
Restaurants, piscines, vignobles, festivals et kermesses: dans les villages de Marjeyoun et Hasbaya, l’été s’est bien installé, envers et contre tout. Comme une douce revanche, sous l’ombre des drones israéliens qui survolent régulièrement la région.
Après dix-huit mois d’angoisse et de guerre, le cœur du Sud recommence à battre. Malgré la tension latente et la présence persistante des drones israéliens, la région s’anime, portée par un souffle de vie longtemps retenu. Le tourisme reprend dans de nombreux villages qui n’ont pas été entièrement détruits durant la guerre entre Israël et le Hezbollah.
Les célèbres chalets, restaurants et complexes au bord des fleuves et des rivières, autrefois déserts, reprennent leur souffle. Des établissements emblématiques rouvrent leurs portes, accueillant les familles venues chercher un répit estival loin du tumulte des villes.
Le rire cristallin des enfants au bord des piscines, le cliquetis des verres sur les terrasses baignées de lumière et les arômes alléchants des grillades flottant dans l’air sont autant de signes tangibles d’une vie qui reprend ses droits.
Le soulagement est palpable dans la voix d’Imad, propriétaire d’un restaurant au bord du Hasbani. «Après un an et demi de fermeture forcée, un retour vers ces lieux relève du miracle», confie-t-il.
Ses yeux trahissent la fatigue des longues nuits de travail, mais son sourire est rayonnant. «Nous avons tout nettoyé, tout réparé. La peur est toujours là, bien sûr. Elle fait partie du quotidien. Mais on ne peut pas vivre dans l’ombre éternellement. Les gens ont besoin de souffler, de se retrouver, de sentir cette terre vibrer à nouveau», dit-il.
Entre prudence et désir de vivre, les visiteurs, souvent des familles déplacées ou de retour pour l’été, investissent à nouveau les lieux.
Les noces de la résilience
Les salles de réception de Marjeyoun et Hasbaya ne comptent plus les mariages, les baptêmes, les premières communions et les fiançailles. Autant d’événements qui, quelques mois plus tôt, semblaient inenvisageables. «Nous avons une dizaine de réservations fermes pour cet été. Les demandes ont doublé par rapport aux deux années précédentes. Elles continuent de pleuvoir, preuve que la population veut écrire un nouveau chapitre», s’enthousiasme Mariam, organisatrice d’événements à Marjeyoun.
«Chaque mariage ou première communion est une petite victoire, un symbole puissant que la vie continue, que l’amour et la joie, malgré tout, triomphent du chaos», ajoute-t-elle.
Des célébrations, qui avaient été pour la plupart reportées, réinvestissent aussi les jardins fleuris et les maisons restaurées.
Des soirées sous les étoiles
Sur les hauteurs de Marjeyoun, le vignoble le plus connu de la région a également rouvert ses portes aux visites guidées. Balades entre les rangées de ceps, soirées sous les étoiles: l’œnotourisme reprend doucement.
«Il arrive que nous entendions le ronronnement des drones, mais il y a des soirs où l’on n’entend que le chant des grillons», raconte Carole, responsable du site. «Aujourd’hui, une nouvelle saison s’ouvre, celle de l’espoir obstiné. Le vin raconte une histoire, celle de notre terre et de notre persévérance. Les expatriés qui visitent le vignoble ne viennent pas seulement pour le vin; ils viennent pour l’histoire vivante, pour l’authenticité, pour cette résilience que l’on respire à chaque souffle», affirme-t-elle.
Les dégustations, les balades guidées, les soirées musicales sont autant d’occasions de célébrer la terre et sa mémoire.
Le vignoble emblématique de Marjeyoun accueille ainsi de nouveau des centaines de visiteurs, avides de découvertes, qui se laissent séduire par les dégustations de vins, tout en admirant les paysages enchanteurs alentour.
C’est l’occasion de redécouvrir un savoir-faire local, tout en soutenant l’économie régionale. Entre lumière éclatante du jour et sol généreux, «Les vignes du Marj» cultivent un vin à part, dans une région qui survit, s’affirme et s’accroche.
Kermesses et festivals
À cette reprise s’ajoutent les festivals et les kermesses qui se succèdent. Des stands colorés aux effluves gourmands, des rires d’enfants aux mélodies entraînantes, l’ambiance des kermesses (lancées avec la Saint-Élie, en juillet, et d’autres festivals dans différents villages de la région) s’est réinstallée, battant au rythme d’une normalité chèrement retrouvée. «C’est comme si le village de Jdeidet Marjeyoun respirait de nouveau», s’émeut Maha, tenant la main de ses deux enfants.
Sa famille a passé de longs mois loin du village, fuyant les hostilités. «Cela nous avait tellement manqué. Voir nos enfants courir, rire, jouer… C’est tout ce qu’on désirait. Ces kermesses, c’est un baume sur nos blessures», dit-elle.
Le père Philippe al-Aqli, serviteur de la paroisse de Marjeyoun, se réjouit de ces retrouvailles et met en relief la coexistence dans la région qui permet, selon lui, de «surmonter toutes les blessures»,
La nature, ultime refuge
Un autre tourisme s’épanouit: celui des grands espaces naturels. Les collines de Hasbaya, les forêts de pins, les rives du Hasbani et les plaines de Marjeyoun deviennent des refuges pour ceux qui cherchent à se reconnecter avec la nature. «Les gens veulent s’évader, respirer, découvrir des paysages intacts, loin du bruit des villes. C’est aussi une manière de montrer que notre région est belle et vivante, malgré tout ce qu’elle a traversé», explique Jad, membre d’une organisation locale.
L’écotourisme devient ainsi un des vecteurs essentiels de la reprise économique locale. Les artisans, les producteurs de miel, d’huile d’olive, de savons artisanaux ou de spécialités culinaires retrouvent une vitrine pour leurs produits. Les petits commerces des villages bénéficient de l’afflux de visiteurs.
Reconstruction émotionnelle.
Ce retour du tourisme n’est pas seulement synonyme de redémarrage économique. Il est émotionnel, existentiel. C’est un pari, un acte de courage collectif. Celui de croire, encore et toujours, en la puissance de la vie, de la beauté, de l’appartenance. Dans ce Liban-Sud souvent réduit à ses lignes de front, les habitants réaffirment avec ténacité une autre réalité: celle d’une région vivante, vibrante, solidaire. Un Sud où l’hospitalité n’est pas un folklore, mais un acte de foi.
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