
Fin août, le cardinal Béchara Raï, chef de l’Église maronite, a présidé une messe au cours de laquelle il a renouvelé, en présence de la première dame, Nehmat Aoun, la consécration du Liban au Cœur de Marie. Historiquement, cette consécration remonte à 2012 lors de l’ouverture, par Benoît XVI, du synode sur le Moyen-Orient. Elle a été renouvelée une première fois en 2017, à l’occasion du centenaire des apparitions de la Vierge Marie à Fatima (Portugal). Le patriarche maronite s’était rendu spécialement à Fatima à cette l’occasion.
La consécration, dans la tradition chrétienne, désigne le rite liturgique par lequel une église, une personne, une communauté ou un lieu est dédié solennellement à Dieu, et pour ainsi dire «sanctifié», mis à part.
L’habitude de la consécration d’une nation ou d’un État n’est pas neuve dans l’histoire de l’Église, mais elle a été popularisée au XXe siècle par La Vierge Marie en personne, au cours des dialogues qu’elle a pu engager avec trois jeunes bergers de Fatima (Portugal, 1917).
Aux jeunes bergers, Marie a affirmé que, pour sauver une grande partie de l’humanité d’un séjour interminable en enfer, «Dieu voulait établir dans le monde la dévotion à son Cœur immaculé».
«Si l’on obéit à ces demandes, la Russie se convertira et le monde connaîtra un temps de paix», avait-elle aussi promis. On était à la veille de la Révolution bolchévique (Octobre 1917).
Hélas, l’Église catholique ne sut pas saisir cette balle au bond. En conséquence, entre la Seconde Guerre mondiale, le communisme et le nazisme, le XXe siècle fut le siècle le plus sanglant de l’histoire avec au moins 100 millions de morts violentes, dont près de 100.000 après Hiroshima.
Une dévotion christocentrique
La dévotion au Cœur de Marie est, malgré les apparences, profondément christocentrique. Dans son Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, l’un de ses grands artisans, saint Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716), écrit: «C’est par la très sainte Vierge Marie que Jésus-Christ est venu au monde, et c’est aussi par elle qu’il doit régner dans le monde».
Cette perspective deviendra un fil conducteur majeur dans toute l’histoire ultérieure de la consécration au Cœur Immaculé de Marie dans ses grandes variantes (Sacré-Cœur, Saints-Cœurs, Cœurs unis de Jésus et de Marie).
Les consécrations s’imposent généralement aux heures noires de l’humanité, comme celles que nous vivons en ce moment. Il y a quelques jours, exprimant son inquiétude face aux récents développements sur les principaux fronts de guerre en Europe et dans le monde, le secrétaire d'État du Saint-Siège, le cardinal Pietro Parolin, reprenant une analyse du président italien, Sergio Mattarella, déclarait: «Nous sommes au bord du gouffre, car il existe un risque d'escalade sans fin qui fait peur».
«Nous faisons tout notre possible, notre diplomatie cherche des contacts avec tous les protagonistes, nous parlons, nous insistons, ce sont les outils dont nous disposons pour essayer d'arrêter cette escalade», a assuré le chef de la diplomatie vaticane. Sa déclaration fait suite à la rencontre Trump-Poutine et à la récente rencontre au Vatican entre le Pape Léon XIV et le président israélien, Isaac Herzog, et précède le raid aérien israélien sur Doha et les vols de drones russes au-dessus de la Pologne.
Mais quel effet concret une consécration peut-elle avoir sur la situation et l’avenir d’un pays? Peut-on s’exprimer au nom d’une nation?
Une ère nouvelle
Les paroles de la Vierge à Fatima inaugurent à ce sujet une ère nouvelle. Elles disent à travers des mots que le magistère de l’Église reconnaît comme étant de Dieu, sans toutefois faire obligation à quiconque d’y croire comme parole d’Evangile, que les peuples et les pays ne sont pas seuls dans leur histoire, qu’il y a une dimension spirituelle invisible, active, dans le cours des événements humains, que la consécration mariale ne se limite pas à la sanctification personnelle, mais aussi au destin des nations.
L’apparition de la Vierge à Fatima, comme paradigme de toute apparition, prouve aussi que la consécration est assortie de conditions et de promesses. Les plus connues étant les promesses faites à l’empereur Constantin et au roi de France Louis XIV, que nous ne pouvons aborder ici qu’en bref.
En l’an 312, Constantin voit une croix dans le ciel accompagnée du message: «Par ce signe, tu vaincras». Il fait peindre le signe du Christ sur les boucliers de ses soldats, remporte la bataille de Rome et ouvre la voie à la christianisation de l’Empire romain.
En 1689, un siècle avant la Révolution française, sainte Marguerite-Marie demande au roi Louis XIV, au nom de Dieu, la consécration de la France au Sacré-Cœur. Ce symbole est directement montré par le Christ à sainte Marguerite-Marie. Il s’agit d’un cœur enflammé entouré d’épines. Mais Louis XIV ne répond pas à la demande. Pris de remords, un siècle plus tard, Louis XVI cherchera à le faire, mais la Révolution française le prendra de vitesse. Il sera guillotiné en janvier 1793. La révolution de 1789 est interprétée mystiquement par certains comme un châtiment pour cette désobéissance. En 1873, un siècle après l’exécution de Louis XVI, la construction de la Basilique du Sacré-Cœur à Montmartre donne à l’Église de France l’occasion de faire acte de réparation.
Très tard
Est-il trop tard pour le Liban? Personne ne peut le dire. Mais il est certainement très tard. L’Église maronite vient de lancer un processus de purification de la mémoire d’une guerre qui n’en finit toujours pas de dérouler ses épisodes depuis les années 70. Pourtant, de nombreux avertissements et exhortations à l’unité des chrétiens lui étaient déjà parvenus bien auparavant, par voie prophétique. Mais ces avertissements avaient été ignorés, et parfois moqués. Elle avait aussi été exhortée, en particulier, par Jean-Paul II et Benoît XVI, à travailler à l’unité des Églises orientales. Mais le cléricalisme, les réticences humaines et les lenteurs bureaucratiques avaient toujours, de commission en commission, pris le dessus sur les efforts déployés.
Et puis il y a le présent: commentant la Parabole du grain semé en terre, le patriarche a détaillé, au cours de la messe de consécration, les types de réponse que les hommes apportent à l’Évangile. Mais dans un État démocratique, l’Église ne peut se substituer à la Justice. Peut-être alors eût-il fallu ajouter à la cérémonie de consécration une liturgie pénitentielle. Le patriarche y aurait fait un immense acte de contrition, puisqu’à lui revient l’écrasante tâche de confesser, de pardonner et de conduire spirituellement les chrétiens du Liban, en particulier ses fondateurs maronites, jusqu’à la Terre promise de leur vocation historique de pays de rencontre, de vertu et de paix.
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