Municipales à Beyrouth: «la parité», un garde-fou en perte de vitesse?
©Ici Beyrouth

À Beyrouth, la parité confessionnelle au sein du conseil municipal a été ébranlée, une première depuis 1998. Au lendemain du scrutin, nous avons sondé les habitants de la capitale sur la symbolique de cette parité – défendue bec et ongles par les grandes listes en lice – et surtout sur les enjeux qu’elle représente. Tandis que certains continuaient de la brandir comme un pilier du vivre-ensemble, d’autres y voient désormais une formule dépassée.

Dans les rues de Beyrouth que nous avons sillonnées au lendemain du scrutin municipal et des mokhtars, nombre de passants hésitent ou sèchent lorsqu’on leur demande ce que signifie exactement la parité au sein du conseil municipal de Beyrouth.

Toutefois, une fois le concept expliqué, les Beyrouthins rencontrés ont tous un point de vue bien tranché sur l’importance – ou non – de faire perdurer cette coutume, qui permet un partage égal entre communautés chrétiennes et musulmanes au sein du conseil municipal, composé de 24 membres, visant à refléter la diversité sociétale – et surtout confessionnelle – de la capitale.

Revenons alors un peu sur l’histoire de cette sacro-sainte parité, érigée en étendard tout au long de la campagne électorale par les principales listes en lice. Toutes ont placé ce garde-fou au cœur de leurs slogans pour convaincre les électeurs de ne pas panacher le jour du vote (les listes ne sont pas fermées comme aux législatives).

Qu’entendent les Beyrouthins par parité? Quelle est son importance et son impact sur le fonctionnement municipal?

Un garde-fou qui rassure

Rencontré au centre-ville de la capitale, Khaled, 51 ans estime que la parité permet de «préserver les droits de chaque communauté représentée dans la capitale». C’est aussi, selon lui, une façon d’«être juste et à équidistance de tous les habitants».

Même son de cloche pour Zeina, Michèle et Claude, croisées à Gemmayzé et Achrafieh: «C’est important d’avoir une parité car Beyrouth est diversifiée et tout le monde doit être représenté», affirment-elles.

Cet équilibre entre chrétiens et musulmans rassure aussi Elie. Ce trentenaire estime qu’il symbolise le «vivre-ensemble». Il dit pourtant craindre que la capitale soit «divisée» à l’avenir, comme cela est actuellement évoqué dans certains milieux politiques. Ce qui l’inquiète le plus, si cela devait arriver, c’est «d’avoir plusieurs têtes qui feraient office de Mohafez» (le Mohafez détenant le pouvoir exécutif au lieu du conseil municipal de Beyrouth. Il est issu de la communauté grecque-orthodoxe).

Nathalie partage les mêmes craintes qu’Elie, notamment en raison de «l’état démographique actuel, avec un nombre plus élevé de musulmans que de chrétiens». Si cette coutume venait à être remise en question, la trentenaire redoute que, dans le futur, «les chrétiens ne soient plus représentés dans les scrutins municipaux, ceux des mokhtars ou encore aux législatives».

«Nous sommes tous Libanais»

Même si May, une sexagénaire, dit «comprendre» que, dans un pays comme le Liban «qui n’est pas laïc, la parité confessionnelle a son importance», cela ne l’empêche pas de «souhaiter en finir avec ce genre de considérations».

«Cette parité n’a pas d’importance, nous sommes tous Libanais», lance Iyad. «C’est se moquer du monde», poursuit ce père de deux filles qui a vécu trente ans à l’étranger, notamment en France, en Inde puis à Dubaï. 

Quant à Tarek, un trentenaire rencontré rue Foch, il estime qu’elle est «artificielle». Il défend l’idée que «seul le résultat du travail municipal importe».

Idem pour Gio et Omar, deux jeunes étudiants, qui se disent «indifférents», estimant que «seuls le développement et l’essor de la capitale doivent primer, ainsi que la compétence des élus siégeant au conseil municipal».

«Je ne veux pas mendier une représentativité»

Pour Karl, le Parlement «devrait voter une proposition de loi à même de consacrer la parité islamo-chrétienne au sein de la municipalité de Beyrouth», afin de mettre un terme aux craintes «légitimes» des chrétiens à chaque scrutin.

Un avis que ne partage pas Nay. Droite dans ses bottes, l’habitante cinquantenaire d’Achrafieh, veut renverser la table en appelant à l’adoption d’«un nouveau système électoral pour Beyrouth». «En tant que chrétienne, je ne veux pas mendier une parité. Je souhaite obtenir mes droits naturellement à travers une loi électorale qui me permettrait de peser sur les décisions de développement et d’essor de la capitale», défend-t-elle. Elle appelle alors à «un partage de Beyrouth en plusieurs arrondissements représentatifs des différents besoins des quartiers et des habitants – une décentralisation élargie – mais avec une seule tête pour l’exécutif».

Rafic Hariri, «père» de la parité islamo-chrétienne au sein du conseil municipal  

Cette pratique remonte au premier scrutin municipal de Beyrouth d’après-guerre en 1998.

Pour mémoire, le Premier ministre assassiné, Rafic Hariri, avait dit au chef de la diplomatie de l’époque, Fouad Boutros: «Vous avez toute ma confiance.» Par cette formule bienveillante, Rafic Hariri lui avait donné carte blanche pour choisir douze personnalités chrétiennes de Beyrouth, à inclure dans sa liste de 24 candidats comprenant également douze musulmans, en vue des municipales de mai 1998.

Depuis lors, M. Hariri est considéré par nombreux comme le père de  la parité islamo-chrétienne au sein du conseil municipal de la capitale. 

Ainsi, tous les scrutins qui ont suivi – en 2004, 2010 et 2016 – ont scrupuleusement respecté ce qui est désormais perçu comme une coutume.

Le charismatique Premier ministre avait même pris soin de lancer un slogan qui est devenu le symbole de cette parité à savoir «Zay ma hiyé (telle quelle)» incitant les électeurs de Beyrouth, à déposer dans l’urne une liste complète de 24 candidats sans recourir au panachage – bien que la loi le permette.

Ce qui est certain, c’est que le slogan de Rafic Hariri reste encore important dans les urnes et dans l’inconscient collectif.

Reste à savoir si cette coutume non écrite continuera de résister aux dynamiques démographiques et aux aspirations citoyennes, ou si l’avenir électoral de la capitale s’écrira selon de nouvelles règles du jeu.

 

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