
Alors que les tensions entre Israël et l’Iran atteignent un point critique, leurs répercussions bouleversent l’ensemble du Moyen-Orient. Pris dans cette tourmente régionale, le Liban voit son économie vaciller davantage. Déjà fragilisé par une crise financière sans précédent depuis 2019, le pays subit de plein fouet un conflit auquel il ne participe pas directement. Pourtant, sa proximité avec l’épicentre des tensions et les enjeux géopolitiques le placent en première ligne sur le plan économique.
Face à une conjoncture régionale explosive, l’économie libanaise s’engage dans une phase de turbulences, entre paralysie et menace d’effondrement.
«La première conséquence majeure de ce conflit est la généralisation d’un climat d’instabilité, qui freine les investissements, ralentit les échanges commerciaux et dissuade les touristes», indique à Ici Beyrouth Nassib Ghobril, économiste en chef de la Byblos Bank. La peur d’une extension du conflit, notamment via le front sud entre le Hezbollah et Israël, pousse entreprises et consommateurs à adopter une posture attentiste.
Le secteur privé, déjà laminé par la dépréciation de la livre libanaise, les restrictions bancaires et la baisse du pouvoir d’achat, suspend ses projets et limite ses engagements. Les entreprises réduisent leurs stocks importés par crainte d’un durcissement logistique ou d’une flambée des prix.
Parmi les secteurs les plus durement touchés, le tourisme s’effondre à une vitesse alarmante. À l’aube d’une saison estivale qui s’annonçait prometteuse, les compagnies aériennes réduisent ou suspendent leurs vols, tandis que les annulations de réservations dans les hôtels et maisons d’hôtes se multiplient. Selon les professionnels du secteur, la baisse du nombre de visiteurs pourrait dépasser 50%, avec des pertes estimées entre 300 et 500 millions de dollars.
M. Ghobril souligne que même dans un scénario de courte durée, l’impact sur la saison touristique est déjà notable. De nombreux expatriés et touristes ont annulé leurs séjours. Les répercussions toucheront les secteurs annexes: hôtellerie, restauration, festivals et événements.
Trois scénarios: du mauvais au catastrophique
Trois scénarios sont possibles, selon M. Ghobril: scénario 1 (probabilité de 35%): guerre courte. Impact limité mais réel sur la saison touristique. Croissance réduite à 3%.
Scénario 2 (45%): guerre prolongée. Incertitude généralisée, inflation, report des réformes. Croissance inférieure à 2%.
Scénario 3 (20%): implication directe du Liban. Contraction économique sévère, effondrement de la saison estivale, arrêt total des réformes.
L’envolée des prix mondiaux du pétrole, provoquée par les incertitudes régionales, affecterait directement le Liban, pays dépendant à 100% des importations de carburant. Cela se traduirait par une hausse des coûts de production, de transport et de consommation.
À cela s’ajoutent les inquiétudes croissantes sur la chaîne logistique maritime, exprimées à Ici Beyrouth par Mohammad Abou Haidar, directeur général du ministère de l’Économie. Selon lui, si le conflit venait à s’élargir et affectait le détroit de Bab el-Mandeb, les cargos transportant des marchandises vers le Liban devraient contourner la mer Rouge en passant par le détroit de Gibraltar, ce qui allongerait le trajet d’environ 21 jours. Une telle situation entraînerait une hausse des coûts de fret, des assurances maritimes et du prix du fuel, avec des répercussions directes sur les prix à la consommation.
Toutefois, M. Abou Haidar se veut rassurant: «Tant que les voies maritimes restent ouvertes, il n’y a pas de menace immédiate pour la sécurité alimentaire.» Il affirme que les stocks actuels suffisent à couvrir trois mois, même si une hausse du prix du pétrole pourrait inévitablement se répercuter sur les marchés intérieurs.
Avec une économie fortement tributaire des importations, le Liban reste exposé aux aléas des chaînes logistiques. La fermeture temporaire ou la mise en péril de certains corridors maritimes, notamment en mer Rouge, pourrait entraîner des retards ou une hausse des coûts pour l’acheminement des biens essentiels.
M. Ghobril prévient que si la guerre dure plusieurs semaines (scénario 2), les ménages annuleront les achats non essentiels, et les réformes seront encore repoussées. Il anticipe alors une croissance inférieure à 2% et un retour du déficit budgétaire.
Il souligne aussi que, même sans effondrement du taux de change qui resterait fixe, les réserves de la BDL cesseront de croître (scénario 1) ou baisseront (scénarios 2 et 3), malgré une possible hausse de la valeur de l’or.
«La guerre repousse aussi la réforme du secteur public, la restructuration économique et la démarcation des frontières, pourtant cruciales pour attirer l’aide internationale», poursuit-il.
Selon M. Ghobril, le Liban aurait pu bénéficier de l’élan né de l’élection présidentielle et de la formation d’un gouvernement pour relancer les réformes. Mais la priorité actuelle est d’éviter une extension du conflit qui éloignerait définitivement le pays de l’agenda international et d’un soutien extérieur vital.
Le conflit Israël-Iran ravive les failles structurelles du Liban et met en lumière son extrême vulnérabilité. Sans désescalade rapide, le pays risque de s’enfoncer dans une crise économique chronique, accentuée par l’immobilisme politique et l’effondrement institutionnel.
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