Les mystères engloutis du Liban
©Etienne Torbey / AFP

Nous sommes en 2001 lorsqu’une découverte spectaculaire agite brièvement la communauté archéologique internationale. Au large de Tyr, une équipe composée de chercheurs français et d’archéologues libanais met au jour les vestiges d’une cité antique submergée.

Une ville entière, du nom de Saïdoun, surgit sous les flots: murs monumentaux, chambres sacrées, puits à eau douce, dalles de marbre et blocs massifs datant d’environ 1.370 avant J.-C., soit d’il y a près de 4.000 ans. Cette fouille reste, à ce jour, l’une des principales véritables avancées dans l’exploration sous-marine du sud du Liban. Depuis, le silence. Pas faute d’intérêt, mais de moyens.

Après la découverte de Saïdoun et toujours en 2001, une autre cité, Yarmuta, datant d’il y a plus de 5.000 ans, est repérée en face de Zahrani, à 7 km au nord de Tyr. Il s’agit alors d’un alignement de blocs immergés, qui se prolonge sous l’eau sur plus de 500 mètres. Aucune fouille approfondie, aucun inventaire officiel, les conclusions restent à l’état d’ébauche, les investigations ayant été interrompues pour les mêmes raisons susmentionnées. 

Pour Sean Kingsley, directeur de Wreck Watch et du Centre for East-West Maritime Exploration (Centre d'exploration maritime Est-Ouest), «le Liban, berceau du commerce maritime antique, semble aujourd’hui figé dans une stagnation paradoxale». Avec ses plus de 25 ans d’expérience, l’archéologue, consultant et chercheur, déclare, interrogé par Ici Beyrouth: «Terre centrale du bassin méditerranéen, le littoral libanais a vu naître certaines des plus anciennes routes commerciales du monde. Dès l’âge de bronze, alors que l’idée même de commerce s’affirmait, la façade maritime du Liban jouait un rôle clé dans les échanges entre les grandes civilisations du Levant, d’Égypte, d’Anatolie et de la mer Égée».

«Avec un tel passé, on s’attendrait à ce que ses eaux côtières soient saturées d’épaves, témoins de millénaires de navigation. Et pourtant, les découvertes sous-marines restent rares, presque anecdotiques», indique-t-il.

Un simple regard au sud, vers Israël, révèle un contraste frappant. Là-bas, une unité spécialisée en archéologie sous-marine, rattachée à l’Autorité israélienne des antiquités, œuvre, nous raconte-t-il, avec un budget conséquent, une organisation centralisée et des moyens à la hauteur des enjeux. Résultat: plus de 200 épaves identifiées, s’échelonnant de l’âge de bronze tardif jusqu’aux campagnes napoléoniennes. «Le long du littoral israélien, on estime qu’il y a une épave tous les 50 mètres. Une gestion méthodique, proactive, et surtout continue, qui permet de ne rien perdre du patrimoine immergé», signale-t-il.

Au Liban, la réalité est tout autre. Selon Lucy Semaan, archéologue maritime de la Honor Frost Foundation (une organisation caritative créée en 2011 pour promouvoir l'avancement et la recherche en archéologie maritime, en particulier dans l'est de la Méditerranée, notamment au Liban, en Syrie, à Chypre et en Égypte) ayant participé et dirigé des études et des fouilles archéologiques maritimes et terrestres internationales, «la position stratégique du Liban dans l’est de la Méditerranée en a fait un carrefour florissant d’activités maritimes depuis au moins l’âge de bronze». Celle qui a mené des projets de géophysique marine, de géoarchéologie et de renforcement des capacités et de sensibilisation en Méditerranée orientale et dans le monde arabe depuis 1996 considère toutefois que «malgré la riche histoire maritime du pays, l’archéologie sous-marine y demeure à ses débuts et reste limitée dans son champ d’action». 

Les découvertes notables se comptent, en effet, sur les doigts d’une main. Quelques fragments d’amphores ici ou là, et surtout les épisodes marquants de janvier-février 1973 et de juillet 1974: une véritable chasse au trésor menée par l’américain Bob Marx (Robert F. Marx), comme le relate M. Kingsley. Originaire de Pennsylvanie aux États-Unis, le plongeur découvre ces années-là des épaves phéniciennes datant des Ve et IVe siècles av. J.-C., dont l’une est celle d’un navire qui transportait une cargaison exceptionnelle de figurines en terre cuite. Il découvre également deux épaves grecques (des IIIe et IIe siècles av. J.-C.), deux romaines (du Ier siècle) et une byzantine (du VIe siècle ap. J.-C.) Des trouvailles majeures, à la fois archéologique et symbolique, tant elles renvoient aux racines méditerranéennes profondes du Liban.

Dans le même ordre d’idées, l’expert en biologie marine, Marcos Hado, signale une autre découverte majeure. Demeuré intact, le sarcophage d’Eshmunazar II est découvert au large de Sidon en 1855 et se trouve aujourd’hui au musée du Louvre, en France. Bien qu’il provienne du territoire maritime libanais, le Liban n’a jamais officiellement revendiqué sa restitution. Certains avancent que, vu l’instabilité et les vols subis par le Musée national de Beyrouth, il serait paradoxalement plus en sécurité à Paris.

C’est dire que le potentiel est immense. Le silence des profondeurs n’est pas celui de l’absence, mais celui de l’abandon. «Il suffirait de peu… de volonté politique, de financement stable et d’une équipe dédiée pour transformer cette côte en un livre d’histoire ouvert sur le monde», insiste M. Kingsley.

Chekka, 70 ans plus tard: les épaves oubliées du Liban 

Il y a près de 70 ans, sur les rivages de Chekka, au nord du Liban, deux frères passionnés de mer font une découverte exceptionnelle, nous confie, sous couvert d’anonymat, un plongeur expert en archéologie sous-marine interrogé par Ici Beyrouth. Au pied du tunnel côtier, dissimulés sous les couches de sable, gisent côte à côte deux navires phéniciens chargés d’amphores intactes. Ces épaves, ignorées alors des archéologues et des autorités, semblent figées dans le temps, comme un message du passé échoué à quelques mètres seulement du rivage.

Les deux jeunes hommes, à peine âgés d’une vingtaine d’années, plongent avec prudence, dégageant peu à peu les formes antiques des vaisseaux marchands. Chaque amphore qu’ils extraient est un trésor: intacte, scellée, portant les traces d’un commerce antique florissant entre les cités phéniciennes et la Méditerranée. Cette découverte n’est toutefois pas restée secrète bien longtemps.

Alertée sans doute par des témoins ou des informations qui ont circulé, l’ambassade américaine à Beyrouth dépêche, selon les témoignages, une équipe de plongeurs militaires, probablement des Marines. En quelques heures, l’accès à la zone est verrouillé. Les deux frères sont écartés sans ménagement. L’opération dure trois jours. Chaque amphore visible est récupérée. Les cales sont vidées, les structures sous-marines passées au crible, documentées, photographiées. Et puis, plus rien.

L’État libanais n’est jamais intervenu. Aucun rapport officiel, aucune déclaration aux instances de protection du patrimoine maritime. Pas même une mention dans les archives. Seule trace restante: une amphore rescapée, précieusement conservée depuis par l’un des découvreurs, aujourd’hui âgé de plus de 90 ans. Il en parle encore, les yeux brillants. Il possède même des photographies prises à l’époque: les épaves, les amphores alignées sur la plage, intactes, prêtes à révéler leur histoire.

Et les épaves, elles, sont toujours là. Enfouies sous les sédiments, invisibles, oubliées. Mais il connaît encore leur emplacement exact. «Si nous avions les moyens techniques, on pourrait les retrouver, les documenter, les sauver. Elles sont toujours là, sous le sable, prêtes à raconter ce que d'autres ont préféré taire», se désole notre interlocuteur, sous couvert d’anonymat. 

Ce récit n’est pas sans nous pousser à soulever une question: combien d’autres trésors submergés du Liban ont été effacés de la mémoire collective?

À suivre…

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