
Alors que le Liban s’apprête à organiser ses premières élections municipales depuis la guerre d’octobre 2023 avec Israël, l’attention se porte sur la banlieue sud de Beyrouth, bastion traditionnel du Hezbollah.
Cette région majoritairement chiite est depuis longtemps sous l’influence politique du Hezbollah et de son allié, le mouvement Amal. Toutefois, le scrutin à venir dépasse de loin les enjeux locaux: il est perçu comme un test de loyauté politique, un baromètre du mécontentement populaire et un indicateur de la capacité des partis à mobiliser une population exsangue par la guerre et une crise économique sans précédent.
Sur le terrain, les deux partis ont mis en place des comités électoraux conjoints pour les élections du 4 mai, concentrant leurs efforts sur la mobilisation des électeurs dans les quartiers de la banlieue sud. Ils ont globalement maintenu les équilibres instaurés lors des municipales de 2016: dans les zones acquises à Amal, ce dernier consulte familles influentes, groupes politiques et figures locales pour sélectionner ses candidats, tandis que le Hezbollah adopte une démarche similaire dans ses propres zones d’influence.
Une échéance électorale à forts enjeux
Après plusieurs reports depuis 2023, les élections municipales se tiennent dans un contexte chargé d’incertitudes. Dans des zones comme la banlieue sud, durement frappées par les bombardements israéliens et encore sous la menace malgré le cessez-le-feu, l’enjeu dépasse la simple gestion des services publics. Il s’agit de reconstruire, de préserver les moyens de subsistance et de rétablir la confiance envers des dirigeants dont la légitimité est de plus en plus questionnée.
Face à la dégradation des infrastructures et à l’effondrement des services essentiels, la gouvernance locale prend une importance capitale. Les élus auront pour mission non seulement d'assurer la gestion quotidienne, mais aussi de piloter les efforts de reconstruction postconflit, dans un contexte marqué par l'absence de soutien de l'État, une inflation galopante et une crise économique persistante.
Une pression financière étouffante
Les municipalités libanaises font face à de très fortes contraintes budgétaires. Elles dépendent presque exclusivement du Fonds municipal indépendant, aujourd’hui quasi à sec en raison de l’effondrement financier de l’État. Même des municipalités souvent citées en exemple comme celle de Ghobeiri – longtemps modèle de gestion municipale sous l’égide du Hezbollah – peinent désormais à maintenir les services de base.
L’Union des municipalités de la banlieue sud
Face aux défis croissants, plusieurs municipalités ont décidé de regrouper leurs efforts au sein de l’Union des municipalités de la banlieue sud, dont le siège est établi à Ghobeiri. Cette entité rassemble les municipalités de Ghobeiri (21 membres), Haret Hreik (18), Bourj el-Barajné (21), ainsi que les zones réunies de Mreijé, Tahwitat el-Ghadir et Laylaki (15).
L’objectif de cette union est de mutualiser les ressources disponibles, coordonner les projets d’infrastructure et harmoniser les efforts de développement dans une région touchée de plein fouet par les destructions.
Cependant, les consultations politiques qui précèdent les élections laissent entrevoir un changement d’approche par rapport aux cycles électoraux précédents. Les partis semblent désormais privilégier le dialogue et le compromis avec les familles influentes et les figures locales, plutôt que d’imposer des choix strictement partisans. Ce changement vise à mieux prendre en compte l’état d’esprit d’une population éprouvée, notamment dans des régions comme la banlieue sud, la Békaa ou le Liban-Sud.
Le rejet croissant des candidats parachutés ou issus de querelles familiales traditionnelles ouvre désormais la porte à des listes indépendantes ou alternatives – une dynamique déjà observée lors des élections municipales de 2004 – et pourrait bien modifier la future composition de l’Union des municipalités.
Premiers signes de changement à Ghobeiri
Bien que les listes officielles ne soient pas encore publiées, des sources proches de la formation pro-iranienne font état d’un tournant notable: le Hezbollah aurait accepté de restituer la présidence du conseil municipal de Ghobeiri à la famille Khansa. Cette décision marquerait un retour aux équilibres traditionnels dans l'une des municipalités les plus stratégiques du pays.
Ghobeiri se classe en effet comme la troisième plus grande municipalité du Liban, tant par sa superficie que par sa densité démographique, son activité économique et son urbanisation. Bien qu’administrativement rattachée au caza de Baabda, elle constitue un prolongement de la capitale et s’y trouve fortement intégrée.
Des banderoles récemment déployées dans la ville annoncent d’ailleurs la candidature d’Ahmad el-Khansa à la présidence du conseil municipal, confirmant les rumeurs de ce retour en force.
Le Hezbollah et Amal toujours aux commandes?
Le Hezbollah fait aujourd’hui face à une pression sans précédent. Entre sanctions économiques, frappes israéliennes ayant perturbé ses réseaux et mécontentement croissant au sein même de sa base, sa capacité à maintenir sa mainmise sur les municipalités est désormais mise à l’épreuve. Les élections à venir seront un test crucial pour évaluer sa force de mobilisation et mesurer l’ampleur d’éventuelles fissures internes.
De son côté, le mouvement Amal, allié historique du Hezbollah dans la banlieue sud, n’échappe pas à la contestation. Accusé de corruption et critiqué pour sa gestion locale, il doit également faire face à un scepticisme croissant quant à sa capacité à répondre aux attentes de la population.
Face à ces défis, les deux partis misent sur leur alliance, leur ancrage historique et le réflexe de loyauté communautaire pour contenir la contestation et conserver leur influence.
Vers un dépassement des clivages confessionnels?
Bien que majoritairement chiite, la banlieue sud de Beyrouth n’est pas pour autant homogène. Elle abrite également des familles sunnites ainsi que des enclaves chrétiennes. Le scrutin à venir révélera si les candidats chercheront à transcender les clivages confessionnels ou si les vieux réflexes clientélistes continueront à dominer le paysage électoral.
Corruption ou exigence de transparence
La corruption reste un fléau structurel des municipalités libanaises. Népotisme, détournements de fonds publics et absence de transparence minent depuis des années la gestion locale. Faute de véritables mécanismes de contrôle et d’audit, la confiance des citoyens envers leurs institutions municipales s’effrite de plus en plus.
Les élections de cette année seront donc aussi un test pour la démocratie locale: celle-ci saura-t-elle amorcer un tournant vers plus de responsabilité et de transparence?
Une mobilisation incertaine
À quelques jours des élections municipales dans le Mont-Liban, y compris la banlieue sud, le taux de participation reste la grande inconnue.
Le conflit avec Israël a provoqué d’importants déplacements de population, accru la défiance envers la classe politique et aggravé les difficultés économiques déjà criantes dans la région. Pourtant, les appartenances confessionnelles restent fortement ancrées. Le Hezbollah et Amal continuent d’assurer des services sociaux, éducatifs et sanitaires essentiels, comblant les lacunes d’un État défaillant. Pour de nombreux habitants, ces partis ne sont pas uniquement des acteurs politiques, mais des piliers du quotidien.
Des enjeux locaux, voire nationaux
Au-delà des questions de gestion municipale comme la voirie ou les déchets, les élections dans la banlieue sud de Beyrouth portent des enjeux profondément politiques. Elles cristallisent un affrontement entre le statu quo et la réforme, entre la fidélité partisane et la désillusion croissante, entre la résignation et l’aspiration à un renouveau.
À Ghobeiri, Haret Hreik, Bourj el-Barajné et dans d’autres quartiers de la banlieue sud, les électeurs seront confrontés à un choix crucial: renouveler leur confiance dans les figures traditionnelles ou miser sur une alternative, dans un contexte marqué par les séquelles de la guerre et l’effondrement économique.
Une certitude pourtant: le résultat de ce scrutin dépassera largement les limites géographiques de la banlieue sud et pourrait bien annoncer une dynamique de changement à l’échelle nationale.
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