les municipalités (article 114). Elles peuvent regrouper un nombre illimité de municipalités, en principe de manière volontaire, dans le but de mettre en œuvre des projets d’intérêt commun dépassant les capacités techniques ou financières d’une seule collectivité. Ces projets concernent généralement des services publics à l’échelle intercommunale: voirie, assainissement, gestion des déchets, réseaux d’eau ou d’irrigation.

Pour faire partie d’une fédération, les municipalités doivent avoir des frontières administratives communes et être situées dans la même région géographique (le caza). Mais cela ne veut pas dire qu’il y a autant de fédérations que de cazas. Il peut y en avoir plusieurs au sein d’un même caza: au Chouf ou à Baabda, par exemple, il en existe plusieurs. Dans le Akkar, elles sont au nombre de six. Certains cazas n’ont qu’une seule FM, comme c’est le cas à Zgharta, au Metn ou à Batroun. En tout, il existe 53 fédérations de municipalités sur un total de 1.064 municipalités au Liban.

Selon Patrick Richa, directeur de communication du parti Kataëb, interrogé par Ici Beyrouth, «toutes les municipalités ne font pas partie d’une fédération. Au Metn, il existe plus de 70 municipalités et seulement 33 d’entre elles adhèrent à la fédération des municipalités du Metn».

Un outil de coopération entre les municipalités

Interrogé par Ici Beyrouth, Jean Nakhoul, journaliste, confie: «Les fédérations sont essentiellement un outil de coordination et de pression. Si une municipalité a un projet d’assainissement de l’eau, elle a beaucoup plus de chance de se faire financer et de voir les travaux aboutir si ce projet est utile à plusieurs villages (ou municipalités) en même temps.»

Selon Patrick Richa, «l’ensemble des fonds est centralisé dans la Caisse municipale autonome (CMA), rattachée au ministère de l’Intérieur. Cependant, la majorité des projets réalisés ces dernières années (par les FM) ont été financés par des organismes internationaux et régionaux. Présenter un projet au nom d’une FM lui confère davantage de poids, car il s’inscrit dans une vision stratégique globale, dépassant les limites d’une seule municipalité ou d’un village».

La fédération permet donc à plusieurs municipalités voisines de mutualiser leurs ressources humaines, techniques et financières pour répondre plus efficacement aux besoins communs. Cela est particulièrement important pour les petites municipalités qui manquent souvent de moyens.

Les projets portés par une fédération ont plus de visibilité et de poids auprès des bailleurs de fonds internationaux, des ONG. Les fédérations deviennent donc les interlocuteurs privilégiés dans les programmes de développement local.

Dans ce contexte, les FM deviennent parfois des plateformes de mobilisation de fonds extérieurs, facilitant la mise en œuvre de projets que les municipalités isolées ne pourraient ni concevoir ni financer. Cette fonction leur confère une importance croissante dans l’architecture du développement local.

Des ressources limitées, mais un rôle de facilitateur

Les ressources des fédérations proviennent de plusieurs sources: les municipalités membres, ainsi que des subventions, aides et transferts de la CMA du ministère de l’Intérieur.
L’État peut également contribuer au budget des fédérations via des montants inscrits annuellement au budget général. Les fédérations ont aussi le droit de recevoir des dons et des legs d’organismes internationaux ou locaux ainsi que de particuliers.
Toutes les décisions financières d’une fédération sont soumises au contrôle administratif, selon les mêmes règles appliquées aux municipalités. Les fonds provenant des taxes et des impôts, déposés à la Caisse municipale autonome (CMA) sont en principe répartis chaque année entre les municipalités et les fédérations de municipalités: 75% vont aux premières et 25% aux secondes, une fois déduits les frais de fonctionnement des ministères des Finances et de l’Intérieur.

À savoir que les ressources allouées aux FM pour les grands projets d’infrastructure proviennent essentiellement de bailleurs privés tels que les ONG, dont jusqu’à récemment la USAID, les organisations rattachées aux Nations unies où à l’Union européenne.

Un enjeu politique majeur?

Les partis politiques au Liban se disputent souvent la présidence des fédérations de municipalités car ces structures représentent un levier stratégique de pouvoir local, avec des retombées politiques, financières et sociales majeures.

Selon certains observateurs, la lutte pour le contrôle des FM à l’issue des élections municipales s’explique aussi par leur rôle clé dans les préparations pour les prochaines législatives (2026). Les présidents de municipalités et plus spécifiquement les présidents de fédérations sont en contact direct avec les électeurs et disposent d’un réseau d’influence précieux pour mobiliser l’électorat et orienter les ressources.

«C’est un système dans lequel chaque partie s’entraide». Plus un parti politique ou un notable a des «alliés au niveau local, plus il peut faire avancer ses projets», explique Jean Nakhoul.

Le président de la FM peut prioriser certains villages ou projets, ce qui lui donne un pouvoir d’influence sur le développement local.

Pour Patrick Richa, l’implication des partis politiques dans les élections municipales est limitée. «C’est une action locale basée sur des familles et des calculs locaux. Nous avons un rôle de régulateur pour essayer de diminuer les problèmes autant que possible».

Toutefois, les Kataeb ont un intérêt particulier pour la FM du Metn. «Nous travaillons sur ça. Après de longues années d’hégémonie d’une famille sur les municipalités du Metn (la famille de feu Michel Murr, ndlr), il est temps de changer de cap et de manière de faire les choses».

Quant à la question de savoir si la présidence des FM est un facteur clé pour les législatives prochaines, M. Richa affirme que cela ne faisait pas partie des calculs de son parti.

Un outil pour une décentralisation effective?

La décentralisation élargie est au cœur du débat politique depuis plusieurs années. Si elle venait à être appliquée, les FM pourraient devenir les piliers d’une nouvelle gouvernance territoriale au Liban. Elles joueraient alors le rôle de «mini-ministères» locaux, comme le souligne Jean Nakhoul.

En attendant, les élections municipales à venir donneront un aperçu des rapports de force en mutation au sein du paysage politique local et de la place croissante que prend la gestion locale dans la vie publique libanaise.

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